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      Auteur: 
      PASCAL DAVID 
      
      Source:  http://xml.epiphanie.org/Dominicains/simoneweil.pdf 
      
      Date : 
      6.07.2014 
      
        ....Texte que je viens de trouver via Google en 
        recherchant sur " metaxu" ... texte qui m'a paru 
        tellement intéressant que je l'ai sauvegardé ci-dessous ...mais  
        sans sa mise en page ...pour le lire allez sur "Source ci-dessus .." 
        Question :...vivre EN la vérité ..n'est ce pas la 
        réponse donnée par "à l'image de Dieu, homme et femme il LE créa ...l'humain 
        ... ? ... voilà la tentative d'itinéraire de l'hcq ... réponse ... si 
        Dieu le veut... 
       
     
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      Simone Weil, vivre pour la 
  vérité  
    
  
    
  
  Lorsque elle meurt, le 24 août 1943, à l’âge de 34 ans, au sanatorium 
  d’Ashford, en Angleterre, Simone Weil n’a que très peu publié. Aucun livre, 
  seulement des articles, pour la plupart dans des publications 
  d’extrême-gauche, tel les que La Révolution prolétarienne , revue syndicaliste 
  révolutionnaire, ou L’Ecole émancipée , revue du syndicat de l’enseignement, 
  de tendance anarcho-syndicaliste. Elle est arrivée en Angleterre quelques mois 
  plus tôt, à la fin de l’année 1942, pour rejoindre la résistance français e 
  qui s’est organisée à Londres, autour du général de Gaulle. Elle ne cesse de 
  regretter d’avoir quitté le sol français et cherche à tous prix à être 
  envoyée en France pour une mission « si possib le dangereuse », dit-elle. On 
  lui refuse cette mission ; son style vestimentaire, son manque de discrétion, 
  son sens de la provocation la conduiraient inexorablement à être arrêtée et à 
  mettre d’autres vies que la sienne en danger. Atteinte de tuberculose et de 
  désespoir, refusant de se nourrir plus que la quantité correspondant aux 
  tickets de rationnement limitant la nourriture en France, elle meurt dans une 
  profonde solitude morale, intellectuelle, spirituelle. Simone Weil laisse une 
  masse de manuscrits qui vont révéler l’une des plus importantes philosophes du 
  vingtième siècle et de l’histoire de la philosophie. Au moment de quitter la 
  France, elle avait donné à son ami Gustave Thibon onze cahiers couverts de 
  notes ; ce dernier en publia une anthologie, en 1947, sous le titre La 
  Pesanteur et la Grâce (éditions Plon), avec une préface qui donne des 
  informations essentielles sur l’auteur des textes rassemblés dans ce petit 
  ouvrage, dont le succès ne se dément pas depuis soixante ans. En 1949, Albert 
  Camus édite un long manuscrit rédigé par Simone Weil à Londres, sous le titre 
  L’Enracinement. Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain , 
  dans la collection « Espoir », qu’il dirige chez Gallimard. Puis, deux ans 
  plus tard, d’autres textes relatifs à La Condition ouvrière sont rassemblés et 
  publiés dans la même collection . En 1950, le père Joseph- Marie Perrin, un 
  dominicain qui a très bien connu Simone Weil à la fin de sa vie, rend public 
  les textes en sa possession, en un livre également destiné à devenir un 
  classique de la littérature française contemporaine, auquel il donne pour 
  titre Attente de Dieu (éditions La Colombe). Les publications vont ensuite se 
  succéder à un rythme régulier jusqu’à la fin des années soixante. La 
  publication des Œuvres complètes est actuellement en cours, chez Gallimard, 
  avec neuf, bientôt dix volumes parus sur les dix-sept volumes prévus, 
  instrument indispensable pour l’étude d’une pensée extrêmement cohérente, 
  éblouissante et décisive pour notre temps 1 
    
      
  
   . 1 Abréviations des ouvrages de Simone 
  Weil utilisés :  
  
  AD pour Attente de Dieu , Paris, Fayard, 2008 ;
   
  
  CO pour La Condition ouvrière , coll. « 
  Folio/Essais », Paris, Gallimard, 2002 ;  
  
  E pour L’Enracinement , coll. « Folio/Essais », 
  Paris, Gallimard, 2007 ;  
  
  EL pour Ecrits de Londres et dernières lettres 
  , coll. « Espoir », Paris, Gallimard, 1957 ;  
  
  LP pour Leçons de philosophie (Roanne 
  1933-1934) , Paris, Plon, 1989 ;  
  
  OC VI/4 pour Cahiers , Œuvres complètes , tome 
  VI, volume 4, Paris, Gallimard, 2006 ; Œ pour Œuvres , coll. « Quarto », 
  Paris, Gallimard, 1999 
       
