Ouest contre Ouest .....

INDEX - Le monde

 

Deux visions du monde ...André Glucksmann ....« deux visions du monde » ne se sont-elles pas heurtées pour la première fois, mais probablement pas la dernière, de front ?

Le Revers de la puissance, les Etats-Unis en quête de légitimité... Robert Kagan ....Aujourd'hui, de nombreux Européens font le pari que les dangers présentés par l'« axe du mal », le terrorisme et les tyrans ne seront jamais aussi grands que celui posé par un Léviathan sans entraves.

________________________________________

Deux visions du monde ...André Glucksmann

Source : le Figaro le 22.12.03

 

Le conflit, qui oppose des démocraties à d'autres démocraties, n'est pas un feu de paille. Des principes sont contradictoirement affichés, des anathèmes prononcés, des défis lancés. Qu'ils le déplorent ou qu'ils s'en félicitent, nombreux sont ceux qui décèlent, à travers la crise actuelle, une fracture qui divise l'Occident comme jamais depuis 1945. La formule que M. de Villepin lança, pour après-coup discrètement la renier, fait mouche :« deux visions du monde » ne se sont-elles pas heurtées pour la première fois, mais probablement pas la dernière, de front ? En effet, les capitales « paisibles » qui pontifient au nom du « droit international » résument ce droit à la sauvegarde de la souveraineté des Etats. A leurs yeux, sur l'espace soumis à sa juridiction, tout pouvoir établi est maître après Dieu. Et comme Dieu n'exerce plus aucune autorité en matière internationale, il suffit qu'un Etat soit intégré dans l'Assemblée des Nations unies pour jouir de facto de la faculté d'user et d'abuser des populations qu'il « représente ». Ainsi le droit des peuples à disposer d'eux mêmes (droit à l'indépendance) se renverse, par la grâce du principe absolu et universel de souveraineté, en droit des gouvernants à disposer de leurs peuples (droit à la dictature).

Des exemples ?

Rien à objecter quand Poutine anéantit « ses » Tchétchènes, quand Pékin décime « ses » Ouïgours et occupe « son Tibet », la Syrie « sa » province du Liban et lorsque la Corée du Nord affame « ses » Coréens. Par contre, l'entrée des coalisés en Irak serait une violation intolérable du « droit », car l'atteinte à la souveraineté est le crime suprême quand bien même le souverain est le pire tyran. Les connaisseurs repéreront dans une telle vision du monde la philosophie de Carl Schmitt. L'Etat décide souverainement du Bien et du Mal, de l'Ami et de l'Ennemi, du Tolérable et de l'Intolérable et ce décideur absolu qui juge de tout ne saurait être jugé par rien ni personne.

Alors, vive le droit d'ingérence ?

Affirmer qu'au nom du respect humain il faille s'ingérer, à l'occasion militairement, dans les affaires d'un Etat assassin pour interrompre un massacre, une tyrannie, une escalade génocidaire, c'est statuer que la liberté et la survie des populations civiles importent davantage que l'absolue souveraineté des Etats. Le droit d'ingérence constitue un péché capital aux yeux des souverainistes à la Carl Schmitt, mais un devoir indépassable selon la Déclaration universelle des droits de l'homme.


 Dernier livre paru: Ouest contre Ouest, Pion.

 haut de page

 

 Le Revers de la puissance, les Etats-Unis en quête de légitimité

 Robert Kagan

(Pion, 13 €,120 p.). Le Figaro du 05.05.04 publie en exclusivité de larges extraits de ce livre  

 

.....extrait ...

En fait, depuis plusieurs décennies, l'Otan est la seule organisation capable de concilier l'hégémonie américaine avec l'autonomie et l'influence des Européens. Et même aujourd'hui, cette organisation inspire aux Américains un attachement sentimental, plus fort sans doute que le sentiment suscité en eux par les Nations unies.

