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Comment retrouver son âme ? |
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Présentation :
Avons-nous une âme ?
....Pour comprendre l’âme il faut retrouver tout ce qui en a été dit
dans l’histoire de l’humanité. .... ce texte en fait un survol
intéressant .... "Nous nous contenterons de voir la progression des plus
importants apports : égyptien, grec, chrétien, romantique et moderne.
"....et de par sa distinction dans l’âme entre le moi et le Soi, Jung
prépare l’Occident à la compréhension de l’âme orientale.
Extraits :
L’âme n’est pas un donné, elle se construit.
..... Nos
âmes sont actuellement en danger.
Grec
....La morale de l’histoire est que l’âme humaine doit devenir divine et
qu’elle ne le peut qu’après des épreuves multiples et difficiles, grâce à
l’Amour. La beauté de l’âme est ce qui mène à l’amour et l’âme ne peut
survivre que grâce à l’amour. ....La science des âmes, la psychologie, a vu le
jour en Grèce.
christianisme ....
La question de l’âme a été réglée par le dogme. Les âmes ne préexistent
pas au corps ; chacune est créée spécialement par Dieu lors de la
formation de l’embryon. ....le moi est la croyance que je suis séparé des autres, autonome,
conscient et libre. Les individus se voient comme des œufs et non comme
des vagues dans l’océan.
les romantiques
....Les
mystiques ne cessent pas de nous parler de leur âme, ou de Dieu, ce qui
est la même chose, puisqu’au fond de leur âme c’est Dieu qu’ils ont
trouvé.....JJ Rousseau.."
Il faut contempler son âme et l’on a le sentiment de son existence, liée
à l’être de tout l’univers ". Oui, cela est nouveau : il faut contempler
son âme (ce qui n’est pas ressasser ses problèmes psychologiques).
l’âme moderne
.... Bergson ... L’âme, c’est le vivant, opposé au mécanique, à l’artificiel, aux
automates de Descartes..... Elle permet de saisir les choses directement
de l’intérieur par une coïncidence absolue et totale. ...Dans le bas, elle est
indépendante du corps et dans le haut elle est une intuition mystique par
participation à l’essence divine. ....Carl-Gustav Jung....Rien
n’est plus beau que l’âme. La beauté est l’âme du monde manifestée, si
nous ne donnons pas sa place à la beauté, nous ne pourrons jamais
récupérer notre âme perdue. .... Le
désenchantement est la déspiritualisation de la nature et du corps. ..... L’âme moderne est la sensibilité, la
féminité, l’amour, l’élévation spirituelle. .... A l’opposé du monde masculin
mécanique sécrété par le froid esprit logique, elle est la poésie, la
musique, l’art, la passion et la compassion, l’amour de la Vie, de la
Nature et de Dieu. Elle est ce souffle et cet espoir qui habitent l’homme
et qui le transportent vers un dépassement de lui-même et le dévouement
aux Valeurs.
orient...
l’Absolu (Parasamvid) se manifeste par un double
processus de voilage, cosmique et individuel. ....L’âme c’est le Soi recouvert par la carapace de l’Ego.
....L’Atman apparaît bien comme l’omniscience du Soi qui entasse toutes
les expériences des vies passées. C’est lui mon vrai moi, mon âme
immortelle qui me pense, me médite, me rêve, me produit et m’envoie en
mission pour cette vie terrestre. ....
L’illumination consiste à voir l’égo absolu
réfléchi dans l’égo relatif et agissant à travers lui ".
Corrélats
: homocoques, metaxu, parole ouverte,
AJENOUS ....
Simone Weil
....
«Des besoins de l'âme »
l'homme... un
être de relations..et de conscience ...
ligne de front ...nos fronts
.
De l'immortalité de l'âme
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COMMENT RETROUVER SON AME ?
Auteur :
Marc-Alain DESCAMPS
Source :
http://www.descamps.org/marc-alain/amein.html
Introduction
Avons-nous une âme ? Ce n’est pas sûr et cela dépend. Certains être
humains ont retrouvé leur âme et la cultivent, alors que d’autres n’en ont
évidemment pas. L’âme n’est pas un donné, elle se construit. Le problème
n’est pas de savoir si l’homme a une âme ou non. L’humanité s’est disputé
sur ce sujet pendant des siècles. Le problème actuel est de retrouver son
âme. Nous pouvons avoir une âme, si nous la cultivons et l’entretenons. Et
nous avons aussi la possibilité de la tuer, en la niant, la ridiculisant
et la détruisant sans cesse. Le drame du matérialisme athée est là, de
créer des âmes mortes comme il y a des étoiles éteintes.
C’est pour cela qu’il faut lancer ici un S.O.S. (save our soul) car cet
appel au secours universel est certainement symbolique et doit être pris à
la lettre. Oui, il faut sauver nos âmes et pas uniquement nos corps. Nos
âmes sont actuellement en danger. En Italie on dit bien " fare anima, se
donner une âme " et le poète anglais Keats parlait de " soul-making, faire
l’âme ". On doit se donner une âme et l’on a celle que l’on mérite. Mais
pour pouvoir avoir de l’âme, il faut d’abord savoir ce que c’est.
Qu’est-ce que l’âme ? Une affaire bien mal engagée. L’âme est un de ces
mots que l’on répète sans cesse, sans jamais savoir ce qu’il veut dire.