     
  La Condition 
  ouvrière , ou l’expérience du malheur   
    
    
  Le parcours 
  intellectuel de Simone Weil commence comme un parcours classique pour une 
  jeune fille brillante de la moyenne bourgeoisie française : baccalauréat de 
  philosophie en 1925, à l’âge de 16 ans, trois années de khâgne au Lycée 
  Henri-IV, à Paris, où elle a pour professeur le philosophe Alain, l’auteur des 
  Propos , qui eut une influence déterminante sur un grand nombre de ses élèves, 
  dont Simone Weil. Ecole normale supérieure, agrégation de philosophie, qu’elle 
  obtient en juillet 1931, et enseignement dans le secondaire, au lycée. Elle 
  enseigne la philosophie, mais aussi le grec et l’histoire, au Puy-en-Velay, à 
  Auxerre, à Roanne. Ensuite, les choses ne vont plus se passer comme on aurait 
  pu s’y attendre. A la fin de l’année scolaire 1933-1934, Simone Weil demande à 
  sa hiérarchie un « congé pour études personnelles ». En effet, elle souhaite 
  mettre en œuvre un projet qui l’habite depuis longtemps : partager le sort 
  des ouvriers à la chaîne, connaître de l’intérieur la condition ouvrière, non 
  pas se tenir du côté de ceux qui exercent la force, mais du côté de ceux qui 
  la subissent, pour comprendre. A cette date, elle a déjà un passé de militante au sein des milieux anarchistes, syndicalistes et trotskistes (elle 
  s’oppose, au cours d’une conversation animée, à Léon Trotsky). Elle achève un 
  manuscrit d’une centaine de pages de Réflexions sur les causes de la liberté 
  et de l’oppression sociale , premier bilan de sa réflexion politique et sociale, première synthèse de sa philosophie. Son ancien professeur de khâgne, Alain 
  , qualifiera ce texte de « travail de première grandeur » qui appelle une 
  suite, car aujourd’hui « tous les concepts sont à reprendre, et toute 
  l’analyse sociale à refaire » (lettre du 14 janvier 1935). Le 4 décembre 1934, 
  Simone Weil rentre comme ouvrière sur presse (découpeuse) chez Alsthom, dans 
  une des usines de la rue Lecourbe, à Paris. Elle y restera jusqu’au 5 avril 
  1935. Les conditions de travail sont très dures, épuisantes même, et elle 
  n’arrive pas à suivre les cadences imposées. Elle note dans son Journal 
  d’usine toutes ses impressions, la soumission aux ordres, les humiliations et 
  l’obsession de la vitesse, de la cadence. Dans un article publié le 10 juin 
  1936, dans La Révolution prolétarienne , elle raconte « La vie et la grève des 
  ouvrières métallos » : « Forcer. Forcer encore. Vaincre à chaque seconde ce 
  dégoût, cet écœurement qui paralysent. Plus vite. Il s’agit de doubler la 
  cadence. Combien en a i-je fait, au bout d’une heure ? 600 [pièces]. Plus 
  vite. Combien au bout de cette dernière heure ? 650 . La sonnerie. Pointer, 
  s’habiller, sortir de l’usine, le corps vidé de toute énergie vitale, l’esprit vide de pensée, le cœur submergé de dégoût, de rage, et par-dessus tout 
  cela, d’un sentiment d’impuissance et de soumission. Car le seul espoir pour 
  le lendemain, c’est qu’on veuille bien me laisser passer encore une pareille 
  journée. Quand aux jours qui suivront, c’est trop loin. L’imagination se refuse à parcourir un si grand nombre de minutes mornes » (CO, p. 267 ; Œ, p. 
  160). Les ouvriers sont payés aux pièces, ils doivent atteindre un certain 
  rendement s’ils ne veulent pas être renvoyés et s’ils veulent gagner 
  suffisamment pour vivre. Après la journée du 15 janvier 1935, Simone Weil 
  écrit dans son Journal d’usine : « L’épuisement finit par me faire oublier les 
  raisons véritables de mon séjour en usine, rend presque invincible pour moi 
  la tentation la plus forte que comporte cette vie : celle de ne plus penser, 
  seul et unique moyen de ne pas en souffrir. (...) Effroi qui me saisit en 
  constatant la dépendance où je me trouve à l’égard des circonstances 
  extérieures » (CO, p. 103). Elle travaille ensuite aux établissements J.-J. 
  Carnaud et Forges de Basse-Indre, à Boulogne-Billancourt. Elle est licenciée 
  au bout d’ un mois, puis sera embauchée comme fraiseuse chez Renault, jusqu’au 
  22 août 1935. Au mois d’octobre, Simone Weil reprend l’enseignement de la 
  philosophie au lycée de Bourges. Elle enseigne jusqu’au début de l’année 
  1938, puis obtient un congé de maladie à cause des maux de tête qui la font 
  souffrir depuis plusieurs années et qui s’aggravent à ce moment-là. Plus tard, 
  elle fera le bilan de cette expérience qui va modifier profondément sa vie et 
  sa pensée. Elle emploie un terme qui va jouer un rôle central dans son œuvre, 
  le malheur : 
  
     « Après mon 
    année d’usine, (...) j’avais l’âme et le corps en quelque sorte en morceaux. 
    Ce contact avec le malheur avait tué ma jeunesse. (...) Je savais bien 
    qu’il y avait beaucoup de malheur dans le monde, j’en étais obsédée, mais je 
    ne l’avais jamais constaté par un contact prolongé. Etant en usine, 
    confondue aux yeux de tous et à mes propres yeux avec la masse anonyme, le 
    malheur des autres est entré dans ma chair et dans mon âme. Rien ne m’en s 
    éparait, car j’avais réellement oublié mon passé et je n’attendais aucun 
    avenir, pouvant difficilement imaginer la possibilité de survivre à ces 
    fatigues » (AD, pp. 41-42 ; Œ, p. 770).  
   
