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la forêt du pouvoir   ....Meilleurs Voeux

 Chaque semaine dans Valeurs Actuelles, M. de Rastignac commente la vie politique  parisienne à la manière d'Honoré de Balzac.

Son libelle du 17 Janvier 2003,  m'a paru particulièrement savoureux et croustillant. Une belle vision de la France d'en haut....... de la forêt du pouvoir .... de la tranche Etat-Médias....

 

 

Meilleurs Voeux

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En France, où sous des apparences égalitaires l'on pousse jusqu'à la fureur la passion de la hiérarchie, l'affaire a pris des proportions inouïes. Les voeux se répandent du haut jusqu'en bas de l'échelle sociale, en mille cérémonies qui occupent tout le mois de janvier. Le chef de l'Etat présente ses voeux aux ministres, les ministres aux directeurs, les directeurs aux chefs de bureau, les chefs de bureau aux employés, les employés aux surnuméraires, les surnuméraires aux saute-ruisseau, et comme il ne saurait y avoir de fête réussie sans la présence des gazettes, chacun se fait un devoir de présenter ses vœux aux journalistes

Les discours de nouvel an sont des uniformes de l'âme, des armures de la pensée. Le premier ministre promet un bon gouvernement, le ministre des Paysans d'abondantes récoltes, le ministre des Finances qu'on baissera les impôts. Au reste, les gazetiers n'y accordent aucune importance: on ne va pas aux voeux pour écouter, on y va pour voir et surtout pour être vu.

Vous le savez, Paris est une jungle. De même que les différentes races animales se retrouvent au point d'eau où elles cohabitent pour un temps, les différentes espèces journalistiques se réunissent autour du buffet: on s'y observe, on s'y jauge, on y mesure à mille signes la place que chacun occupe dans la forêt du pouvoir.

Il y a au premier rang le régiment de ceux qui notent scrupuleusement tout ce qui est dit dans les discours ceux-là sont la piétaille des gazettes, espèce réputée sans importance.

Il y a, juste au-dessus, l'escadron des coulissiers: ceux­ font profession de mépriser les propos officiels; ils suivent pas à pas la puissance invitante une fois qu'elle a fini  son speech et, l'oreille tendue au-dessus de la foule des courtisans,ils notent fiévreusement les banalités plus ou moins spirituelles qu'il échange avec ses invités. Ils en tirent des articulets tissés de complaisance ou d'insolence, selon que la feuille où ils écrivent est ou non gouvernementale.

A bonne distance, se tient la phalange des Premiers-Paris. Ceux-là n'écrivent rien, ils observent: figés dans un noble maintien, ils emmagasinent la matière vivante qui fera, avec beaucoup de sauce, la matière de leurs éditoriaux. Ils fuient donc comme la peste toute information nouvelle qui serait susceptible de contrarier le beau raisonnement avec le­uel ils sont arrivés et qu'ils comptent bien resservir à peine verni d'actualité.. Encore derrière, dans l'ombre d'un pilier, sous les plis d'une tenture, se tiennent les vraies puissances, entourées d'un halo de respect. Ceux-là n'ont jamais écrit ou n'écrivent plus depuis longtemps ; ils sont patrons de journaux directeurs de société lucarnière, actionnaires de gazettes sonores. Avec eux, quelques ténors de la lucarne que leur célébrité autorise à côtoyer la richesse. Plongés dans des conversations interminables, ils semblent ne rien voir de la pièce qui se joue au­tour d'eux; ils ne causent avec le ministre qu'en tête à tête et de puissance à puissance. Ils sont le vrai pouvoir, celui qui n'est pas renversé tous les cinq ans.

Cela mis à part, peu de chose. Si, tout de même: on a supprimé les truffes sur les buffets de l'ambigu de Matignon*. C'est à des signes comme celui-ci que l'on voit que la gauche a perdu les élections.

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* le premier ministre

 

25.01.03

 
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