« La crise qui nous occupe
aujourd'hui relève, à mon sens, d'un face-à-face entre la République
et la Démocratie. » Cette introduction de la philosophe Chantal Delsol
à son dernier livre (1) développe la différence entre la cité de
Platon « qui se méfie du peuple et fait confiance aux gouvernants » et
celle d'Aristote qui « fait confiance au jugement des gouvernés».
L'essence de la république
idolâtrée, avec sa souveraineté absolue, l'Etat-Providence, le service
public à la française, l'égalité, se trouve ainsi mise en cause par le
problème corse, le régionalisme, la construction européenne, l'école,
les retraites, le monopole de la Sécurité sociale, le mondialisme...
Dans un monde qui bouge, nous cherchons notre identité, car « il n'y a
pas de groupe humain sans projet culturel ». C'est la question
française aujourd'hui : république ou démocratie
D'un côté une république
intolérante, figée, unitaire, utopique - et vertueuse, qui veut servir
de modèle au monde, de l'autre une démocratie, fondée sur les valeurs
d'autonomie, de proximité et de solidarité concrète, épousant les
réalités anthropologiques au détriment de l'égalité.
Pourquoi la république refuse-telle
par exemple l'inégalité scolaire ?
Admettra-t-elle un jour la diversité
des universités et des diplômes ? Nous sommes prisonniers de ce mythe
de l'égalité, dans lequel la République a éduqué les citoyens. Pour le
républicain, le bien commun est inaccessible à l'homme ordinaire et
doit être porté par une élite éclairée, qui impose sa pensée à un
peuple inculte et des citoyens ignorants. C'est pourquoi il se méfie
de la société civile. Cette pensée de défiance se retrouve dans
Maastricht qui a retourné le principe de subsidiarité pour en faire un
principe jacobin. La primauté de l'égalité a supplanté la liberté. Le
culte de l'égalité est une passion française, d'où les liens étroits
et congénitaux entre le socialisme et la république, qui en est la
forme atténuée et où il trouve une idéologie de compensation.
A l'inverse, la démocratie reconnaît
le sujet libre et par ce côté est issue de l'héritage chrétien qui
octroie la qualité de sujet, opposée à celle d'esclave que véhicule la
république. Le sujet, la personne, précise l'auteur, est libre de ses
choix grâce à une dissémination de pouvoirs multiples, une multitude
de pactes emboîtés où l'ampleur du bien commun s'atténue au niveau
d'entités plus petites. « La vraie démocratie défend la cause de la
quotidienneté : on n'invente pas une idéologie dans un village.»
Ainsi l'auteur plaide-t-il pour
transformer cette république, où se pratique une justice sans amour,
où le partage de la solidarité est planifié par la rationalité et par
l'impôt, en démocratie qui reconnaisse les autorités petites et issues
d'en bas. Le jacobinisme a fait la France moniste et égalitaire. Le
girondisme peut lui permettre d'affronter l'avenir et d'appréhender
les réalités concrètes. Au moment où la Suisse a supprimé sa fonction
publique, on argue de l'incapacité française à promouvoir des groupes
intermédiaires. La démocratie sous-tend le fédéralisme, car les
citoyens cherchent aujourd'hui un groupe à leur mesure, porteur de
significations en rapport direct avec son existence. Le gouvernement
se situe au niveau où les citoyens se sentent soudés.
En préconisant cette démocratie
organique, concrète, fondée sur les corps naturels, Chantal Delsol se
démarque du type de démocratie idéologique, individualiste et
égalitaire qui s'exprime par le suffrage universel : « Au moment où
les citoyens se détournent des gouvernements centraux pour se
rapprocher des lieux de proximité, se redéploient les vieux projets de
gouvernement mondial. Cette fuite en avant de l'universel exprime
l'incapacité dans laquelle nous sommes de vivre dans un monde où il
faudrait se contenter de la bigarure des particularités. » C'est en
quelque sorte la conclusion de Chantal Delsol qui par ses travaux
antérieurs a travaillé à mieux cerner l'idée de subsidiarité (2).
.......
Les nostalgiques de l'Etat-nation
regretteront sans doute le pays du passé, type historique dans le
temps et dans le lieu. Le pays de l'avenir est encore indéterminé,
mais « nous pouvons savoir qu'il sera plus fluide, plus ouvert, nanti
de limites au lieu de frontières et peuplé de souverainetés relatives
et fluctuantes ».
(1) La République : une question
française (PUF).
(2) L'Etat subsidiaire (Edit.
Leviathan, 1992).
(3) « La subsidiarité : un grand
dessein ». Programme auprès de l'Alliance sociale, 11, rue du
Bel-Air, 94230 Cachan (0146 63 6917).