par Jean d'Ormesson
    L'académicien rend hommage à l'écrivain qui publie Cinq méditations 
    sur la mort, un livre intime qui mêle réflexion et poésie. 
    François Cheng, à qui nous devons tant de romans, de poèmes et d'essais - 
    dont, il y a environ sept ans, Cinq méditations sur la beauté -, nous offre 
    aujourd'hui Cinq méditations sur la mort, autrement dit sur la vie. 
    Le texte est né d'échanges avec des amis réunis dans une salle de yoga. 
    Le poète leur parle - et maintenant il parle à nous, ses lecteurs, qui 
    devenons à notre tour ses amis. Fidèle à sa modestie coutumière, il ne parle 
    ni en maître qui fulmine des certitudes ni en juge qui tranche et décide. 
    Il s'avance pas à pas avec humilité. 
    Dès les premières pages, François Cheng, qui, comme chacun sait, est 
    d'origine chinoise, précise en termes émouvants qu'il fait «partie de ceux 
    qui se situent résolument dans l'ordre de la vie». «Je suis venu de ce que 
    jadis on appelait le tiers-monde. Nous formions alors la tribu des damnés, 
    des éternels crève-corps, crève-cœur, porteurs de souffrances et de deuils, 
    si mal gâtés que la moindre miette de vie était reçue par nous comme un don 
    inespéré.» 
    De santé fragile, François Cheng est persuadé dans sa jeunesse qu'il 
    mourra jeune. Le temps a déjoué ces prévisions pessimistes. Le jeune Chinois 
    condamné est devenu un poète français illustre, nourri à la fois de taoïsme 
    et de Hölderlin, de Novalis, de Rilke qui écrit les vers célèbres: 
    Seigneur, donne à chacun sa 
    propre mort 
    Qui soit vraiment issue de cette 
    vie, 
    Où il trouva l'amour, un sens et 
    sa détresse 
    «La mort n'étant que la cessation d'un certain état de la vie, elle 
    n'existerait pas si n'existait la vie.» Elle est inséparable de la vie. «Dès 
    qu'un homme est né, nous dit Heidegger, il est assez vieux pour mourir.» 
    C'est cette imbrication de la vie tant aimée et de la mort inéluctable qui 
    est au cœur des méditations de François Cheng. Il s'appuie sur la belle 
    formule de Vladimir Jankélévitch: «Si la vie est éphémère, le fait d'avoir 
    vécu une vie éphémère est un fait éternel» pour conclure: «La vie a la 
    prééminence. Mais cela n'enlève rien au fait que nous sommes dans le 
    pétrin.» 
    Ce que propose François Cheng pour sortir de ce pétrin qu'est l'attente 
    de la mort, c'est d'«inverser notre regard: au lieu de dévisager la mort à 
    partir de ce côté-ci de la vie, nous pourrions envisager la vie à partir de 
    notre mort conçue non comme une fin absurde mais comme le fruit de notre 
    être». 
    À partir de là défilent avec beaucoup de force et de charme tous les 
    thèmes de la métaphysique, de la création du monde au problème du mal. 
    L'humble poète se change en interlocuteur de Dieu. Il va jusqu'à se demander 
    avec audace si nous n'avons pas été créés à cette fin. «Chacun de nous est 
    relié aux autres, et tous nous sommes reliés à une immense Promesse qui 
    assure depuis l'origine la marche de la Voie.» 
    La vraie vie, la vie ouverte, selon François Cheng, n'est pas dans 
    l'effacement mais dans la propre figuration. Ses Cinq méditations sur la 
    mort chantent le triomphe de la vie. 
    Jean d'Ormesson
     
    «Cinq méditations sur la mort, autrement dit sur la vie» de François 
    Cheng, Albin Michel, 180p., 15€.