Cependant, les États-Unis peuvent-ils céder une parcelle de pouvoir aux Européens sans mettre en danger du même coup non seulement leur sécurité mais aussi celle de l'Europe elle-même et de la communauté démocratique libérale tout entière ? C'est là que le bât blesse. En effet, même avec les meilleures intentions du monde, les États-Unis ne pourront pas s'assurer la coopération des Européens s'il n'y a pas convergence de vues sur la nature des dangers qui menacent aujourd'hui le monde et sur les moyens à déployer pour les combattre. Or c'est précisément la différence d'appréciation dans ce domaine qui a divisé, au lendemain de la guerre froide, les deux parties.

S'il est vrai, comme l'indique Robert Cooper, que la légitimité internationale est la résultante de valeurs partagées et d'une histoire partagée, il est permis de se demander si une telle affinité existe encore au sein du camp occidental à présent que la guerre froide est révolue. En effet, si la communauté transatlantique libérale repose toujours sur un socle commun non négligeable, le schisme philosophique relatif aux aspects fondamentaux de l'ordre mondial risque de l'emporter sur ce fonds commun. Il est malaisé de prévoir une résolution de la crise de légitimité tant que ce schisme persistera.

En effet, même si les États-Unis honorent leurs engagements envers les termes du contrat en accordant aux Européens l'influence à laquelle ils aspirent, les Européens, avec leur conception du monde si différente, honoreront-ils les leurs ? Si les uns et les autres parviennent jamais à s'entendre sur la nature du danger commun, la coopération qu'ils ont entretenue durant la guerre froide pourrait aisément reprendre. Mais tant que, de part et d'autre, il n'y aura pas identité de vue sur la menace constituée par le terrorisme et les armes de destruction massive, on ne pourra envisager de stratégie commune pour faire face à cette situation. Et les Européens refuseront de reconnaître la légitimité des États-Unis quand ces derniers tenteront de régler seuls les problèmes en recourant à l'unique moyen qui leur semblera parfois indiqué, à savoir la force.

C'est là que réside le tragique de l'histoire. Pour s'attaquer aux menaces qui pèsent sur la planète, les Américains ont besoin d'une légitimité que l'Europe seule peut apporter. Mais il n'est pas du tout sûr que les Européens répondent à cette attente. Occupés à brider le géant américain, ils risquent fort de ne plus percevoir la montée des périls dans le monde, périls beaucoup plus redoutables que ceux incarnés par les États-Unis. Avec la nervosité qu'engendre chez eux l'unipolarité, ils risquent d'oublier les dangers d'une multipolarité au sein de laquelle des États non libéraux et non démocratiques parviendront à évincer l'Europe dans la compétition mondiale. Emportés par leur passion pour un ordre juridique international, ils risquent de perdre de vue les autres principes libéraux qui ont fait de l'Europe postmoderne ce qu'elle est aujourd'hui.

Ainsi, les Européens réussiront peut-être à affaiblir les États-Unis mais, comme ils n'ont guère le dessein de développer leurs propres moyens à leurs côtés, le résultat net sera une diminution de la puissance totale dont pourra disposer la communauté démocratique libérale pour assurer sa défense et, du même coup, celle du libéralisme.

Aujourd'hui, de nombreux Européens font le pari que les dangers présentés par l'« axe du mal », le terrorisme et les tyrans ne seront jamais aussi grands que celui posé par un Léviathan sans entraves. Peut-être est-ce dans la nature d'une Europe postmoderne de porter un tel jugement. Mais peut-être aussi l'heure est-elle venue pour les cerveaux les plus éclairés du Vieux Continent, y compris ceux qui vivent sur la terre natale de Pascal, de commencer à se demander ce qu'il adviendra si ce pari n'est pas le bon.


* Robert Kagan, diplomé de Yale et de Harvard, est un des principaux membres de la Fondation Carnegie pour la paix. Il a travaillé au sein du département d'Etat des Etats-Unis, collabore au Washington Post et vient de signer American Power and the Crisis of Legitimacy, qui parait demain en traduction française sous le titre Le Revers de la puissance, les Etats-Unis en quête de légitimité (Pion, 13 €,120 p.). Le Figaro du 05.05.04 publie en exclusivité de larges extraits de ce livre

 haut de page

page crée en  01/04

_________________________________________

sonances:               

_________________________________________

Corrélats:

bullet

Les Etats-Unis, la France.....une certaine idée du monde...

 

___________________________

 haut de page