La crise du monde est psychologique
Nous avons cité, ici ou là,
fortuitement à telle ou telle occasion, l’expression d’“ère
psychopolitique”. Depuis, nous avons travaillé sur ce concept,
notamment et largement dans le cadre de notre rubrique de defensa,
dans le numéro du 25 novembre 2006 de notre Lettre d’Analyse de
defensa & eurostratégie. Le propos prenait notamment appui sur le
“rapport Stern”, dont nous avons
parlé à diverses
occasions. Le rapport Stern concerne la crise climatique, dont on
sait qu’elle déclenche désormais, — il était temps à moins qu’il ne
soit trop tard, — une
mobilisation massive.
C’est moins du “rapport Stern” et de la crise climatique que nous
voulons parler ici, mais de ce concept de l’ère psychopolitique qui,
dans notre appréciation, a remplacé l’ère géopolitique. C’est surtout
un travail d’identification et de définition, que nous poursuivrons
par d’autres analyses, que nous présentons ici.
Nous avons sélectionné, dans la rubrique de defensa
datée du 25 novembre les passages qui fournissent une aide
pour la compréhension de ce nouveau concept. Cette démarche nous
paraît très utile dans la mesure où elle donne un outil intéressant
pour mieux comprendre les événements qui nous pressent.
Effectivement, nous reviendrons sur cette question.
La crise du monde est psychopolitique
Face à ce qu'on juge être sur l'instant un grand
événement, la réserve aussitôt s'impose temporairement. C'est cette
réserve pour un temps de réflexion et d'appréciation intuitive qui
nous permet d'établir la mesure de la relativité du monde, et la
mesure de la relativité de notre psychologie face au grand événement,
— pour tenter de lui donner, à lui, ce grand événement, sa mesure
historique réelle.
C'est la raison pour laquelle ce n'est que dans cette chronique du
25 novembre, un mois après l'événement, que nous réagissons en
profondeur à cet événement formidable — décidément et mesure prise,
c'est bien le cas — qu'est le rapport Stern. Auparavant, nous avions
eu quelques réactions (voir sur notre site dedefensa.org,
notre Faits & Commentaires du
27 octobre). C'était pour prendre date et pour ouvrir les voies de
réflexion qui nous semblaient appropriées, pour ouvrir la voie à
l'intuition également. Nous aurions pu consacrer notre rubrique de
defensa au rapport Stern dans notre numéro précédent; nous en
avons eu la tentation; nous l'avons écartée. La mesure du temps qui
passe donne seule les outils de mesure de l'historicité d'un
événement, de sa puissance potentielle, de son énergie libératrice
possible.
Cela dit qui concerne notre méthode, notre “cuisine intérieure” si
l'on veut, il est temps d'en venir aux faits et aux réflexions que ces
faits nous inspirent non sans avoir conclu en notant combien cette
“cuisine intérieure” décrit également un cheminement historique pour
la perception des choses. Certes, répétons-le, le rapport Stern est un
événement. Comme certains l'ont observé («It's Economy, Stupid!»,
titre du Times de Londres du 31 octobre), il frappe au coeur
en annonçant les dégâts que la crise climatique va causer à notre
économie. (En Pounds puisque nous sommes chez les
Britanniques, £2.680 milliards par an en plein coeur de la crise, soit
20% du PIB mondial, — une Grande Dépression chaque année.) En d'autres
mots et selon un autre point de vue, diront les spécialistes en
communication, c'est un bon coup de communication. De façon très
caractéristique, certains vont jusqu'à penser que le rapport Stern,
parce qu'il prend comme base les événements catastrophiques de la
crise climatique jusqu'ici objets d'une chaude (!) polémique, règle
son compte à cette polémique.
C'est une curiosité de la psychologie humaine qui relève de la
puissance de la conviction, là où la science s'avère impuissante à
trancher. (Jusqu'ici, la science n'a pu complètement et définitivement
trancher sur la réalité de la catastrophe climatique. Nous ne sommes
pas au bout du constat des impuissances de la science. C'est même
notre sujet central.) Le rapport Stern, comme tout document qui se
veut rigoureusement “scientifique” (les économistes ont cette
prétention) prend pour acquise la perspective de la crise climatique,
pour mieux développer son travail. Il joue le “tout se passe comme
si...” Du coup, cette méthodologie installe notre conviction, et les
résultats du rapport Stern semblent asseoir définitivement la
perspective de la crise. Débat tranché... Voyons maintenant les
dégâts...