C’est, il est vrai, une notion déjà ancienne dont on ne parle plus
beaucoup actuellement. En tant que dogme du christianisme, elle est passée
de mode avec lui. On dit toujours " l’âme et le corps " et l’on n’a aucun
mot dans aucune des langues européennes pour désigner " l’unité
indissoluble de l’être humain ". Aussi l’on ne peut pas se sortir de cette
dualité pour retrouver l’unité originelle. L’âme serait donc la moitié de
moi-même, mais seul le corps étant certain, l’âme reste incertaine. Pour
comprendre l’âme il faut retrouver tout ce qui en a été dit dans
l’histoire de l’humanité.
De par ce malentendu culturel et religieux, nous nous trouvons en face
de deux définitions classiques de l’âme. D’abord on peut considérer que
c’est tout ce qui n’est pas corporel : la substance pensante, sentante,
agissante et qui donne la vie. Mais par derrière on voudrait affirmer que
c’est immortel en moi : l’âme est la partie éternelle, mon vrai moi. Toute
l’équivoque est là. Et tout le drame aussi. Quatre mille ans de luttes
ininterrompues dans nos civilisations.
L’âme, c’est moi. Mais alors qui suis-je ? Qui peut se demander " Qui
suis-je ? " Lorsque je m’interroge sur moi-même, quel est celui qui répond
" moi " et quel est celui qui interroge ? Qui pose la question ?
Marc-Alain Descamps a passé toute sa vie à étudier le corps et à
construire une psychologie du corps, en particulier dans sa thèse sur L’Invention
du corps. Ce faisant, il a découvert l’invention de l’âme, qui lui est
concomitante. Et c’est ce voyage que nous allons faire ensemble, en
revivant les principales étapes de cette invention au cours de l’histoire
de l’humanité. Il a fallu bien du temps et l’aide de plusieurs
civilisations avant d’arriver à l’âme moderne. L’homme a eu besoin de
beaucoup de temps pour se faire une idée de son âme. Bien des pays y ont
participé, chacun apportant sa contribution et faisant progresser la
compréhension de l’humanité. Nous nous contenterons de voir la progression
des plus importants apports : égyptien, grec, chrétien, romantique et
moderne.
1. L’AME EGYPTIENNE.
Tous les peuples anciens ont cru aux fantômes et par conséquent à une
survie de l’âme, mais ces âmes menaient une vie très diminuée, se traînant
languissamment dans un monde chaotique et crépusculaire.
La civilisation égyptienne pendant trois mille ans va être la première
à avancer une réflexion approfondie sur les différentes parties de l’être
humain. L’ensemble paraît relativement complexe, mais cela semble du au
passage d’une conception primitive à une forme plus évoluée.
L’être humain paraît constitué de cinq éléments :
le corps, l’ombre, le
double, le nom et la forme.
1. Djet (ou sab) le corps, après le départ du reste lors de la mort,
devient Khat, le cadavre. Il peut aussi devenir une momie, si l’on opère
sur lui tous les rites de l’embaumement, qui le rendent indestructible.
2. Shout, l’Ombre est indissociable du corps, en Egypte tout corps a
son ombre, par contre le fantôme ne fait pas d’ombre et c’est à cela qu’on
le reconnaît. Après la mort c’est Shout l’Ombre qui devient Mout le
fantôme harceleur des vivants.
3. Ka, le Double, est l’élément original de l’Egypte, qui pense que
chacun a son double. Ce devait être sans doute la première forme de l’âme
dans l’Ancien Empire. De nos jours, on le considérerait comme le corps
éthérique ou astral, le double fluidique.
4. Ren, le nom est une partie indispensable de l’individu. Son nom fait
son être, sans nom il n’existe plus. L’effacement du nom était le grand
châtiment des criminels, leur mort définitive qui les condamnait à
l’anéantissement total de l’oubli.
5. Ba, la Forme est ce qui
correspondrait le plus à notre notion d’âme, mais selon une réalité toute
différente : il s’agit de la forme du corps. L’âme n’est rien d’autre que
la forme du corps, qui garde une forme humaine après la mort. D’où
l’importance des rituels d’embaumement et de momification.
L’homme garde une " âme " tant
que son corps garde sa forme humaine et ne se décompose pas. Par là se
comprend enfin toute l’importance de la préservation et de la conservation
des cadavres en Egypte. Le tombeau (pyramide ou mastaba) est une garantie
de survie.
Ka + Ba, plus tous les rites du réveil de l’âme constituent Akh , le
Bienheureux ; après toutes les cérémonies de l’ouverture de la bouche, du
nez, des yeux … le décédé acquiert un corps glorieux. Alors différentes
possibilités s’ouvrent à lui, grâce au Livre des Morts qui lui indique le
chemin à suivre et lui donne les mots de passe. Il peut aller dans les
Champs d’Ialou où il continuera à mener la même vie (de noble, de soldat
ou de fellah). Il peut au contraire rejoindre les paradis stellaires
(Orion, Sirius …). S’il a déjà été initié à Osiris, il devient Osiris ;
mais ceci s’est surtout développé dans le Moyen Empire. Enfin Pharaon,
grâce à sa momie qui garde la forme de son corps, entre dans la grande
lumière qui brille pour les morts, représentée par le soleil de minuit, Ré
: " Je suis le début et la fin, je suis l’Unique, celui qui se créa
lui-même ". Et il conduit sa barque dans le monde souterrain de l’Amentat.
Avec le temps ce privilège fut aussi accordé à la famille royale, puis
aux nobles et enfin à tous les riches qui ont pu avoir une momie et
recevoir les rites. Par là ils pourront éviter la seconde mort qui est la
mort de l’âme. Il existe pour cela une prière spéciale : " Que je ne meure
pas une seconde fois dans l’Amentat. Que je ne sois pas victime de tous
ces crimes que l’on commet dans la nuit. Que je ne sois pas conduit dans
la chambre d’abattage. Que je puisse résister aux démons Buveurs de sang
aux dents éclatantes et aux génies Mangeurs du Foie. Que je reste lumineux
et rassasié " réellement, continuellement, éternellement ".
