• « II.
L'économie bureaucratique
19. Le processus économique en Russie
se déroule fondamentalement entre deux catégories sociales : le
prolétariat, ensemble des travailleurs non qualifiés ne disposant que de
leur force de travail et la bureaucratie qui groupe les personnes ne
participant pas à la production matérielle et assumant seulement la
direction et le contrôle du travail des autres. Entre ces deux catégories
s'intercale une aristocratie ouvrière et intellectuelle, plus ou moins
privilégiée. Ce qui définit les deux catégories fondamentales en tant que
classes, c'est leur rôle absolument différent par rapport à la production.
20. Le caractère de classe du processus
productif en Russie est garanti :
a) par la possession effective de
l'appareil productif par la bureaucratie qui en dispose totalement et par la
dépossession totale du prolétariat ;
b) par le monopole exercé par la
bureaucratie quant à la direction de la production ;
c) par l'orientation imprimée par la
bureaucratie à la production, et destinée à servir les intérêts bureaucratiques.
Les plans de production ne sont que l'expression chiffrée des intérêts
bureaucratiques.
21. Ni les plans de production, ni la
"nationalisation" des moyens de production à eux seuls n'ont rien à voir avec la
collectivisation de l'économie. Collectiviser économie signifie donner la possession
effective, la direction et la jouissance de 1 économie, inséparables les unes des
autres, à la collectivité ouvrière Cela d'autre part n est possible que si cette
dernière exerce réellement le pouvoir politique .
Aucune de ces conditions n'est remplie en
Russie.
22. Le même caractère de classe détermine
en Russie la répartition du revenu social entre les diverses
catégories. Tandis que pour le prolétaire la seule source de revenu est le produit de la vente de
sa force de travail (salaire), le bureaucrate jouit d un sur-revenu sans aucun rapport
avec sa contribution productive et analogue à sa place dans la pyramide
bureaucratique.
Ce sur-revenu provient de l'exploitation du
prolétariat [...].
III. L'État bureaucratique
25. La position de classe de la
bureaucratie est appuyée sur l'accaparement de
l' appareil
étatique et garantie par celui-ci. Dans l'état bureaucratique, on observe
le point
culminant du phénomène qui caractérise déjà l'impérialisme: la fusion même
personnelle, de la puissance économique et de la puissance politique.
26. Face à la société bureaucratique, on
doit compléter la définition classique de l'État. L'État est aujourd'hui le
monopole de la violence matérielle, plus le monopole des idées.
IV. L'effondrement de la culture
27. La soi-disant "culture" russe
d'aujourd'hui est un spécimen effroyable d'ignorance, de suffisance, de
simplisme, d'abrutissement et de dogmatisme asiatique. En tant que telle,
elle ne peut subir la comparaison avec aucune époque de la civilisation humaine et constitue en
fait la négation de la culture. La reprise, dans les fabrications "idéologiques" de
la bureaucratie, de thèmes réactionnaires déjà connus (patrie, famille, religion,
etc.) ne signifie pas une orientation vers le retour au capitalisme, mais découle
simplement de la stabilisation d'une classe qui, pour justifier sa domination, se donne
une "idéologie" en la prenant là où elle se trouve. »
Cornélius CASTORIADIS, La Société
bureaucratique, 1, 10/18-UGE,
1973,
pp. 83 sq.