La “psychopolitique” à la place de la géopolitique.
Les “dégâts” du rapport Stern sont incontestablement d'ordre
psychologique. Même pour le contester — et cette contestation est
urgente pour les partisans du système, dans tous les cas ceux d'entre
eux qui voient dans les propositions de Stern une menace pour certains
mécanismes du système — il faut en accepter les prémisses qui sont que
la crise climatique est d'ores et déjà commencée. Ainsi le rapport
représente-t-il un piège psychologique dans la mesure où il oblige les
adversaires d'une dramatisation de la crise climatique — dramatisation
dont ils savent qu'elle implique une mise en cause également
dramatique du système — à effectivement accepter implicitement cette
dramatisation. C'est là un principe de dialectique: dès lors que vous
êtes forcé de polémiquer sur la conséquence d'un événement, même si
vous étiez incliné à mettre en doute cet événement vous êtes alors
contraint de l'accepter.
Cette description fait comprendre l'importance formidable de la
dimension psychologique, l'importance qu'a acquise cette dimension
psychologique dans le débat politique. Comme d'habitude, il est simple
de citer le développement des communications et de l'information comme
cause principale, peut-être même fondamentale, du phénomène. Il
n'empêche que sa répétition systématique, le remplacement des
“événements réels” par la force plus ou moins grande de la
“représentation des événements réels”, finissent par créer des
conditions complètement différentes, nouvelles et sans précédent.
Essayons-nous à une identification de ces changements, par le biais
d'expressions inédites qui ont avec elles la force même du langage
lorsqu'il exprime une vérité fondamentale, un bouleversement
historique. Nous dirions alors qu'il nous semble que nous sommes
passés de l'ère géopolitique classique des XIXème et XXème siècles à
l'ère “psychopolitique”, — de la politique sous l'influence de la
géographie à la politique sous l'influence de la psychologie. La
politique était influencée par la géographie parce que le
développement du machinisme et, par conséquent, des moyens de
transport (y compris le transport des bombes), y invitait
impérativement. La politique est désormais influencée par la
psychologie car l'époque a créé des outils fondamentaux de pression
sur cette psychologie, par le moyen de la communication et de la
circulation de l'information.
Ainsi les crises ne sont plus ce qu'elles étaient. Elles ne sont
plus menaces d'affrontement ou affrontements géographiques, mais
menaces d'affrontement et affrontements psychologiques. (C'est la
raison pour laquelle la crise irakienne représente de la part des USA
une tentative complètement obsolète, un retour à une époque déjà
enterrée. On décrira cela comme le paradoxe des paradoxes parce que,
précédemment, comme tout au long de la Guerre froide, les USA tenaient
le monde dans leurs mains grâce à leurs moyens d'influence et à
l'effet de fascination qu'ils produisaient chez les autres.
C'est-à-dire qu'ils avaient précédé cette nouvelle époque, qu'ils ont
évidemment largement contribué à créer, — et voilà qu'ils en
abandonnent la maîtrise au moment où cette nouvelle époque triomphe,
au profit des outils de l'époque dépassée de la géopolitique. On aura
rarement rencontré un tel manque de discernement, une telle
erreur stratégique.)
Voici l'ère psychopolitique
Aujourd'hui, les événements deviennent très difficiles à définir en
tant qu'événements hors de nous-mêmes et de notre
capacité de perception (mais aussi de déformation). Pour y parvenir,
pour ceux qui entendent ne pas céder au changement, qui entendent
rester conformes aux normes prétendument objectives du jugement, il
est nécessaire de faire appel, justement, au conformisme le plus
extrême. Ainsi aboutit-on, sous l'argument de sembler rester objectif,
objectivement “sérieux”, à une interprétation qui est de pur
virtualisme, qui se moque de la réalité comme d'une guigne, qui
s'auto-congratule de ses propres communiqués de victoire comme s'il
s'agissait d'autant de victoires. Les séminaires de l'OTAN, secrétaire
général en tête, les symposiums de l'UE, président de la Commission au
pupitre, sont à cet égard à mourir de rire pour celui qui goûte la
comédie de ces “précieux ridicules” postmodernes.