Ainsi l’Egypte a considéré qu’un principe individuel et responsable
survivait après la mort, à condition que le cadavre garde sa forme humaine
et reçoive les rites magiques de réveil dans l’au-delà. Grâce aux rites
spéciaux des cultes initiatiques (Osiris, Phénix …), il était possible
d’imiter Pharaon et de se donner une âme.
1. L’AME GRECQUE
En Grèce nous connaissons mieux qu’en Egypte l’évolution des
conceptions de l’âme et nous pouvons en distinguer différentes étapes. Les
Grecs ont cherché à être plus précis et plus détaillés que les Egyptiens,
mais ils en prennent la suite.
1. LE MONDE ARCHAIQUE.
Pour les anciens Grecs, le monde corporel est le seul réel. L’âme est
la respiration du corps, son souffle vital (anémos) qui se dissipe à la
mort. Le mot âme vient en effet de ce mot grec, qui désigne d’abord le
vent, puis le souffle. Mourir est toujours rendre son dernier souffle.
Les Mycéniens ont une conception assez proche des Egyptiens : l’âme ne
quitte pas le tombeau et pourrit avec le corps. D’où ces masques d’or que
portaient les cadavres des rois pour conserver encore la forme du corps
dans leur tholos (monument funèbre circulaire).
Selon la religion et les croyances populaires, après la mort il ne
reste que des Ombres qui mènent sous terre une vie végétative diminuée.
Ces Ombres évanescentes deviendront plus tard les Manes et les Lares. Dans
le Tartare elles répètent indéfiniment l’acte le plus important de leur
vie : Ixion tourne sur sa roue, les Danaïdes remplissent sans fin leur
tonneau percé, Sysiphe roule son rocher et Tantale le gourmand voit
s’approcher et repartir les plats … Ce royaume de Hadès et de Perséphone
est un bourbier " qui glace d’horreur les dieux eux-mêmes ".
Les plus heureux sont dans les Champs-Elysées où ils passent leur temps
à regretter la vraie vie : celle sur la terre. Homère en témoigne dans
l’Odyssée (chant XI). Ulysse a pu leur rendre visite et il rencontre le
vaillant Achille, héros de la guerre de Troie devenu le Roi des morts.
Mais lorsqu’il lui dit : " Tu jouis de la félicité en régnant sur le
peuple des Ombres ", Achille lui répond : " Consolation vaine, j’aimerais
mieux être l’esclave du plus pauvre des laboureurs, qui vit à la sueur de
son front que de régner sur le peuple entier des morts ".
Lorsqu’on y est entré, c’est pour toujours ; on n’en sort jamais. Il
existe une ou deux exceptions notables. - D’abord le raté d’Orphée qui n’a
pas pu en sortir sa femme Eurydice. Poursuivie par Aristée, qui voulait la
violer, elle est piquée par un serpent et meurt. Orphée au son de sa lyre
charme tout et obtient de la ramener à condition de ne pas se retourner ;
mais perdant confiance il se retourne pour vérifier si elle suit et la
perd pour toujours. - Héraclès au contraire a réussi à ramener le héros
Thésée. Pirithoos qui voulait enlever Perséphone, était descendu avec son
ami Thésée. Hadès, outré, les avait fait manger et s’asseoir sur la chaise
d’Oubli dont on ne peut pas se relever. Héraclès malgré sa force ne peut
en arracher que Thésée qui y laisse la peau des fesses. Mais avant
d’entrer dans le royaume des morts, Héraclès/Hercule s’est fait d’abord
initier à Eleusis. Pourquoi donc ?
2. L’INVENTION DE L’AME CELESTE.
La religion grecque est difficile à comprendre, car c’est une religion
à Mystère. Les cultes des dieux de la cité ont été assez rapidement
l’objet des critiques des intellectuels (Sophistes, philosophes, poètes et
dramaturges). Puis les chrétiens pour la détruire complètement ont nié
qu’il ait existé une très grande ferveur religieuse et ont affecté de n’y
voir qu’une mythologie ridicule. Mais derrière la religion de la Cité
existaient les sociétés d’initiés aux différents Mystères : Orphiques,
Pythagoriciens, de Dionysos, d’Eleusis, des Cabires, etc.
Malheureusement ces initiations aux Mystères sont restée secrètes et ne
savons pas tout. Ceux d’Eleusis sont les mieux connus. Il y avait deux
degrés : il fallait être initiés d’abord aux Petits Mystères pour être
admis l’année suivante aux Grands. A partir de mythes agraires, sexuels et
de Perséphone, ils étaient une machine à donner une âme. Comme le dit
l’hymne à Démeter (mère de Perséphone, reine des morts) : " Heureux celui
des Hommes vivants sur terre qui a vu ces Mystères. Celui qui n’a pas été
initié et celui qui n’aura pas pris part aux rites n’auront pas, après la
mort, les bonnes choses de l’au-delà dans les sombres séjours ".
Pour vaincre l’atavique conviction en une mort définitive, fin de tout,
il semble que l’on utilisait durant plusieurs jours une dramaturgie du
type d’un psychodrame. Certains disent que les postulants, accueillis avec
des chants, des fleurs, des danses, portaient des ailes d’anges. Puis
attirés à l’écart, on se jetait sur eux, leur arrachait les ailes et les
jetaient dans un bourbier. Alors dans le noir, le jeûne et les pleurs, ils
entraient dans un souterrain où ils passaient une ou plusieurs nuits à la
lueur de torches au milieu des cris et des bruits terrifiants. Quand ils
pouvaient en sortir, ils étaient lavés et conduits devant la statue d’or
d’Apollon, puis à nouveau dans les chants et les danses, participaient à
des spectacles symboliques explicatifs de la résurrection après la mort.
