« En sortant du travail à 22 h 15, elle avait décidé
d'attraper le train de 22 h 21, en pensant que ça irait plus vite que
d'attendre taxi. Le wagon était à trois quarts vides. Les quatre types
s'étaient approchés d'elle, ils avaient tout de suite commencé à l'insulter.
D'après ce qu'elle pouvait en savoir, ils étaient de type antillais. Elle
avait tenté de discuter, de plaisanter avec eux; en échange, elle avait
récolté une paire de gifles qui l'avait à moitié assommée. Puis ils
s'étaient jetés sur elles, deux d'entre eux l'avaient plaquée au sol. Il
avait pénétré violemment, sans ménagement, par tous les orifices. Chaque
fois qu'elle tentait d'émettre un sont elle recevait un coup de poing, ou
une nouvelle perd de gifle. Cela avait duré longtemps, le train s'était
arrêté plusieurs fois ; les voyageurs descendaient, changeaient prudemment
de compartiment. En se relayant pour la violer les types continuaient à
plaisanter et à l'insulter, ils la traitaient de salope et de vide-couilles.
À la fin, il n'y avait plus personne dans le compartiment. Ils finirent par
lui cracher et lui pisser dessus, réunis en cercle autour d'elle, puis la
poussèrent à coups de pied, la dissimulant à moitié sous une banquette,
avant de descendre tranquillement gare de Lyon. Les premiers voyageurs
montèrent de minutes plus tard et prévinrent la police, qui arriva presque
tout de suite. Le commissaire n'était pas réellement surpris ; d'après lui
elle avait eu, relativement, de la chance. Il arrivait assez souvent, après
avoir utilisé la fille, que les types la terminent en lui enfonçant une
barre cloutée dans le vagin ou l'anus. C'était une ligne classée comme
dangereuse.
Une note interne rappela aux employés les mesures de
prudence habituelles, insistant sur le fait que des taxis étaient à leur
disposition s'ils devaient travailler tard, et que les frais étaient
intégralement supportés par l'entreprise. La patrouille de vigiles qui
surveillait les locaux et les parkings du personnel fut renforcée.
Ce soir-là Jean-Yves accompagna Valéry, dont la voiture
était en réparation. Au moment de quitter son bureau il jeta un regard sur
le paysage chaotique de maisons individuelles, de centres commerciaux,
d'échangeurs et de tours. Loin à l'horizon, la nappe de pollution donnait au
coucher de soleil d'étranges teintes mauves et vertes. « C'est curieux...
dit-il, en est là, à l'intérieur de l'entreprise, comme des bêtes de somme
très bien nourries. Et à l'extérieur il y a des prédateurs, la vie sauvage.
Je suis allé une fois à Sao Paulo, c'est là que l'évolution a été poussée à
son terme. Ce n'est même plus une ville n'est une sorte de territoire urbain
qui s'étend à perte de vue, avec des favellas, des immeubles de bureaux
gigantesques, des résidences de luxe entourées de gardes armées jusqu'aux
dents. Il y a plus de 20 millions d'habitants, dont beaucoup naissent,
vivent et meurt sans jamais sortir des limites du territoire. Là-bas
l'éruption très dangereuse, même en voiture on peut très bien se faire
braquer à un feu rouge, ou prendre en chasse par une bande motorisée : les
mieux équipés ont des mitrailleuses des lance-roquettes. Pour se déplacer,
les hommes d'affaires et les gens riches utilisent presque uniquement
l'hélicoptère ; il y a des terrains d'atterrissage un peu partout, au sommet
des buildings des banques ou des immeubles résidentiels. Au niveau du sol,
la rue est abandonnée aux pauvres -- et aux gangsters. »
En s'engageant sur l'autoroute du Sud, il ajouta avoir
basse : « J'ai des doutes, en ce moment. J'ai des doutes, de plus en plus
souvent, sur l'intérêt du monde qu'on est en train de construire. »