Ces gens sont d'un autre temps, vieillis avant l'heure,
irrémédiablement dépassés. Ils comptent encore la puissance en nombre
de chars et en centaines de $milliards gaspillés au-delà de tout
entendement. Curieusement, ils disposent jusqu'à plus soif des
instruments de l'ère nouvelle et ne s'en servent que pour tenter de
prolonger la survie artificielle de l'ère géopolitique qui s'achève.
Ils n'ont pas réalisé, eux qui pourtant manipulent l'information dans
le but qu'on sait («L'opinion publique, ça se travaille»,
disait-on du temps de la guerre du Kosovo) qu'effectivement
l'information ne rend pas compte des événements, mais, en les
présentant, les modifie et, plus encore, les offre à notre
modification (notre interprétation) selon notre disponibilité
psychologique. Le courant est aujourd'hui devenu tellement puissant et
tellement incontrôlable qu'il n'est plus possible d'imposer
arbitrairement une vision conforme (et géopolitique) de l'événement,
comme on faisait du temps de la propagande. Nous sommes effectivement
dans une époque où, pour une majorité de citoyens, l'information
officielle est jugée, en toute connaissance de cause, comme beaucoup
plus suspecte que la plupart des sources d'information indépendantes,
non officielles, etc., — cela, parce que les sources officielles
continuent à s'exercer aux manipulations trop grossières pour être un
seul instant considérées.
Nous sommes dans une époque où la simple affirmation d'un
événement, répétée et répétée, souvent d'une manière élaborée et
crédible, finit par créer l'événement. La vérité est devenue
subjectivité totale à cet égard, matière malléable par excellence, —
mais nullement matière maîtrisable.
Voici un exemple. Lorsque le commentateur américain Robert Parry
écrit, le 6 novembre: «Indeed, one reason this new America has the
look of incipient totalitarianism is that the Right has created such a
powerful media apparatus that it can virtually create its own reality»,
deux choses s'affrontent: d'une part l'affirmation que les médias
contrôlés par les républicains ont créé “leur propre réalité” (virtualisme),
d'autre part l'affirmation que l'Amérique “semble être devenue
totalitaire”. Aucune de ces deux affirmations n'est “vraie” à
proprement parler, pourtant elles définissent ce qui a été vécu comme
deux “vérités” successives, selon la perception courante: d'abord la
croyance en la vérité créée par les médias contrôlés par les
républicains, ensuite le soupçon de plus en plus grandissant que
l'administration GW Bush a mis en place un système spécifique et que
ce système est totalitaire.
L'ère psychopolitique tue l'objectivité... C'est
un fait difficilement contestable que la démarche de l'ère
psychopolitique a pour effet de tuer l'objectivité... Mais pas
nécessairement de tuer la notion d'objectivité? Il y a une nuance
capitale et fondamentale. La révolution dans la manufacture des
événements historiques qu'introduit l'ère psychopolitique n'est pas
d'une génération spontanée, surgie de rien pour s'imposer en un
éclair. Elle a une cause, une substance, une logique. Ce n'est pas une
révolution “gratuite”, faite pour le seul but de la destruction
qu'elle suscite.
La subjectivité psychopolitique qui s'attaque à la réalité
objective coutumière disons de l'ère géopolitique (pour situer la
chronologie de la chose mais sans en suggérer la responsabilité),
s'attaque en réalité à une objectivité des plus suspectes. Cette
“réalité objective” mise en cause n'est rien moins que celle de la
propagande qui fleurit au XXème siècle, avant de s'épanouir dans le
leurre suprême qu'est le virtualisme, qui est une tentative
d'objectivation absolue, mécanique (par la psychologie plus que par
l'influence sur le jugement), par des techniques plus habiles, de la
démarche jusqu'alors assurée par la propagande. Puisque la propagande
ne donnait que des effets fragiles dans sa tentative d'objectivation
forcée, on passa au virtualisme. Dans tous les cas, on comprend qu'il
s'agit d'une objectivité forcée, faussaire. S'élever contre cette
“objectivité”-là (celle du virtualisme), c'est faire oeuvre de
salubrité morale et intellectuelle.
