EXTRAITS
PREMIER CHAPITRE
NOUS AVONS CRU EN L’AMOUR
( hcq : ..je crois EN l'amour...)
... de croître EN le croire ...
En la vérité
24. ...le texte d’Isaïe porte à une conclusion :
l’homme a besoin de connaissance, il a besoin de vérité, car sans elle, il
ne se maintient pas, il n’avance pas. La foi, sans la vérité, ne
sauve pas, ne rend pas sûrs nos pas. Elle reste un beau conte, la
projection de nos désirs de bonheur, quelque chose qui nous satisfait
seulement dans la mesure où nous voulons nous leurrer. Ou bien elle se
réduit à un beau sentiment, qui console et réchauffe, mais qui reste lié à
nos états d’âme, à la variabilité des temps, incapable de soutenir une
marche constante dans notre vie. Si la foi était ainsi, le roi Achaz
aurait eu raison de ne pas miser la vie et la sécurité de son royaume sur
une émotion. Par son lien intrinsèque avec la vérité, la foi est capable
d’offrir une lumière nouvelle, supérieure aux calculs du roi, parce
qu’elle voit plus loin, parce qu’elle comprend l’agir de Dieu, fidèle à
son alliance et à ses promesses.
25. Justement à cause de la crise de la vérité dans laquelle nous
vivons, il est aujourd’hui plus que jamais nécessaire de rappeler la
connexion de la foi avec la vérité. Dans la culture contemporaine,
on tend souvent à accepter comme vérité seulement la vérité de la
technologie : est vrai ce que l’homme réussit à construire et à
mesurer grâce à sa science, vrai parce que cela fonctionne, rendant
ainsi la vie plus confortable et plus aisée. Cette vérité semble
aujourd’hui l’unique vérité certaine, l’unique qui puisse être
partagée avec les autres, l’unique sur laquelle on peut discuter et
dans laquelle on peut s’engager ensemble. D’autre part, il y aurait
ensuite les vérités de chacun, qui consistent dans le fait d’être
authentiques face à ce que chacun ressent dans son intériorité,
vérités valables seulement pour l’individu et qui ne peuvent pas être
proposées aux autres avec la prétention de servir le bien commun. La
grande vérité, la vérité qui explique l’ensemble de la vie personnelle
et sociale, est regardée avec suspicion. N’a-t-elle pas été peut-être
— on se le demande — la vérité voulue par les grands totalitarismes
du siècle dernier, une vérité qui imposait sa conception globale pour
écraser l’histoire concrète de chacun ? Il reste alors seulement
un relativisme dans lequel la question sur la vérité de la
totalité, qui au fond est aussi une question sur Dieu, n’intéresse
plus. Il est logique, dans cette perspective, que l’on veuille
éliminer la connexion de la religion avec la vérité, car ce lien
serait la racine du fanatisme, qui cherche à écraser celui qui ne
partage pas la même croyance. Nous pouvons parler, à ce sujet, d’un
grand oubli dans notre monde contemporain. La question sur la vérité
est, en effet, une question de mémoire, de mémoire profonde, car elle
s’adresse à ce qui nous précède et, de cette manière, elle peut
réussir à nous unir au-delà de notre « moi » petit et limité. C’est
une question sur l’origine du tout, à la lumière de laquelle on peut
voir la destination et ainsi aussi le sens de la route commune.
.....
DEUXIÈME CHAPITRE
SI VOUS NE CROYEZ PAS,
VOUS NE COMPRENDREZ PAS
( l'hcq : ...l' ENtre
relationnalité F-H ..)
27. La manière dont le philosophe Ludwig Wittgenstein a expliqué la
connexion entre la foi et la certitude est bien connue. Croire serait
semblable, selon lui, à l’expérience de tomber amoureux, une
expérience comprise comme subjective, qui ne peut pas être proposé
comme une vérité valable pour tous[19]. Pour l’homme moderne, en
effet, la question de l’amour semble n’avoir rien à voir avec le vrai.