Après avoir traversé la mort, les initiés ressortaient avec la profonde
conviction de leur immortalité. Il n’en fallait pas moins pour leur donner
la conviction qu’ils avaient une âme.
Il en était de même lors des initiations aux Mystères pythagoriciens.
Tout était fait pour affirmer la Koinonia, la parenté divine : comme les
astres, les initiés avaient une âme immuable et immortelle. Et ils
n’arrêtaient pas d’en témoigner. Leur corps seul pourrissait dans la
terre, leur âme retournait au ciel avec les étoiles. Hipparque écrit : "
Nos âmes sont une partie du ciel. Scintilla stellaris essentia. Une
étincelle de la substance des astres ". Au cimetière du Céramique
d’Athènes le tombeau des 150 guerriers morts en – 432 à Potidée porte : "
L’éther a reçu leur âme et la terre leur corps ", la tombe d’Amorgos,
jeune homme mort à 20 ans " Je suis maintenant l’astre divin qui s’élève
le soir, stella vespéris " et celle de jeunes filles " Mon âme, par la
bienveillance des Immortels, habite parmi les étoiles et a pris place
parmi le chœur sacré des Bienheureux " ou " Je n’irai pas dans le noir
Tartare, Vénus a décidé que je connaîtrai pas le séjour des Ombres
muettes. Elle m’a conduit dans les Temples lumineux du Ciel ". Enfin la
Table d’Or de la tombe orphique de Pétilia en Italie du sud " Mon âme ne
doit pas descendre parmi les Ombres.
Le Ciel et les Etoiles m’ont engendré pour toujours.
La terre prend mon corps et cette pierre un simple nom.
Je suis le fils de la Terre et du Ciel étoilé,
Je suis de race céleste, sache le toi aussi Perséphone ! "
L’empereur Julien sur son lit de mort l’été 336 : " C’est une
humiliation pour nous tous que vous pleuriez un prince dont l’âme va
bientôt monter au Ciel et s’y confondre avec le feu des Etoiles ". Quelle
conviction religieuse et aussi quelle joie et quel soulagement !
3. LA PURIFICATION DES AMES
La croyance en l’âme va pour les Grecs avec celle en la réincarnation.
L’âme a besoin de plusieurs vies pour se réaliser. La purification dans
les périodes entre les incarnation peut se faire par le retour successif
dans les quatre éléments. Empédocle d’Agrigente se souvenait avoir été
successivement un buisson, un poisson muet dans la mer, un oiseau, un
garçon et une fille.
Mais la purification peut aussi être céleste et exiger le détour par
toutes les planètes du système solaire. Les âmes tournent à travers le
ciel des étoiles dans une divine théorie (théorie en grec signifie d’abord
procession) et elles participent à la glorification de cette enivrante
course dans le cortège des Dieux. Mais voilà que certaines se mettent à
désirer et ressentent " le désir furieux de la génération " avec le mirage
de la matière changeante et bigarrée. Alors elles perdent leurs ailes et
elles tombent du cercle du ciel étoilé dans le monde de la corruption.
L’attrait de l’amour sensuel développe un sentiment d’envieuse jalousie et
de rébellion.
La chute des âmes se fait par un trou, la porte des Hommes, ou porte du
Cancer, lors du tropique d’été, le 21 mars. Saisie de vertige, elle tombe
sur la constellation du Lion où elle boit à la coupe de Bacchus, l’oubli
et l’enivrement sensible. Possédée du désordre de la matière, elle
chancelle et perd sa forme sphérique (qui est celle des Dieux), elle
s’allonge en forme de cône, comme une comète. Alors elle va couler tout au
long du Zodiaque d’orbe planétaire en orbe planétaire et à chacune elle se
couvre d’un manteau correspondant : à Saturne elle emprunte l’intelligence
discursive, à Jupiter la volonté militante, à Mars l’agressivité et
l’humeur guerrière, au Soleil les sens et l’imagination, à Vénus le désir
érotique, à Mercure le don de la parole. Enfin elle tombe sur la Lune où
elle s’enduit de colle, le sédiment qui va lui permettre de coller à un
corps de chair, l’embryon. Sa souillure la fait entrer dans le corps
correspondant, il ne lui reste plus qu’à en subir l’esclavage tout au long
d’une vie.
A sa mort commence la purification par les quatre éléments dans le
purgatoire atmosphérique que nous décrit Empédocle : " L’Air puissant
pousse l’âme à la Mer ; la mer la vomit sur la Terre aride ; la Terre la
projette dans les rayons brillants du Soleil et celui-ci la rejette à
nouveau dans les tourbillons de l’Air. L’un la reçut de l’autre et tous la
rejettent. Je suis maintenant une de ces âmes, un banni, un démon errant
loin des dieux, car je mettais ma confiance dans la haine insensée ". (f
115). Comme le précise Virgile certaines se lavent de leurs crimes dans
des vastes marais, d’autres suspendues en l’air sont traversées par les
vents, avant d’être purifiées par la brûlure du feu (Enéide, l.VI).