  Simone Weil a voulu 
  éprouver la condition ouvrière afin de comprendre les mécanismes de 
  l’oppression sociale. Dans les notes de cours prises par l’une de ses élèves, 
  on trouve cette phrase, qui éclaire ses motivations : « L’homme est ainsi fait 
  que celui qui écrase ne sent rien, que c’est celui qui est écrasé qui sent. 
  Tant qu’on ne s’est pas mis du côté des opprimés pour sentir avec eux, on ne 
  peut pas se rendre compte » (LP, p. 142). Autrement dit, ce que l’on sent de 
  la force dépend du point de vue où l’on se trouve, si on l’exerce ou si on la 
  subit. En effet, ce qui vient précipiter l’homme dans le malheur, c’est ce 
  que Simone Weil nomme « la force », qui est le sujet du grand article de 
  1940-1941 sur « L’ Iliade ou le poème de la force » 2 . Non seulement 
  l’univers est gouverné par un mécanisme aveugle, régi par des rapports de 
  force, mais la force est aussi au centre de tout e histoire humaine. L’homme « 
  croit (...) vouloir et choisir, mais il n’est qu’une chose, une pierre qui 
  tombe. Si l’on regarde (...) les âmes et les sociétés humaines, on voit que 
  (...) tout obéit à des lois mécaniques aussi aveugles et aussi précises que 
  les lois de la chute des corps. (...) Le mécanisme de la nécessité se 
  transpose à tous les niveaux en restant semblable à lui-même, dans l a matière 
  brute, dans les plantes, dans les animaux, dans les peuples, dans les âmes » 
  (« L’Amour de Dieu et le malheur », AD, p. 111 ; Œ, p. 699). « La notion de 
  force (...) constitue la clef qui permet de lire les phénomènes sociaux » (« 
  Méditation sur l’obéissance et la liberté », Œ, p. 490). La force , c’est ce 
  qui plonge certains hommes dans le malheur. 
  Le malheur n’est pas, ou pas 
  seulement, la souffrance. Le malheur est « une chose à part, spécifique, 
  irréductible ». C’est « un déracinement de la vie », un équivalent de la mort. 
  C’est « un événement qui a saisi une vie et l’a déracinée », un état violent. 
  Le malheur « est à la fois douleur physique, détresse de l’âme et dégradation 
  sociale » (AD, p. 120 ; Œ, p. 703 ; cf. aussi AD, pp. 98, 99, 100 ; Œ, pp. 
  693, 694). Le malheur atteint l’homme dans toutes ses dimensions : physique, 
  psychique, sociale. Le facteur social est essentiel, le malheur est une 
  déchéance sociale. Il n’y a pas de malheur sans souffrance physique, mais le 
  malheur est distinct de cette souffrance. Une simple douleur physique, aussi 
  violente soit-elle (une rage de dent, par exemple) n’est pas du malheur, parce 
  qu’elle ne laisse aucune trace une fois passée. En revanche, la perte d’un 
  être cher ou un exil loin de chez soi peut être un malheur. C’est une perte, 
  un vide, une absence qui s’accompagne de désordres biologiques. Mais seule la 
  douleur physique enchaîne la pensée. S’il n’y a pas de douleur physique, la 
  pensée fuit dans l’imagination et la rêverie, et se porte sur n’importe quel 
  objet. S’il y a douleur physique, la pensée est contrainte de reconnaître l a 
  présence du malheur. Le malheur enchaîne l’âme. Le malheureux est rivé à son 
  malheur ; il ne peut pas y échapper. L’analyse sociale et anthropologique du 
  malheur ouvre sur une dimension métaphysique : le malheur est la condition de 
  l’homme. La vie humaine est pleine de contradictions, elle est contradictoire 
  , impossible , déchirée . Simone Weil peut-être qualifiée, à l’instar de Luther et de Pascal, de pensée tragique . Le malheur demeure une énigme : « La 
  grande énigme de la vie humaine, écrit Simone Weil, ce n’est pas la 
  souffrance, c’est le malheur. Il n’est pas étonnant que des innocents soient 
  tués , torturés, chassés de leur pays, réduits à la misère ou à l’esclavage, 
  enfermés dans des camps ou des cachots, puisqu’il se trouve des criminels 
  pour accomplir ces actions. Il n’est pas étonnant non pl us que la maladie 
  impose de longues souffrances qui paralysent la vie et en font une image de la 
  mort, puisque la nature est soumise à un jeu aveugle de nécessités 
  mécaniques. Mais il est étonnant que Dieu ait donné au malheur la puissance de 
  saisir l’âme elle-même des innocents et de s’en emparer en maître souverain » 
  (AD, p.101 ; Œ, p. 694).  
    
      
  2 La 
  Grèce tient une place de première importance da ns la pensée de Simone Weil. 
  Il s’agit « d’aller vers la Grèce », de renouer avec l’inspiration grecque. 
  Un certain n ombre de textes sur ce thème ont été rassemblés dans deux 
  recueils : Intuitions pré-chrétiennes (Paris, La Colombe, 1951, Fayard, 1985) 
  et La Source grecque (coll. « Espoir », Paris, Gallimard, 1953) ; ils seront 
  repris dans les Œuvres Complètes , tome IV, Ecrits de Marseille , volume 2 : 
  Les civilisations inspiratrices : la Grèce, l’Inde et l’Occitanie , Paris, 
  Gallimard, à paraître en novembre 2009. 
       
    
  Simone Weil ne se 
  contente pas de décrire le malheur. Elle va montrer, dans le très bel essai 
  sur « l’Amour de Dieu et le malheur », publié dans Attente de Dieu , quel 
  usage il est possible d’en faire. Pour le dire d’un mot, le malheur est un 
  moyen de contact avec le monde et avec Dieu pour celui qui, plongé dans le 
  malheur, ne cesse pas d’aimer. Le malheur détruit toutes les illusions, fait 
  un vide dans l’âme, ouvre le regard et permet de voir Dieu dans l’univers. 
  C’est le cas de Job, figure du malheur suprême qui a pour nom la Croix. Ce que 
  voulait Simone Weil, surtout, en partageant la condition ouvrière, c’est vivre 
  réellement, sortir de l’imaginaire pour être confrontée au réel. Dans une 
  lettre du mois de mars 1935, elle explique : « J’ai le sentiment, surtout, de 
  m’être échappée d’ un monde d’abstractions et de me trouver parmi des 
  hommes réels – bons ou mauvais, mais d’une bonté ou d’une méchanceté 
  véritables. La bonté surtout, dans une usine, est quelque chose de réel 
  quand elle existe ; car le moindre acte de bienveillance (...) exige qu’on 
  triomphe de la fatigue, de l’obsession du salaire » (CO, p. 68). La pensée de 
  Simone Weil ne se développe pas dans l ’abstrait, ce n’est pas une philosophie 
  « pure », mais c’est une pensée qui s’élabore au contact du réel – l’épreuve 
  vécue de la condition ouvrière en est un exemple. 
  Il n’y a rien à dire qui 
  ne soit d’abord éprouvé dans la chair. Simone Weil, avant d’être cette 
  philosophie si lumineuse et sûre d’elle-même, c’est d’abord un corps qui 
  souffre. Le corps sur lequel s’écrit une telle souffrance, cette vie qui 
  s’écrit ainsi – avec son style : action politique et sociale incessante, 
  travail intellectuel dans tant de domaines habituellement distincts, mêlée à 
  tant de milieux sociaux, depuis les élèves de l’Ecole normale supérieure 
  jusqu’aux chômeurs du Puy, en passant par les militants anarcho-syndicalistes 
  et les réseaux de la Résistance – se traduit en un corpus d’écrits qui aura le 
  même style. Une œuvre marquée par l’urgence : Simone Weil écrit parce 
  qu’elle le doit , parce que les idées qui passent par elle doivent être dites 
  et données. Les écrits que laisse Simone Weil sont, pour la majorité du corpus 
  , des articles de circonstance, des notes éparses, des textes et des ébauches 
  de textes, des fragments. Lorsqu’on vit dans l’urgence, lorsque l’action disperse, 
  lorsque la souffrance physique rend impossible un travail intellectuel 
  continu, le style de l’œuvre est celui du fragment . Nous avons insisté sur 
  l’interprétation donnée par Simone Weil du malheur, parce que c’est un aspect 
  important de son œuvre philosophique. Mais ce n’est qu’un aspect. Le thème de 
  l’art (peinture, musique, poésie), celui du beau qui provoque la joie peuvent 
  également servir de fil directeur. Enfin, on trouve une réflexion profonde sur 
  le thème du travail, au point que toute l’œuvre de Simone Weil a pu être 
  interprétée comme une philosophie du travail 3 .  
  Ce qui est en jeu dans 
  cette philosophie, c’est le contact avec le réel . Le malheur, comme la 
  joie pure, est contact avec l’extériorité, parce que ce qui est donné à ma 
  conscience est en excès par rapport à ce qu’elle peut recevoir et contenir. 
  Malheur et joie me sont donnés sans que je puisse ni les fabriquer, ni les 
  maîtriser ou me les approprier.   
    
