NAVIRE
Lorsque son navire glisse sur
les courants du monde
Dans le silence du clapotis des
ondes
Loin du bruit de l'équipage
Le Capitaine, de son grand
livre, tourne la page.
Par écrit, de toute sa journée,
il rapporte
Des heurs et malheurs la
cohorte
Simplement, fidèlement, sans
gloire ni honte
Pour la mémoire des hommes, il
conte.
Ils furent cent, ils furent
mille
Non bien plus ! Et tous fort
habiles
En des siècles de patience
Ils construisirent toute la
science
Non seulement les écueils de la
mer
Mais aussi tous les pièges de
l'univers
Et grâce à cette montagne de
labeur
L'homme avisé maîtrise le
malheur
Longuement au fil des
générations
En partage entre toutes les
nations
La race des hommes consolide sa
survie
En transmettant les données de
l'acquit.
Pierre angulaire ou grain de
sable
Rien d'inutile pour que la tour
soit stable,
Qu'il est solide et beau
l'édifice
Maçonné aux sangs des
sacrifices
Mais voici la vague sur sa
crête
Qui charrie la fureur et la
Bête
Celle qui empoisonne et l'air
et les coeurs
Celle qui répand et la mort et
la peur
Celle qui jubile lorsqu'elle
distille la haine
Celle qui se délecte de votre
sang, de vos peines.
Elle arrive. Pour s'ancrer
elle cherche alliance,
Avec des hommes sans
conscience
Ils sont médiocres dans leur
médiocrité
Aussi la Bête en son élan de
charité
Leur fait savoir qu'ils
domineront la terre
A simple condition d'assassiner
les pères
Ceux qui par leur labeur ont
dressé l'édifice
Qu'il faut miner en
l'imprégnant de vices,
Les voici, méfiez-vous car leur
jalousie
Déclenche et sous-tend leur
triste frénésie,
Ils s'élancent au travail et
prennent la parole
Pour scier et détruire la
valeur des symboles,
Pour corrompre la science, leur
souffle méphitique
Transforme les vérités solides
en nuages artistiques,
Ils érigent les droits,
escamotent les devoirs
Elèvent l'élucubration au
niveau du savoir
Et proclament que tout sera
bien plus facile
Lorsqu'on se décidera enfin, à
tuer ces vieux séniles
Humains prenez garde ! L'acquit
millénaire
Menace ruine, ébranlé déjà par
leur rage délétère
L'effondrement serait perte
inestimable,
Vous répugner à les saigner car
vous êtes charitables.
N'oubliez pas la menace de la
Bête, qui crache le venin
Afin que vos enfants ne mangent
pas demain,
N'ayez aucune pitié, il faut
qu'ils disparaissent
C'est nécessité absolue pour
survie de l'espèce
Alors que son navire glisse sur
les courants du monde
Dans le silence du clapotis des
ondes
Loin du bruit de l'équipage
Le Capitaine, de son grand
livre tourne la page
Il décrit en détail comment
l'attaque de la Bête
Fondant à l'improviste, rapide
sur leurs têtes
A pu être détournée de justesse
Par une riposte sans faiblesse.
Jean-Charles Demagny
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