Lorsque les temps sont venus, l’âme purifiée doit attendre
qu’apparaisse la Porte des Dieux pour revenir dans l’éther divin. Seul le
Capricorne permet le passage au tropique d’hiver. Alors en sens inverse,
elle va aller vers la lune pour y laisser toute la couche de colle dont
elle est enduite, puis le verbe et le langage sur Mercure, la fameuse
pulsion sexuelle sur Vénus, les organes de sens et la sensualité au
Soleil, sa violence combattante à Mars, sa volonté et ses désirs sur
Jupiter et son intelligence rationnelle sur Saturne. A nouveau libérée
4. PSYCHE ET EROS
Une troisième purification de l’âme nous est enseignée par l’histoire
de Psyché. L’âme pour les Grecs était une princesse de toute beauté,
nommée Psyché (Psuké). Si belle que personne n’osait l’épouser et que
l’oracle d’Apollon consulté décréta que la plus belle des femmes ne
pourrait être épousée que par un monstre cruel. Parée pour son hymen
funèbre et abandonnée sur un pic, elle se réveilla dans un palais
magnifique, servie des présences invisibles avec un époux qui ne venait
que la nuit. Voulant savoir qui l’avait mis enceinte, elle découvrit une
nuit à la lumière de sa lampe, un adolescent d’une beauté surnaturelle, le
dieu Eros. (monstre cruel ne voulait pas dire horrible). Se retrouvant
seule sur terre, elle est soumise à des épreuves par Aphrodite, sa
belle-mère épouvantée par sa beauté. Elle trie sept sacs de graines,
ramène la laine de la Toison d’or, l’eau de cristal de la montagne, le
flacon d’eau des Jouvence des Enfers. Mais ayant ouvert la boite
interdite, elle perd son âme et tombe inanimée. Eros est alors obligé de
la réanimer avec une de ses flèches et de lui faire conférer l’immortalité
par son grand-père Zeus.
La morale de l’histoire est que l’âme humaine doit devenir divine et
qu’elle ne le peut qu’après des épreuves multiples et difficiles, grâce à
l’Amour. La beauté de l’âme est ce qui mène à l’amour et l’âme ne peut
survivre que grâce à l’amour.
5. LES AMES MULTIPLES
Une fois inventée et enseignée, l’âme s’est diffusée. Elle s’est même
multipliée : à la période classique tous les Grecs étaient persuadés avoir
une âme et même plusieurs. La science des âmes, la psychologie, a vu le
jour en Grèce. Et la connaissance des âmes est même si précise, fine et
détaillée, que 2.000 ans après, nous n’avons pas grand chose à y ajouter,
sauf peut-être l’imprécision de notre vocabulaire, ce qui fait que si l’on
veut s’entendre le plus simple est encore d’employer les termes grecs.
En rassemblant les analyses des sages, philosophes et psychologues, on
peut tracer ainsi le tableau de ces âmes multiples. L’être humain est
constitué de :
1. Soma le corps, ou Deha (ce qui doit être sauvé) est pour les Grecs
une réalité saine et positive, sans honte ni vice. Ce qui le montre est
leur usage du vêtement, une simple toge qui protège du froid et qui ne
cache rien, lorsqu’on n’en a plus besoin on la laisse tomber par terre et
l’on court tout nu ou l’on fait de la gymnastique (gumnos, ce qui se fait
nu). Aussi lorsque les chrétiens ont voulu parler de ce qu’ils opposaient
à l’âme, ils ont été obligés d’inventer un nouveau mot pour cet objet de
mépris, de tentation et de péché, la chair. Ils ont pris le mot Sarx qui
désignait la viande de boucherie (d’où sarcastique, sarcophage, cercueil,
sarcasme), devenu en latin carnis (d’où charogne, charnier, carnage,
s’acharner, carnivore, décharné, la carne). Par là les péchés de la chair
vont empoisonné toute la civilisation des Blancs.
2. Psuké est " l’acte premier d’un corps organisé qui possède la vie en
puissance ", un acte permanent (Exis) pour Aristote dans son traité sur
l’âme (Péri Psuké). Cette âme est encore la forme du corps des Egyptiens
et des Mycéniens. Cette psyché se divise en une multitude d’âmes, dont les
trois principales se superposent en l’homme.
a. Treptikon, l’âme végétative ou nutritive, celle des plantes
b. Aisthétikon, l’âme sensitive ou animale
c. Dianoétikon, l’âme pensante ou seule âme proprement humaine
d. Auxétikon, de croissance
e. Orétikon, désirante
f. Kinétikon, mouvante
3 . Nous’ l’esprit, le mental ou l’intellect, est la faculté de penser.
Mais il existe deux façons de penser : dianoia la pensée discursive, celle
à laquelle nous sommes habitués et noésis, la vision directe ou saisie
intuitive, dont on ne parle que bien rarement.
Le Nous’ se divise en deux : l’esprit passif (Nous’ pathétikos) qui
correspond à la plupart des opérations de l’esprit et l’esprit actif ou
agent (Nous’ poiétikos) qui est l’Agent créateur en nous. Cet Agent est
impassible (apathès), sans mélange (amigués) et immortel (athanaton).
Voilà donc ce que les chrétiens appelleraient l’âme, mais cet Agent
Créateur est identique chez tous et donc ce qui est immortel est
impersonnel, selon la vision d’Anaxagore de Clazomènes (ou transpersonnel,
dirions-nous actuellement)
4. Anémos, signifie d’abord le vent, puis le souffle et la respiration
du corps, c’est lui qui a donné anima en latin d’où âme animante.
5. Logos, le Logos universel est l’esprit créateur ou l’Intelligence
mondiale qui donne une forme à chacun des objets du monde formés à partir
de la matière primordiale. De lui émane un logos individuel que chacun
peut activer.
Cette fonction organisatrice mondiale sera attribuée par Saint Jean et
les chrétiens tantôt au Christ tantôt au Paraclet ou Esprit-Saint.