     
  Les Cahiers , ou 
  l’itinéraire de la transformation de soi   
    
  Les années qui suivent 
  l’expérience de l’usine vont marquer une nouvelle étape dans l’itinéraire 
  intellectuel et spirituel de Simone Weil. La philosophe va découvrir que 
  la force qui écrase le faible, la force qui semble souveraine ici-bas n’est ni 
  le dernier mot, ni le tout du réel. Car il y a, à côté de la force, un 
  autre principe à l’œuvre dans l’univers. Cet autre principe, Simone Weil le 
  présente en ces termes : « Il y a une réalité située hors du monde, c’est-à- 
  dire hors de l’espace et du temps, hors de l’univers mental de l’homme, hors 
  de tout le domaine que les facultés humaines peuvent atteindre. A cette 
  réalité répond au centre du cœur de l’homme cette exigence d’un bien absolu 
  qui y habite toujours et ne trouve jamais aucun objet en ce monde. (...)  
      
  3 Voir 
  Robert Chenavier, Simone Weil, une philosophie du travail , coll. « La nuit 
  surveillée », Paris, Editions du Cerf, 2001 
       
  De même que la 
  réalité de ce monde-ci est l’unique fondement des faits, de même l’autre 
  réalité est l’unique fondement du bien. C’est d’elle uniquement que 
  descend en ce monde tout le bien susceptible d’y exister, toute beauté, toute 
  vérité , toute justice, toute légitimité, tout ordre, toute subordination de 
  la condition humaine à des obligat ions » (« Etude pour une déclaration des 
  obligations envers l’être humain », EL, p. 74). Or, de cette réalité située 
  hors du monde – que l’on nomme Amour, Bien, Dieu, ou encore Trinité – 
  Simone Weil va faire l’expérience qu’elle se révèle. L’expérience de cette 
  révélation coïncide avec la découverte du christianisme et va se faire en 
  plusieurs étapes, plusieurs « contacts avec le catholicisme », au cours des 
  années 1935 à 1938, jusqu’à l’événement de la fin de l’année 1938. Simone Weil 
  en témoigne dans une longue lettre adressée au père Joseph-Marie Perrin, 
  rédigée le 12 mai 1942, c’est-à-dire deux jours avant de quitter 
  définitivement la France, comme un testament spirituel, au seuil d’un départ 
  sans retour. Il faudrait citer cette lettre en entier, car il s’agi t d’un des 
  plus beaux et des plus profonds textes spirituels de la période contemporaine. 
  Cette lettre – il s’agit bien d’une lettre, c’est-à-dire d’un texte adressé à 
  un interlocuteur choisi, qui prend place dans un dialogue et une intimité déjà 
  partagée – témoigne du secret et de l’histoire d’un e âme. Dans cette lettre, 
  donc, on lit cette phrase, point culminant d’un désir constant de la v érité 
  et d’un effort d’attention perpétuel pour l’atteindre : « Le Christ lui-même 
  est descendu et m’a prise » (« Autobiographie spirituelle », AD, p. 45 ; Œ, p. 
  771). Et la philosophe ajoute : « Je n’avais pas prévu la possibilité de cela, 
  d’un contact réel, de personne à personne, ici-bas, entre un être humain et 
  Dieu. J’avais vaguement entendu parler de choses de ce genre, mais je n’y 
  avais jamais cru. (...) D’ailleurs dans cette soudaine emprise du Christ 
  sur moi, ni les sens ni l’imagination n’ont eu aucune part ; j’ai seulement 
  senti à travers la souffrance la présence d’un amour analogue à celui qu’on 
  lit dans le sourire d’un visage aimé » (AD, p. 45 ; Œ, pp. 771-772). Un « 
  contact absolument inattendu », écrit encore Simone Weil – à proprement parler 
  impossible, c’est-à-dire dont la possibilité ne pouvait être prévue. La 
  philosophie a pour tâche de décrire le réel, d’ordonner ce qui se donne dans 
  l’expérience ; telle est la conception « critique » , au sens technique du 
  terme, de la philosophie, conception partagée par Platon, Descartes, Kant, et 
  Simone Weil. Il s’agit de « prendre conscience de ce qu’on fait quand on 
  fait de la science, etc. » (LP, pp. 208-209). Mais la philosophie – ou 
  l’intelligence – ne produit pas la vérité. 
  La vérité se désire , et désirer la 
  vérité, c’est désirer un contact direct avec le réel . 
  « L’expérience du 
  transcendant » : cela est contradictoire dans les termes, impossible – et, 
  pourtant, le philosophe ne peut pas l’ignorer comme nulle et non avenue 
  lorsqu’elle a lieu, c’est-à-dire lorsqu’ elle se donne . Et, d’ailleurs, 
  lorsqu’il s’agit de Dieu, il ne peut que s’agir de l’impossible. C’est 
  lorsqu’il opère l’impossible que Dieu se manifeste 4 .  
  Au mois de mai 1940, 
  c’est la fin de la « drôle de guerre » et l’exode. Simone Weil quitte Paris le 
  13 juin et, après un long périple de trois mois, s’installe à Marseille. C’est 
  là qu’elle va passer la plupart des mois qui la séparent de son d épart pour 
  New York, puis Londres. A Marseille, Simone Weil commence à noter toutes sort 
  es de réflexions dans des cahiers, et gardera cette habitude à New York. Nous 
  disposons maintenant d’une édition critique, scientifiquement établie, des 
  quatre volumes des Cahiers , dans les Œuvres complètes (Paris, Gallimard, 
  1994, 1997, 2002, 2006). Ces quelques mille deux cents pages forment l’une des 
  œuvres les plus importantes de la littérature et de la philosophie française, 
  comparable, par plus d’un trait, aux Essais de Montaigne ou aux Pensées de 
  Pascal. De quoi s’agit-il ? Les Cahiers sont des notes prises au jour le jour 
  par Simone Weil au cours des années 1940 à 1943. Or, une étude précise de ces 
  fragments permet de montrer qu’il s’agit de notes pour des exercices 
  spirituels . Celle qui écrit les Cahiers se livre à une observation sans 
  concession du fonctionnement du psychisme humain, puis se prescrit des 
  exercices spirituels qui ont pour point d’application les relations entre le 
  fonctionnement psychique et le monde autour 
    
