Nouvelles de la France qui vient
La République contre la famille
Voici un ouvrage très utile que vient de publier
DMM, La réforme du mariage. Pour
être collectif, il n’en est pas moins à la fois un et clair. Cette
« approche critique sur les mutations familiales »
intéresse, en premier lieu, les spécialistes du droit et tous ceux
qui, théoriciens ou praticiens, sont confrontés aux difficultés
que vivent aujourd’hui parents et enfants. Mais, au-delà des
juristes et des personnes de l’assistance sociale, c’est chacun de
nous, citoyen et électeur, sujet de droit et justiciable, qui a
intérêt à s’informer sur les réalités qui sont notre vie
quotidienne, en même temps que l’avenir de la nation.
Les auteurs ont poussé loin leur analyse, sans craindre
d’aborder, au-delà des textes de loi, de la Constitution, de la
jurisprudence et des commentaires, la philosophie de ces
mutations. Ils ont ainsi clairement identifié l’individualisme, le
subjectivisme, le relativisme comme les moteurs idéologiques de
ces mutations.
Ainsi c’est le même virus que, très justement, les auteurs
désignent, à la racine, comme étant le nominalisme et sa
conséquence, le positivisme, qui infecte le droit de la famille –
comme du droit privé – et le droit public sous la forme de nos
constitutions.
Ce n’est pas la moindre leçon de ce livre que de constater
combien les recours formés par les parlementaires, par les
citoyens, par les avocats sous la forme de « question
prioritaire de constitutionnalité » pour faire juger que ces
mutations – et la dernière en date, celle de la loi Taubira –
étaient contraires à la Constitution et aux principes fondamentaux
de la République, se sont tous conclus par des échecs. Notre droit
constitutionnel, les principes fondamentaux de la République ne
connaissent pas et ne veulent pas connaître le mariage, ni la
famille. Si, pendant un temps, ils n’ont pas imaginé porter
atteinte à l’essence naturelle du mariage – un homme, une femme –
ils ont toujours lutté contre cette institution qui, par nature,
est opposée à l’individualisme démocratique.
Il faut le constater : en France, dans notre histoire qui n’est
pas celle des autres nations, qui a sa couleur spécifique,
démocratie et famille s’excluent, comme s’excluent aussi
république et famille. Au sens strict de ces mots, ce n’était pas
inscrit dans une nécessité philosophique. Athènes a été une
démocratie et Athènes n’a pas rejeté, ni combattu la famille. Rome
a été une République, c’est même d’elle que vient cette notion de
la chose publique – res publica – dont la défense est la
raison d’être de l’Etat. Et Rome s’est constituée sur des
familles, de grandes et solides familles – les gens – les
gentes – pourvoyeurs des offices publics, du Sénat et des
magistratures.
En France, il n’en a pas été ainsi et la raison, à la lecture
de ce traité, en vient immédiatement à l’esprit. C’est que, chez
nous, l’Etat a d’abord été une famille. La règle de dévolution de
l’Etat était une règle de succession familiale, catastrophique
chez les Mérovingiens et les Carolingiens, avec le partage égal
entre les fils, et pacifique chez les Capétiens avec l’invention
de la succession par ordre de progéniture mâle. En « faisant un
aîné », comme disent encore les paysans qui ne veulent pas
démembrer l’exploitation, ils pacifiaient et agrandissaient le
domaine. Du même coup, non seulement ils fondaient l’ordre
politique sur l’ordre familial, mais cet ordre familial lui-même
était inégalitaire et sexiste. L’aîné, pas le cadet. Un garçon,
pas une fille. Deux principes inacceptables pour l’égalitarisme,
individualiste, asexué dont l’âme même est incompatible avec cet
ordre des choses. On a dit qu’en décapitant Louis XVI,
la Révolution avait tué les pères, et, par là, la famille.
C’était, dans une formule si abrupte qu’elle prêtait à sourire,
une réalité dont nous vivons les dernières conséquences.
Alors une seconde question surgit, à la vue de l’ampleur
actuelle du désastre. Quand nos demandes, nos requêtes, nos cris,
nos manifestations n’ont pu trouver aucun écho, ni à l’Assemblée
nationale où siègent nos élus, ni au Sénat qui est la sagesse de
la République, ni au gouvernement, ni à l’Elysée, ni au Conseil
économique et social, ni au Conseil constitutionnel, quand la
famille et les familles se trouvent ainsi exclues de la vie
publique, n’ont-elles pas le devoir de se poser la question, celle
que saint Augustin posait en méditant sur la chute de
l’Empire romain : « Si Dieu permet de tels événements,
pensez-vous que ce soit pour son édification à lui, ou pour la
nôtre ? », et donc, d’exercer notre intelligence pour aller
jusqu’au bout de la leçon que les faits déroulent, à l’évidence,
devant nos yeux ?
L’Etat, en France, aujourd’hui, ou du moins ce qui porte le nom
d’Etat, n’aime pas la famille. Ce que ces républicains appellent
République déteste et combat la famille. Ce régime est étranger à
la famille. Sa vie intérieure, son rythme, qui est le régime des
partis, est inconciliable avec la famille. Dans la presque
totalité de ses dirigeants élus ou candidats, les hommes et les
femmes qui l’incarnent méprisent, ignorent ou détestent le
mariage.
Du principe philosophique aux circonstances les plus minimes de
la vie quotidienne, du droit abstrait aux visages concrets, des
mots aux actes, ils sont nos ennemis – les ennemis de la famille,
et des familles, même lorsqu’ils sont sortis, comme des rejetons
ingrats, de ces familles. On n’est jamais trahi que par les siens.
Comme nous sommes des familles – des pères et mères de famille
– et qu’aussi nous sommes des chrétiens, nous n’appelons pas,
contre eux, à la même Révolution qu’ils ont menée et qu’ils
continuent contre la famille, les familles et la France, qui n’est
qu’une famille de familles. Mais nous savons que l’écroulement de
leur système est maintenant imminent. La logique des faits est
plus sévère que la plus violente des insurrections. Le professeur
Lejeune avait coutume de dire, en souriant « Dieu pardonne
toujours, l’homme quelquefois, la nature jamais ». Il y a une
nature sociale. Il y a une physique politique dont les lois sont
presqu’aussi inexorables que celles de la physique. La Révolution
se dévore elle-même comme elle dévore ceux qui la conduisent.
Ainsi en fut-il de la première et de toutes celles qui ont suivi.
Mais… mais, depuis le départ du dernier de nos dynastes jusqu’à
aujourd’hui, nous avons cru que nous pourrions, nous les chrétiens
qui sommes le royaume de France, moraliser, ordonner, voire
christianiser, la démocratie et la République.
La leçon, maintenant, est-elle suffisamment claire ?
Et comprendrons-nous enfin que le temps est venu de donner à
l’Etat le visage d’une famille, pour que les familles se
reconnaissent en lui et qu’ainsi, politique et social, droit et
mariage, ordre et liberté, justice et paix se rencontrent et
s’embrassent ?
• La réforme du mariage, sous la direction de Mélina
Douchy-Oudot, DMM, 174 pages, 28 euros.
JACQUES TREMOLET
DE VILLERS