Malheureusement va s’installer une double erreur de traduction. Logos en
grec a trois sens : calcul mathématique, raison rationnelle et parole ou
langage. Le mot latin équivalent est " ratio ", qui n’a que les deux
premier sens (raison et calcul). Les chrétiens ont donc préféré traduire
logos par verbum qui signifie parole. Et en français, verbum a été
littéralement traduit par " verbe ", parole ou copule de la phrase. Et le
verbe est bien loin du Logos.
1. Pneuma, le spirituel, correspond spécialement pour les chrétiens à
ce que les Grecs attribuaient au Nous’ et au Logos. C’est la partie de
l’âme en contact avec le divin ou le divin en nous. C’est sur lui que
travailleront tous les mystiques. D’autres le considèrent comme le
véhicule de l’âme ou le corps de lumière. Il peut aussi correspondre à
l’Idée platonicienne (Eidos) qui a un statut quasi-divin dans le ciel des
Idées et auquel l’homme cherche à participer en copiant et ayant aussi ses
petites idées humaines, mais parfois il rate et il n’a que des images (eidolon).
2. Arké est à la fois le fondement, le début, le modèle, l’origine, le
principe, le type. On peut le voir aussi comme l’Achétype primordial.
Saint Jean commence son Evangile par ces simples ( ?) mots intraductibles
En Arké en o Logos. L’Arké va jouer un très grand rôle chez tous les
mystiques qui veulent aller au fond des choses et au fond d’eux-mêmes.
C’est le Grund de Maître Eckhart, le Fond du fond et la Lumière de
lumière.
Ainsi donc pour les Grecs, l’âme c’est ce qui anime, ce qui donne la
vie, le mouvement, la sensibilité et la pensée, elle unit tout et intègre.
3. L’AME SELON LE
CHRISTIANISME
Les évangiles ne disant rien sur l’âme, les premiers chrétiens avec
Jean et Paul ont tout pris aux Grecs et aux Hébreux. Ceux-ci distinguaient
aussi trois âmes : néphesch, l’âme instinctive, la vitalité, rouah l’âme
sensible qui reçoit une parcelle du souffle divin et néshana, l’esprit
intelligent qui survit et remonte à Dieu. A quoi il faut ajouter bassar
l’ensemble de l’âme et du corps ; quand on parle donc de la résurrection
de bassar, il s’agit de l’individu et non de son seul corps, comme disant
" un village de 300 âmes " on entend avec les 300 corps aussi. Mais les
chrétiens se sont enferrés dans la " résurrection de la chair " qui les
empêche d’admettre la réincarnation.
Par contre les Conciles se sont opposés aux enseignements platoniciens,
puis gnostiques, puis d’Origène et quelques autres selon lesquels toutes
les âmes ont été créées à la création du monde, puis par la suite
certaines descendent les unes après les autres dans un embryon peu après
la conception.
La question de l’âme a été réglée par le dogme. Les âmes ne préexistent
pas au corps ; chacune est créée spécialement par Dieu lors de la
formation de l’embryon. Ces âmes sont éternelles. Mais en fait d’une demi-éternité, puisqu’elles ont commencé un jour. Mais comme c’était un
dogme personne n’a trouvé cela incompréhensible et impensable. Bien
entendu les théologiens se sont beaucoup disputés et la majorité semble
admettre que Dieu pourraît anéantir une âme humaine, mais ne le fera
jamais car sa justice s’y oppose. Simplement après la mort et le jugement
des âmes, certaines vont au ciel pour une éternité (aïonios) de jouissance
et les autres à l’Enfer " dans la Géhenne de feu " pour une éternité de
souffrance. Et ce jugement est parfait, définitif et irréversible.
Cette éternité des souffrances infernales a été tellement prêchée
pendant le Moyen-Age et l’âge classique que les scientifiques ont préféré
penser comme les matérialistes (Démocrite, Epicure, Lucrèce, Gassendi,
Marx …) que l’homme n’avait pas d’âme. C’est le divorce entre la science
et la foi qui va s’intensifier au fil des 18ème, 19ème et 20ème siècles.
Le comble du ridicule va être dans l’abandon de l’âme par la
psychologie qui se dit scientifique et qui devient une psychologie sans
âme. Fondée en Allemagne par Weber-Fechner en 1860 puis Wundt en 1880
comme psychophysiologie, elle devient la réflexologie russe avec les
chiens conditionnés par Pavlov, puis les rats de Skinner et des
behavioristes américains. Elle se continue avec la psychologie des tests
de Binet, de l’enfant par Piaget, de l’inconscient avec la psychanalyse de
Freud, des sondages par Gallup. Son seul changement va être de passer de
réflexes et de l’apprentissage au cognitif, avec l’apparition des
neurosciences. Actuellement le modèle de l’âme semble être l’ordinateur.
Le livre de Changeux sur L’homme neuronal n’est que la forme moderne du
livre de La Mettrie sur L’homme-machine. Pour eux, il vaut toujours mieux
croire qu’il n’y a plus rien après la mort que de risquer de finir dans
l’Enfer des chrétiens.
Par conséquent on en est venu à ne plus parler d’âme en psychologie.
L’âme est une affirmation de la religion ou un problème métaphysique pour
les philosophes. La psychologie se veut une science et parle de psychisme,
psychique, psyché, psychologique, pensée, conscience, ou même de
personnalité, caractère, tempérament, moi, etc. Tous ces termes ont été
inventés pour ne plus avoir à dire si oui ou non l’esprit de l’homme
subsiste après sa mort.
- Le psychisme est l’ensemble de ce qui n’est pas corporel dans
l’homme, les pensées correspondant à l’activité du cerveau (ou produites
par lui selon la croyance matérialiste).