      
   4 
  Sur le thème philosophique du don et de la médiation, voir Emmanuel 
  Gabellieri, Etre et Don. Simone Weil et la philosophie , Louvain, éditions 
  Peeters, 2003. Et notre note de lecture in Revue des sciences philosophiques 
  et théologiques , tome 92, n° 4, octobre – décembre 2008, pp. 926 à 9 30. 
       
    
  de soi, afin de 
  parvenir à une transformation de soi . En effet, la vérité n’est jamais 
  donnée au sujet de plein droit ; le sujet en tant que tel n’a pas la capacité 
  d’avoir accès à la vérité. La vérité n’est pas donnée au sujet par un simple 
  acte de connaissance, qui serait fondé et légitimé parce qu’il est le sujet et 
  parce qu’il a telle ou telle structure de sujet. Elle postule qu’il faut que 
  le sujet se modifie, se transforme, se déplace, s’altère, pour accéder à la 
  vérité. Il n’y a pas de vérité sans une conversion ou sans une transformation 
  de soi, car t el qu’il est, le sujet n’est pas capable de vérité. La vérité 
  n’est donnée au sujet qu’à un prix qui met en jeu l’être même du sujet. 
  La vérité que cherche Simone Weil 
  n’est pas une vérité conceptuelle, une connaissance intellectuelle, mais c’est 
  « la vérité qui devient de la vie (...). La vérité transformée en vie 
  » (OC VI/4, p. 371). Ainsi, 
  les Cahiers peuvent se lire à plusieurs niveaux : une psychologie ou 
  description de l’homme tel qu’il est (une herméneutique de la condition 
  humaine), une série d’exercices à pratiquer afin d’opérer une transformation 
  de soi nécessaire pour l’accès à la vérité, le récit en creux de l’expérience 
  spirituelle de Simone Weil et de ce qui lui est donné de recevoir 5 . Les 
  Cahiers atteignent un sommet dans les dernières pages du Cahier XV, 
  c’est-à-dire au mois d’octobre 1942. Cet ouvrage, d’une profondeur encore 
  inouïe, invite à faire une expérience : « La vérité, prévient Simone Weil, ne 
  se trouve pas par preuves, mais par exploration. Elle est toujours 
  expérimentale » (OC VI/4, p. 177 ) .  
    
     
  L’Enracinement , ou 
  l’inspiration pour notre civilisation   
    
  « Une doctrine ne 
  suffit à rien, explique Simone Weil, mais il est indispensable d’en avoir 
  une, ne serait-ce que pour éviter d’être trompé par les doctrines fausses » 
  (EL, p. 151). L’une de ces doctrines fausses sur laquelle Simone Weil a 
  beaucoup écrit et avec laquelle elle prendra ses distances, c’est le marxisme 
  ; l’œuvre de Marx est pleine de confusions, malgré des vues géniales, et plus 
  encore celle de Lénine. Sa doctrine philosophique – qui n’est pas un système 
  clos sur lui-même – Simone Weil l’expose dans L’Enracinement et dans les 
  autres « Ecrits de Londres ». L’abondance des textes écrits entre son arrivée 
  à Londres, à la mi-décembre 1942 et son hospitalisation, le 15 avril 1943, 
  est considérable. Simone Weil écrit jour et nuit. Certains de ces textes sont 
  encore inédits. D’octobre 1941 jusqu’au mois d’avril 1943, c’est la « grande 
  année » de Simone Weil. En effet, au cours de cette année et demi, elle livre 
  l’essentiel de ce qu’elle a à dire, ce « dépôt d’or pur » qu’elle doit 
  transmettre (EL, p. 250 ; Œ, p. 1228). Dans un projet de préface pour 
  l’Enracinement , son éditeur, Albert Camus, écrit : « Il me paraît 
  impossible d’imaginer pour l’Europe une renaissance qui ne tienne pas compte 
  des exigences que Simone Weil a définies dans l’Enracinement . C’est dire 
  l’importance de ce livre. Et en vérité cette œuvre tout entière consacrée à la 
  justice, une justice la portera peu à peu à ce premier rang que son auteur 
  refusa obstinément durant sa vi e » 6 . Car la vie spirituelle intense de 
  Simone Weil ne la détourne pas de l’action et de la réflex ion politique et, 
  en effet, l’Enracinement est (dans la ligne de la République de Platon, 
  intégrant et pensant au-delà des acquis de la philosophie de Kant) un grand 
  livre de philosophie politique. Ecrit d’un seul mouvement, presque sans 
  ratures, laissé inachevé, l’Enracinement , destiné au premier chef à la 
  Direction de l’Intérieur de la France libre et au général de Gaulle, veut 
  donner une orientation et des principes d’action au « mouvement français de 
  Londres ». C’est un état des lieux de la France après la défaite de 1940 et un 
  bilan de toute la civilisation occidentale. Plus que  
    