L’amour se comprend aujourd’hui comme une expérience liée au monde des
sentiments inconstants, et non plus à la vérité.
Est-ce là vraiment une description adéquate de l’amour ? En
réalité, l’amour ne peut se réduire à un sentiment qui va et vient. Il
touche, certes, notre affectivité, mais pour l’ouvrir à la personne
aimée et pour commencer ainsi une marche qui est un abandon de la
fermeture en son propre « moi » pour aller vers l’autre personne, afin
de construire un rapport durable ; l’amour vise l’union avec la
personne aimée. Se manifeste alors dans quel sens l’amour a besoin de
la vérité. C’est seulement dans la mesure où l’amour est fondé sur la
vérité qu’il peut perdurer dans le temps, dépasser l’instant éphémère
et rester ferme pour soutenir une marche commune. Si l’amour n’a pas
de rapport avec la vérité, il est soumis à l’instabilité des
sentiments et il ne surmonte pas l’épreuve du temps. L’amour vrai, au
contraire, unifie tous les éléments de notre personne et devient une
lumière nouvelle vers une vie grande et pleine. Sans vérité l’amour ne
peut pas offrir de lien solide, il ne réussit pas à porter le « moi »
au-delà de son isolement, ni à le libérer de l’instant éphémère pour
édifier la vie et porter du fruit.
Si l’amour a besoin de la vérité, la vérité, elle aussi, a
besoin de l’amour. Amour et vérité ne peuvent pas se séparer. Sans
amour, la vérité se refroidit, devient impersonnelle et opprime la vie
concrète de la personne. La vérité que nous cherchons, celle qui donne
sens à nos pas, nous illumine quand nous sommes touchés par l’amour.
Celui qui aime comprend que l’amour est une
expérience de vérité, qu’il ouvre lui-même nos yeux pour voir toute la
réalité de manière nouvelle, en union avec la personne aimée.
En ce sens, saint Grégoire le Grand a écrit que « amor ipse
notitia est », l’amour même est une connaissance, il porte en soi une
logique nouvelle[20]. Il s’agit d’une manière relationnelle de
regarder le monde, qui devient connaissance partagée, vision dans la
vision de l’autre et vision commune sur toutes les choses. Guillaume
de Saint Thierry, au Moyen-âge, suit cette tradition quand il commente
un verset du Cantique des Cantiques où le bien-aimé dit à la
bien-aimée : Tes yeux sont des yeux de colombes (cf. Ct 1, 15)[21].
Ces yeux de la bien-aimée, explique Guillaume, sont la raison croyante
et l’amour, qui deviennent un seul oeil pour parvenir à la
contemplation de Dieu, quand l’intellect se fait « intellect d’un
amour illuminé »[22].
28. Cette découverte de l’amour comme source de connaissance, qui
appartient à l’expérience originelle de tout homme, trouve une
expression importante dans la conception biblique de la foi. En
expérimentant l’amour avec lequel Dieu l’a choisi et l’a engendré
comme peuple, Israël arrive à comprendre l’unité du dessein divin, des
origines à l’accomplissement. Du fait qu’elle naît de l’amour de Dieu
qui conclut l’Alliance, la connaissance de la foi est une connaissance
qui éclaire le chemin dans l’histoire. C’est en outre pour cela que,
dans la Bible, vérité et fidélité vont de pair, et le vrai Dieu est le
Dieu fidèle, celui qui maintient ses promesses et permet, dans le
temps, de comprendre son dessein. À travers l’expérience des
prophètes, dans la douleur de l’exil et dans l’espérance d’un retour
définitif dans la cité sainte, Israël a eu l’intuition que cette
vérité de Dieu s’étendait au-delà de son histoire, pour embrasser
toute l’histoire du monde, depuis la création. La connaissance de la
foi éclaire, non seulement le parcours particulier d’un peuple, mais
tout le cours du monde créé, de ses origines à sa consommation.