- le psychique s’oppose au physiologique, mais comme ce terme a été
aussi employé par des spirites ou des occultistes, on préfère dire "
psychologique "
- la psyché est le terme employé par les psychanalyste pour désigner
l’ensemble du psychisme, majoritairement inconscient.
- On y distingue les processus intellectuels, mentaux ou cognitifs
(idées, pensées, réflexions, concepts, abstractions, souvenirs,
imaginations) de ceux affectifs (émotion, sentiment, passion, motivation),
de ceux volontaires (désirs, projets, volontés) et actifs (réflexes,
sensations, habitude …)
- la conscience est le niveau de représentation de soi qui permet de se
rendre compte ou savoir ce que l’on fait en sortant de l’inconscient par
l’attention, la vigilance et l’éveil.
- la personnalité est aussi ce que la psychologie étudie dans la
personne qui, elle, est un terme juridique (individu protégé par le droit
et ayant pour les philosophes une dignité due à la présence d’une âme).
- les types de comportement réguliers dans la personnalité constitue
son caractère ou son tempérament si c’est lié au corps.
- le moi est la croyance que je suis séparé des autres, autonome,
conscient et libre. Les individus se voient comme des œufs et non comme
des vagues dans l’océan.
4. L’AME ROMANTIQUE
Dans cet enfer matérialiste moderne, l’âme est-elle morte ? Non, comme
un fleuve souterrain elle chemine invisible dans des chuchotements. Qui
parle donc encore de l’âme ? Les mystiques et les poètes.
LES MYSTIQUES. Les mystiques ne cessent pas de nous parler de leur âme,
ou de Dieu, ce qui est la même chose, puisqu’au fond de leur âme c’est
Dieu qu’ils ont trouvé. Et ils n’arrêtent d’annoncer la bonne nouvelle.
Mais personne ne les écoute et ne les croit, sauf quelques religieux en
poste d’autorité et de pouvoir qui les persécutent avec zèle pour cela.
· Saint-Augustin parlait déjà de la part secrète qui réside au fond de
nous " intérior intimo méo "
· Et Sainte Thérèse d’Avila du château de l’âme et de la fine pointe de
l’âme. Que voulait-elle donc dire par là ?
Toutes les Béguines publient leurs découvertes au cours du douzième
siècle.
- Hadewijch d’Anvers enseigne dès 1150 : " Comprenez la nature profonde
de votre âme et le sens même de ce mot. L’âme est un être qu’atteint le
regard de Dieu et pour qui Dieu en retour est visible L’âme est un abîme
sans fond en qui Dieu se suffit à lui-même , trouvant en elle à tout
instant sa plénitude, tandis que pareillement elle se suffit en Lui. Dieu
pour l’âme est la voie de la liberté, vers ce fond de l’Etre divin, que
rien ne peut toucher, sinon le fond de l’âme ".
· Marguerite Porette écrit " Le miroir des Ames simples et anéanties en
Dieu " et pour cela elle sera brûlée vivante avec son livre le premier
juin 1310.
L’école Rhénane de la théologie négative ne pourra que reprendre leur
conception de l’âme :
· Maître Eckhart n’a jamais cessé de scruter cette nature exacte de
l’âme : " Sors, si tu veux que Dieu entre. L’âme doit s’oublier et se
perdre elle-même. Plus l’âme est dans la nudité et la vacuité, mieux elle
est saisie par Dieu. Il faut pénétrer au plus intime de son âme, dans ce
fond qui est à l’abri de tous les accidents. Au fond de l’âme, le Fond de
Dieu et le fond de l’âme sont un seul et même fond. L’âme et Dieu sont
identiques en leur fond. Si l’homme arrive à y pénétrer, en un seul
instant il est uni à Dieu."
· Tauler, son disciple commente " Il faut se vider de soi-même et
ramener tout à ce point qui est la source de l’âme. Si quelqu’un pouvait
descendre au fond de l’âme, il trouverait Dieu en toute vérité "
· " Dieu est en moi le feu de mon âme " avoue en 1650 Angélus Silésius,
le Pèlerin chérubinique.
Et il va en être de même avec les mystiques musulmans.
Les Soufis sont
les héritiers direct des Grecs et ils parlent donc des trois âmes :
- nash l’âme vitale et instinctive, est d’abord l’égo, la maladie du
moi hypertrophié,
- rouah l’esprit, ou moi, est le Nous’ intellectuel et correspond à ce
qu’étudie notre psychologie
- akl est l’âme spirituelle, qui est en contact avec le divin.
Il ne faut pas se tromper, car il y a lieu de faire un échange : il
faut se vider de ce qui est personnel, pour laisser entrer le divin à la
place. Al Hallaj nous avertit en l’an 900 : " Ton moi, si tu ne l’asservis
pas, il t’asservira " et Ghazali en 1111 : " Chacun ne reçoit pour sa part
d’amour, que celle que souhaite son âme ". Que faut-il donc faire ?
- " Qu’ai-je fait de mon âme et de mon cœur ?
Je les ai jetés dans le feu de Ton amour " proclame le turc Yunus Emre.
- Alors on peut proclamer avec Al Hallaj : " Le soleil de Ta Présence
s’est levé sur l’horizon de mon âme et il n’y aura plus de coucher de
soleil ", avec Sohravardi : " L’âme apaisée retourne vers son Seigneur,
agréée et agréante ", ou avec Kabir : " L’âme est absorbée dans l’Unique
et il n’y a plus de dualité "
Mais le courant des mystiques de l’âme chemine pendant des siècles dans
le secret et n’émergera qu’avec les Romantiques. Ce sont eux qui oseront
chanter sur la place publique le retour de l’âme.