      
  5 Il 
  faudrait justifier cela mieux que nous ne pouvons le faire dans le cadre de 
  cette courte présentation. Nous renvoyons à Pascal David, « ‘Philosophie, 
  chose exclusivement en acte et pratique.’ L’écriture philosophique des Cahiers 
  comme exercice de l’absence », in Cahiers Simone Weil , tome XXXI, n° 2, juin 
  2008, pp. 119-151. Article initial dont les analyse sont approfondies dans les 
  deux textes suivants : « ‘Une opération qui doit transformer toute notre 
  âme’. La philosophie comme transformation de soi dans les Cahiers de Simone 
  Weil », contribution à un ouvrage collectif sous la dir. de Chantal Delsol, 
  Simone Weil , coll. « Cahiers d'histoire de la philosophie », P aris, Éditions 
  du Cerf, 2009 et « L'écriture d'un départ. À propos des Cahiers de Simone Weil 
  », à paraître in Cahiers Simone Weil .  
  6 
  Albert Camus, « Préface et projet de préface à L’Enracinement » (1949), in 
  Œuvres complètes , tome II : Essais , « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, 
  Gallimard, 1 965, pp. 1700-1702. 
       
    
  cela, il s’agit d’une 
  réflexion sur la condition humaine, qui déploie une anthropologie 
  philosophique, une philosophie de l’histoire, une philosophie politique et 
  sociale. Une question implicite à laquelle Simone Weil veut apporter une 
  réponse est la suivante : qu’est-ce qui a rendu Hitler possible ? Car « Hitler 
  », ce n’est pas une anomalie, un monstre ou un miracle diabolique. Hitler est 
  une conséquence logique, cohérente, inévitable de l’histoire occidentale.
  Hitler, lit-on dans une note écrite à Londres, « serait inconcevable 
  sans la technique moderne et l’existence de millions d’hommes déracinés » 
  7 . Au moment où Simone Weil rédige l’Enracinement , cela fait plus de dix ans 
  qu’elle s’intéresse à la situation en Allemagne. Au cours d e l’été 1932, elle 
  séjourne près de deux mois à Berlin et prend conscience de ce qui est en train 
  d e s’y préparer. Dans un premier article sur « L’Allemagne en attente », 
  publié dans La Révolution prolétarienne le 25 octobre 1932, elle prévenait : « 
  Hitler signifie le massacre organisé, la suppression de toute liberté et de 
  toute culture. » Elle écrit cela en 1932, plusieurs semaines avant 
  l’accession d’Hitler au pouvoir. Simone Weil, lucide observatrice de son 
  temps, développera son analyse dans de nombreux articles, dont les acquis 
  seront recueillis dans « Quelques réflex ions sur les origines de l’hitlérisme 
  », en 1939. Ce qui est faussé, tordu, dans notre lecture des événements, 
  c’est notre conception de la force et de la grandeur, notre conception de 
  l’histoire. Nous éprouvons naturellement de l’admiration pour les forts et 
  du mépris pour les faibles. Dans une classe de collège, dans un groupe 
  quel qu’il soit, dans une société, ce sont les forts, ceux qui dominent qui 
  suscitent notre admiration. C’est ce que Simone Weil nomme le social , la 
  fausse grandeur, celle du prestige social. Nous nous inclinons devant la 
  force, pour en faire une idole, au mépris du bien. Nous ne pouvons nous 
  défendre d’admirer l’empire Romain, plutôt que les Carthaginois vaincus, celui 
  qui obtient et exerce le pouvoir, plutôt que celui qui est écrasé par la 
  force. Et c’est de Rome que nous vient cette idolâtrie de la force. 
  Hitler ne fait rien d’autre que mettre cela en œuvre, exercer la force. 
  C’est donc notre sentiment même du sens de la grandeur qu’il faut transformer 
  .  
  La maladie dont 
  souffre notre civilisation, Simone Weil la nomme déracinement . Le 
  déracinement, c’est la perte de contact avec l’univers et avec le passé, c’est 
  n’être chez soi nulle part, c’est la condition des ouvriers qui sont 
  soumis à chaque instant aux ordres, aux cadences, à la peur du chômage, des 
  paysans qui ne sont pas propriétaires de leur terre mais doivent travailler 
  pour le profit de « sociétés anonymes », des peuple s colonisés auxquels on 
  enseigne « nos ancêtres les gaulois », c’est la domination économique, le 
  règne de l’argent et la recherche exclusive du profit, c’est le malheur, autre 
  concept cardinal, nous l’avons vu. Si le corps a des besoins qu’il doit 
  satisfaire pou r vivre (nourriture, hygiène, logement, etc.), il existe aussi 
  des « besoins de l’âme » 8 . Et parmi ces besoins, le tout premier est le 
  beso in d’ enracinement dans des collectivités . Qu’est-ce qu’une 
  collectivité ? Un lien entre le passé et l’avenir. Une collectivité – 
  (hcq: le couple époux ...) famille, patrie, région, 
  syndicat, ordre religieux, paroisse, ou toute autre institution qui possède 
  une histoire – « conserve vivants certains trésors du passé et certains 
  pressentiments d'avenir » (E, p. 61). De ce passé conservé, nous avons 
  besoin pour vivre ; en étant partie prenante d’une collectivité, nous entrons 
  dans une histoire qui devient notre histoire. Le passé nous inspire, nous 
  constitue et nous fait vivre. Chaque être humain a besoin d’avoir plusieurs 
  racines , autrement dit d’être inséré dans plusieurs milieux humains 
  desquels il recevra l’essentiel de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle. 
  Ces milieux vitaux , nous en faisons naturellement partie en fonction de notre 
  origine, de notre profession, du lieu où nous habitons. Nous pouvons être, par 
  exemple, breton ou parisien, membre de la famille franciscaine ou de la 
  Jeunesse Ouvrière Chrétienne, membre d’un syndicat  
      
  7 « 
  Observations concernant l’essai sur Hitler », texte inédit, Fonds Simone 
  Weil, département des Manuscrits, Bibliothèque nationale de France (souligné 
  par l’auteur). 8 L’étude des « besoins de l’âme » fait l’objet de l a 
  première partie de l’Enracinement et de l’ébauche d’une « Etude pour une 
  déclaration des obligations envers l’être humai n » (EL, pp. 74-84). Parmi les 
  besoins de l’âme, mentionnons l’ordre, la vérité, la liberté d’expression, la 
  liberté et l’obéissance, l’égalité et la hiérarchie, etc. 
       