Par ailleurs, il y a une continuité de la logique dans cette
évolution. Le virtualisme est à la fois le produit et l'incitateur de
l'ère psychopolitique. Il n'est possible que grâce à l'explosion des
moyens de communication et de l'information, et leur déplacement au
centre du schéma de la puissance, à la place des outils industriels et
mécaniques. Par conséquent, le virtualisme est le pont entre la fausse
“objectivité” de l'ère géopolitique (la propagande) et l'affirmation
d'objectivité qui voudrait s'imposer à toute force dans l'ère
psychopolitique, et qui, au contraire, est attaquée de toutes parts.
On reconnaît d'ailleurs cette démarche, qu'on retrouve dans le
phénomène Internet: développé par le système et pour le système, pour
son enrichissement et sa puissance dans ce cas, en un sens pour son
objectivation également, et qui se retourne contre ses créateurs
lorsqu'il est utilisé par les indépendants, les dissidents, etc., —
autant de voix subjectives qui mettent en cause la soi-disant
objectivité du système.
Nous assistons à un fantastique transfert des moyens de la
puissance, de la représentation de la puissance, de la substance de la
puissance. Cela doit faire vaciller certains esprits rationnels qui
sont habitués à penser en termes de ce qu'ils nomment la réalité, —
volume, poids, formes, destruction explosive, etc. Mais si l'on
considère l'Histoire, on peut trouver des analogies. La puissance au
Moyen-Âge était faite, non des structures religieuses, mais d'un
phénomène purement psychologique: la foi, et les outils de la
puissance auxquels on se réfère par priorité (les armes, la
chevalerie, etc.), n'étaient que des annexes de l'outil central de la
puissance, — la foi. Il nous semble que nous vivons une révolution
semblable en ramenant la substance même de la puissance à la
psychologie.
La psychologie Stern
Nous revenons à ce sujet qui fut l'argument conduisant à cette
réflexion sur le constat du passage à l'ère psychopolitique. Le
rapport Stern est un étrange produit, involontairement d'une habileté
diabolique. Il utilise des outils de l'ère géopolitique, notamment
avec l'accent central mis sur la puissance de l'économie dans ses
facteurs les plus quantitatifs, ce qui a été la marque des deux
derniers siècles de l'ère moderne devenue ère géopolitique aux XIXème
et XXème siècles, pour provoquer un effet psychologique massif qui est
une marque fondamentale de l'ère psychopolitique.
A nouveau, mais cette fois à la lumière de notre tentative de
conceptualisation de l'ère psychopolitique, nous insistons sur cette
manoeuvre réalisée de façon quasiment mécanique, notamment avec les
moyens habituels de pression médiatique et virtualiste, pour faire
franchir un pas de géant à la psychologie humaine en lui imposant la
consigne que l'étape de la discussion autour de la réalité de la crise
climatique est dépassée.
Notons bien ici que nous ne prenons pas le rapport Stern,
justement, au pied de sa lettre. La question de la lutte contre la
crise climatique ne nous intéresse pas dans la mesure où elle ne se
pose pas. S'il y a crise climatique et s'il est admis que cela est de
notre responsabilité, et si nous pouvons lutter contre elle, alors la
question de la lutte ne se pose pas puisqu'il apparaît évident que
l'on ne peut rien faire d'autre que de lutter. Ce qui nous intéresse,
bien entendu, est tout ce que cette lutte implique de mises en cause
diverses, d'interrogations jusqu'ici écartées, bref la dimension
politique et culturelle de la chose qui est implicitement tracée.
Ainsi avons-nous la parfaite définition d'un événement de l'ère
psychopolitique, même si les intentions et les outils de départ sont
d'une autre ère. L'effet premier est psychologique (imposer le fait de
l'existence de la crise climatique aux psychologies), l'effet général
est politique (mises en cause à venir de principes fondamentaux du
système qui prétend imposer une hégémonie politique sans partage par
l'idéologie unique).