    
  8 ou agriculteur, 
  appartenant à telle famille qui a son histoire unique, tout en étant français 
  et européen. De ces milieux vitaux, notre âme reçoit la nourriture 
  indispensable à son développement. Mais ces collectivités ne sont pas des 
  fins et il n e faudrait pas en faire des absolus, des idoles. Ce sont des 
  moyens – plus précisément des médiations , ce que Simone Weil appelle des 
  metaxu 
  – au service de la destinée des 
  êtres humains et de leur salut, qui transcende toute collectivité et toute 
  réalité d’ici-bas. Rien de ce monde ne vient combler le cœur de l’homme. 
  Notre vrai trésor n’est pas ici- bas et ce n’est pas ici-bas que doit être 
  notre cœur. 
  Tous les mouvements de notre corps et de notre pensée sont gouvernés par les 
  lois de ce monde, 
  par la force souveraine , excepté l’action du surnaturel dans l’âme, autrement 
  dit du Bien transcendant présent de manière infinitésimale ici- bas, en 
  secret. Le surnaturel est un 
  concept capital de la philosophie de Simone Weil. 
  Le surnaturel n’est pas l’arbitraire. Il y a une logique de la raison 
  surnaturelle et, corrélativement, une connaissance surnaturelle : « L'œuvre 
  entière de saint Jean de la Croix n'est qu'une étude rigoureusement 
  scientifique des mécanismes surnaturels. La philosophie de Platon aussi n'est 
  pas autre chose » (E, pp. 332-333 ; Œ, p. 1193). Le surnaturel n’est pas 
  réservé à quelques-uns ; c’est un concept indispensable pour penser la 
  condition humaine. Le surnaturel est actif dans l’âme dans laquelle il est 
  semé, il est source d’ inspiration . Simone Weil, pour peu qu’on la lise, 
  permet de pe
  nser 
  à nouveaux frais les questions de la légitimité du politique, de la démocratie 
  et de l’Europe, de l’inscription de la religion dans l’espace public. Dans le 
  domaine du surnaturel, du bien spirituel, m ais dans ce domaine seulement, le 
  désir opère. Le désir est efficace par lui-même. Ou, pour le dire autrement, 
  en ce qui concerne la rencontre avec Dieu, quand on désire du pain, on ne 
  reçoit pas des pierres... « Le désir, orienté vers Dieu, est la seule force capable 
  de faire monter l'âme. Ou plutôt c'est Dieu seul qui vient saisir l'âme et la 
  lève, mais le désir 
  seul oblige Dieu à descendre. Il ne vient qu'à c eux qui lui demandent de 
  venir ; et ceux qui demandent souvent, longtemps, ardemment, Il ne peut pas 
  s'empêcher de descendre vers eux. (...) L'effort par lequel l'âme se sauve 
  ressemble à celui par lequel on regarde, par lequel on écoute, par lequel une fiancée dit oui. 
  C'est un acte d'attention et de consentement » (AD, pp. 91 et 189).  
    
     
  L’ Attente de Dieu 
  , ou l’attention au réel   
    
  A quoi faisons-nous 
  attention ? Et savons-nous même faire attention ? Car il s’agit bien de cela – 
  apprendre à faire attention. L’ attention est un concept clé de 
  l’anthropologie philosophique de Simone Weil, depuis les premiers écrits 
  philosophiques (à partir de 1925) j usqu’aux grands textes des années 1942 et 
  1943. Dans son « autobiographie spirituelle », elle écrit au père Perrin : « À 
  quatorze ans je suis tombée dans un de ces désespoirs sans fond de 
  l'adolescence, et j'ai sérieusement pensé à mourir, à cause de la médiocrité 
  de mes facultés naturelles. (...) Je ne regrettais pas les succès extérieurs, 
  mais de ne pouvoir espérer aucun accès à ce royaume transcendant où les 
  hommes authentiquement grands s ont seuls à entrer et où habite la vérité. 
  J'aimais mieux mourir que de vivre sans elle. Après des mois de ténèbres 
  intérieures j'ai eu soudain et pour toujours la certitude que n'importe quel 
  être humain, même si ses facultés naturelles sont presque nulles, pénètre 
  dans ce royaume de la vérité réservée au génie, si seulement il désire la 
  vérité et fait perpétuellement un effort d'attention pour l'atteindre. (...) 
  Plus tard, quand les maux de tête ont fait peser sur le peu de facultés que je 
  possède une paralysie que très vite j'ai supposée probablement définitive, 
  cette même certitude m'a f ait persévérer pendant dix ans dans des efforts 
  d'attention que ne soutenait presque aucun espoir d e résultats » (AD, pp. 
  38-39 ; Œ, pp. 768-769). La philosophie de Simone Weil n’est pas d’abord une 
  philosophie de la condition humaine (des conditions d’existence ), ni une 
  philosophie du travail, ni une critique d es idéologies, ni une philosophie de 
  l’histoire, ni une métaphysique du don, ni une doctrine politique et sociale 
  (bien qu’elle soit tout cela), c’est d’abord une interpellation . Un appel 
  adressé à tout homme, quelsque soient ses aptitudes intellectuelles, « n'impor 
  te quel être humain, dit Simone Weil, même si ces facultés naturelles sont 
  presque nulles ». En c ela, elle est restée cartésienne. La philosophie de 
  Simone Weil est fondamentalement une éthique – non pas une loi, car le bien 
  véritable est au- delà de l’opposition entre le bien et le mal, mais un 
  travail de transformation, ou de conversion de soi, qui suppose un effort 
  d’attention. Qu’est-ce que l’attention ? L’attention est un effo rt, mais 
  n’est pas un effort de la volonté, encore moins une espèce d’effort 
  musculaire, car il n’y a pas d’attention véritable qui ne soit portée par le 
  désir et l’amour. « L'attention est u n effort, le plus grand des efforts 
  peut-être, mais c'est un effort négatif » (AD, p. 92). Il ne s’agit pas de 
  faire quelque chose, mais bien plutôt de se retenir de faire, de renoncer à 
  exercer une emprise , de laisser être autre chose que soi, et c’est pourquoi 
  faire attention est si difficile : « L'attention consiste à suspendre sa 
  pensée, à la laisser disponible, vide et pénétrable à l'objet (... ). La 
  pensée doit être vide, en attente, ne rien chercher, mais être prête à 
  recevoir dans sa vérité nue l'objet qui va y pénétrer » (AD, pp. 92-93). 
  L’attention véritable suppose que je renonce à moi et à « mes » pensées. 
  Renonçant à moi, à mes pensées, à ma perspective , j’accède à la vérité. Car, 
  c’est lorsque « moi » je ne suis pas là que la vérité se manifeste. Lorsque « 
  moi », je laisse des traces , c’est qu’il y a erreur. Prenons un exemple. Dans 
  une opération aussi simple que « 7 + 8 = 15 » : si je pense « 7 + 8 = 16 », 
  c’est moi qui me trompe, il y a trace de ma personne dans l’opération. Mais 
  lorsque je pense « 7 + 8 = 15 », il n’y a pas trace de ma personne, ce n’est 
  pas « moi » qui fais que « 7 + 8 = 15 ». Ainsi, la personne, ou le moi, 
  s’efface pour autant que l’intelligence s’exerce. Penser consiste à établir 
  des relations, mettre des termes en rapport, s’extraire de tout ce qui 
  singularise un individu et que Simone Weil nomme « la personne ». L’exercice 
  de l’intelligence est éminemment impersonnel . La vérité et la perfection sont 
  impersonnelles. Penser signifie accéder à l’universel. La vérité n’est pas 
  faite par l a pensée ; au contraire, c’est l’âme, lorsqu’elle renonce à la 
  perspective qui est la sienne, c’est-à-dire à ses intérêts, qui s’ouvre à la 
  vérité et au réel : « Tant que l'homme tolère d'avoir l'âme emplie de s es 
  propres pensées, de ses pensées personnelles, il est entièrement soumis 
  jusqu'au plus intime de s es pensées à la contrainte des besoins et au jeu 
  mécanique de la force. S'il croit qu'il en est autrement, il est dans 
  l'erreur. Mais tout change quand , par la vertu d'une véritable attention, il 
  vide son âme pour y laisser pénétrer les pensées de la sage sse éternelle » 
  (E, p. 366 ; Œ, p. 1211). La vie de l’esprit consiste à faire attention. Et cela à tous les niveaux. Résoudre une équation mathématique ou traduire un vers 
  grec suppose de faire attention. Aimer signifie renoncer à soi et faire 
  attention à autre chose que soi. Cela vaut inséparablement pour l’amour de 
  Dieu et pour l’amour du prochain. Qu’est-ce que pri er, sinon faire attention 
  à celui qui se donne, qu’est-ce qu’aimer, sinon faire attention : « Ce n'est 
  pas seulement l'amour de Dieu qui a pour substance l'attention. L'amour du 
  prochain, dont nous savons que c'est le même amour, est fait de la même 
  substance. Les malheureux n'ont pas besoin d'autre chose en ce monde que 
  d'hommes capables de faire attention à eux. La capacité de faire attention à 
  un malheureux est chose très rare , très difficile (...). Presque tous ceux 
  qui croient avoir cette capacité ne l'ont pas. La chaleur, l'él an du cœur, la 
  pitié n'y suffisent pas. La plénitude de l'amour du prochain, c'est (...) 
  savoir que le malheu reux existe, non pas comme unité dans une collection, non 
  pas comme un exemplaire de la catég orie sociale étiquetée ‘malheureux’, mais 
  en tant qu'homme, exactement semblable à nous, qui a é té un jour frappé et 
  marqué d'une marque inimitable par le malheur. Pour cela il est suffisant, 
  mais indispensable, de savoir poser sur lui un certain regard » (AD, pp. 
  96-97). L’attention est une disponibilité, une orientation de la pensée qui 
  écarte toutes les pensées particulières (personnelles), qui fait le vide et 
  attend . Car le bien réel ne peut venir que du dehors . Nous ne pouvons pas 
  fabriquer quelque chose qui soit meilleur que nous. Ainsi, l’effort tendu 
  véritablement vers le bien ne doit jamais aboutir e t se termine en désespoir. 
  C’est alors, lorsque nous n’attendons plus rien de notre attente que, du 
  dehors , don gratuit , merveilleuse surprise , vient le don . 
    
  10 La vérité n’est pas 
  essentiellement l’objet d’un discours, mais d’une expérience qui suppose une 
  transformation à la racine même de notre sensibilité : « Nous sommes dans 
  l’irréalité, dans le rêve. Renoncer à notre situation centrale imaginaire, y 
  renoncer non seulement par l’intelligence, mais aussi dans la partie 
  imaginative de l’âme, c’est s’éveiller au réel, à l’éternel, voir la vraie 
  lumière, entendre le vrai silence » (AD, p. 148). Il faut « se vider de sa 
  fausse divinité, se nier soi-même, renoncer à être en imagination le centre du 
  monde, discerner tous les points du monde comme étant des centres au même 
  titre et le véritable centre comme étant hors du monde » ( ibid .). C’est à 
  un décentrement de soi qu’appelle Simone Weil. Renoncer à soi-même, 
  renoncer à toutes nos idoles, que ce soit notre « moi » ou notre prestige 
  social, pour consentir au réel et désirer un bien qui n’est pas de ce monde. 
  Cette manière de vivre, Simone Weil n’a cessé de l’ indiquer par sa vie et son 
  œuvre, de multiples façons et en s’y reprenant à chaque fois. Peu avant de 
  mourir, elle confie à Maurice Schumann : 
  « En mettant à part ce qu’il peut 
  m’être accordé de faire pour le bien d’autres êtres humains, pour moi 
  personnellement la vie n’a pas d’autre sens, et n’a jamais eu au fond d’autre 
  sens, que l’attente de la vérité » (EL, p. 213).  
    
     
  Pour aller plus 
  loin... 
    
   Simone Weil, 
  Œuvres , coll. « Quarto », Paris, Gallimard, 1999. Une ant hologie de 58 
  textes.  
  Simone Pétrement, La 
  vie de Simone Weil , Paris, Fayard, 1997. La biographie de référence. Miklos 
  Vetö, La métaphysique religieuse de Simone Weil , coll. « Ouverture 
  philosophique », Paris, L’Harmattan, 1997.  
  Une bonne 
  introduction, un « classique ». Les études weiliennes sont particulièrement 
  vivante s ces dernières années, en France, mais aussi à l’étranger (Italie, 
  Etats-Unis, Japon, ...).  
  Il existe une 
  Association pour l’étude de la pensée de Simone Weil, qui organise un colloque 
  annuel et publie chaque trimestre les Cahiers Simone Weil 9 .  
    
  PASCAL DAVID 
     
   
    
    
  
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