Notre observation suivante est que nous pensons que l'effet du
rapport Stern, par ses conditions de présentation, de diffusion,
d'exploitation, etc., est à la fois immédiatement perceptible, à la
fois dissimulé et rampant dans les psychologies, et d'une puissance
extrême dans ce cadre. C'est, là aussi, parfaitement un événement de
l'ère psychopolitique. Dans cette nouvelle époque, à cause des
conditions créées par la communication, il est très difficile
d'appréhender l'effet d'un fait sur ses données visibles au départ, ou
sur ses données mesurables par la seule raison objective. C'est encore
un signe, bien entendu, de la perversion à laquelle est parvenue cette
raison objective telle qu'elle a été maquillée, manipulée, déformée
par les pratiques de l'ère précédente, de la propagande idéologique
jusqu'au phénomène assurant le lien entre les deux ères, le
virtualisme bien entendu. C'est dire que le rapport Stern a échappé à
ses créateurs et à ses concepteurs, du moins pour les buts précis au
nom desquels ils lancèrent cette démarche.
Tout cela justifie, évidemment, de tenter d'analyser de plus près
le rapport Stern dans ses effets possibles, probables, et le plus
souvent des effets cachés et parfois révolutionnaires. [...]
La psychologie du Diable
Qu'est-ce que la puissance aujourd'hui? Qui est capable de répondre
à cette question devant l'effondrement de références qui, justement,
mesuraient le zénith de la puissance, — devant l'effondrement de la
puissance américaniste en Irak, qui est le signe le plus convaincant
de ce qu'on doit décrire comme un changement fondamental du paradigme?
Mais qui, à Washington, peut accepter cela:
l'effondrement de la puissance américaniste en Irak? Aucune
psychologie n'y résisterait... Alors, les mesures qui s'imposent sont
prises. Nous vivons dans un monde post-orwellien. Pfaff écrit: «It
is not Orwellian because the creators of this cartoon-like conceptual
world have themselves become actors in the virtual universe their
ideas and actions have made. They have left reality behind — or they
simply ignore it, as they did in invading Iraq.»
L'essentiel du dynamisme des choses humaines, aujourd'hui,
dépend de l'interprétation qu'en donnent l'information qu'on en a et
les communications qui la transportent. L'information n'est plus un
constat, un témoignage, ni même une manipulation (désinformation);
c'est une dynamique, une “chose en soi”, qui n'a plus de rapport
obligé avec l'objet ou la situation qu'elle prétend décrire, mais qui
crée l'objet ou la situation qu'elle prétend décrire pour justifier
son existence, puis pour manifester sa puissance. Mais cela, —
cette puissance — n'est jamais suffisant pour réduire
la réalité. Le rapport entre les deux — virtualisme et réalité — n'est
pas décroissant (de plus en plus de virtualisme réduit la réalité
jusqu'à la tuer et à la remplacer); comme l'Irak l'a montré, ce
rapport est antagoniste: de plus en plus de virtualisme exacerbe la
réalité et suscite sa “concurrence”... On irait jusqu'à croire,
jusqu'à penser que le virtualisme, en même temps que l'exacerber,
pousse la réalité à se régénérer elle-même pour réaffirmer sa
puissance.
Notre psychologie est au centre de tout cela. C'est elle qui
manipule, qui conçoit, qui exacerbe le virtualisme; c'est elle qui
essuie les effets de ses échecs, de sa confrontation avec la réalité.
Notre psychologie est aujourd'hui le centre de notre puissance et elle
est aussi, juste à côté, presque à se confondre, une pathologie
conduite jusqu'à la marge de la plus grave crise possible. L'ère de la
psychopolitique qui remplace la géopolitique nous transporte au coeur
de crises inconnues, que nous continuons à jauger avec le regard et
l'esprit du siècle d'avant. Le postmodernisme, qui croit au
virtualisme jusqu'à croire qu'il a transformé la réalité, continue à
observer le monde fabriqué comme s'il s'agissait du monde réel.
Nous n'appréhendons plus les événements. Nous les voyons venir avec
un regard de myope, nous les mesurons faussement, nous nous préparons
à leur choc en en confondant les effets, pour nous retrouver
confrontés à des choses complètement inconnues. Notre savoir est si
assuré et si faussé qu'il nous prépare absolument à des mondes qui
n'existeront jamais. Un bouleversement électoral annoncé, que nous
croyions maîtrisé d'avance, nous bouleverse comme nous n'imaginions
pas qu'il soit possible, puis nous en oublions aussitôt la leçon
centrale pour nous replonger dans la réalité fabriquée qui nous avait
si complètement trompés précédemment. Nous touchons au coeur de notre
crise fondamentale.