LES ROMANTIQUES.
L’âme des romantiques est essentiellement celle des Grecs, des
Gnostiques et des Mystères d’Eleusis : " l’âme est un ange déchu, tombé du
ciel ". C’est par là qu’ils essaient d’échapper à la promesse d’Enfer des
chrétiens.
· Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) va être le premier à introduire une
nouvelle manière de vivre. Il est d’abord celui qui apprend aux mères
qu’elles ont une âme et qu’elles ont le droit d’aimer leurs enfants.
L’éducation, l’amour des enfants, l’amour maternel, l’allaitement au sein
deviennent à la mode. En plus des joies de la famille, il révèle l’amour
de la nature et cela dans le plus profond de son âme. Il est le père de
l’écologie moderne, le chantre de la vie naturelle.
Lorsqu’il veut raconter sa vie, il veut parler de " ma vie réelle,
celle de mon âme, l’histoire de mes sentiments les plus secrets ". Il a
compris l’essentiel de la vie intérieure : " La paix de l’âme se conquiert
par le refus de tout ce qui peut la troubler ". Il sait qu’en méditant
dans la nature on retrouve ses ressources profondes, on se reconnecte à
l’Etre Universel : " Il faut contempler son âme et l’on a le sentiment de
son existence, liée à l’être de tout l’univers ". Oui, cela est nouveau :
il faut contempler son âme (ce qui n’est pas ressasser ses problèmes
psychologiques).
· Madame de Stael (1766-1817) : " Aimer en apprend plus sur son âme,
que la métaphysique la plus subtile ". Cela nous paraît une évidence, mais
il fallait oser le dire à l’époque. L’âme est liée à l’amour : s’occuper
de son âme, c’est s’ouvrir à l’amour. Mais quel amour ?
· Musset (1804-1880) précise bien " Aimer, c’est se donner corps et âme
"
· Alfred de Vigny (1797-1863) " L’âme est un ange déchu tombé du ciel
". Cela paraît insignifiant, mais quelle audace de revenir à la conception
gnostique de la pré-existence des âmes aux corps et de la chute des anges
dans des corps de matière.
· Alphonse de Lamartine (1790-1869) ajoute en écho
" Borné dans sa nature, infini dans ses vœux,
L’homme est un dieu tombé, qui se souvient des cieux "
" Mon âme est à l’étroit dans sa vaste prison
il me faut un séjour qui n’ait pas d’horizon "
· Victor Hugo (1802-1885) a beaucoup de choses importantes à dire sur
l’âme
" Le corps n’est qu’une apparence, La réalité, c’est l’âme "
à partir de là, il se rend compte de sa mission :
" Mon âme aux mille voix
Que le dieu que j’adore
mit au centre de tout
comme un écho sonore "
et s’interroge sur les rapports entre l’âme, l’amour et la mort
" Les âmes vont s’aimer au-dessus de la mort
Ton âme immortelle va se ressouvenir de notre amour "
par la suite les liens entre la nature et l’âme vont s’approfondir
" Objets inanimés avez-vous donc une âme
qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? " Lamartine
" Il est d’étranges soirs où les fleurs ont une âme " A. Samain
" Mon âme est une infante en robe de parade
Votre âme est un paysage choisi " Verlaine
" Mon âme a son secret, ma vie a son mystère " Arvers
Pour exprimer l’indicible de son âme, au-delà de la poésie, il ne reste
que la musique et la peinture. Les artiste romantiques de Beethoven à
Schubert vont chercher à faire entendre les moindres secrets de leur âme.
Chopin, Litz ne cessent pas de faire chanter leur âme, en nous enchantant
de son harmonie. Les peintres romantiques, de Friedrich à Turner vont
chercher à représenter le lien qui unit l’âme individuelle à l’âme de la
nature. Les Symbolistes sont sur cette harmonie universelle entre l’âme et
le rêve avec Puvis de Chavannes, Odilon Redon ou Debussy…
Fort de cet élan, l’âme moderne va pouvoir s’inventer. Bergson et Jung
accompliront le plus gros du travail.
5. L’AME CHEZ BERGSON
Avec Bergson (1859-1941) l’âme retourne chez les philosophes. Alors
qu’elle était au centre de la pensée grecque des pré-platoniciens
jusqu’aux Alexandrins, elle avait été délaissée par les autres philosophes
au profit de l’intellect.
Seul Spinoza savait déjà que notre âme est une partie de l’intelligence
infinie de Dieu.
Joubert avait écrit aussi :
" L’âme ne peut se mouvoir, s’éveiller, ouvrir les yeux, sans sentir
Dieu.
On sent Dieu avec son âme, comme on sent l’air avec le corps "
Mais Bergson va être le premier à nous introduire à l’âme moderne.
L’âme, c’est le vivant, opposé au mécanique, à l’artificiel, aux
automates de Descartes. A l’opposé de Rousseau, Descartes avait remplacé
l’âme par la pensée (le cogito). Pour Bergson la tâche de la philosophie
est de hausser l’âme au dessus de l’idée, au dessus du rationalisme. Elle
permet de saisir les choses directement de l’intérieur par une coïncidence
absolue et totale. On ne peut parler de l’âme qu’en terme de dynamisme, de
force, d’évolution, de changement. Tout ce que nous éprouvons se conserve
en nous, mais la mémoire n’en garde qu’un souvenir intellectuel. L’âme
permet de faire revivre l’intégralité de l’expérience emmagasinée.
Pour saisir l’âme il faut laisser de coté la mesure, la quantité, le
discontinu, s’éloigner des atomes séparés, des objets figés, du temps
découpé en secondes pour entrer en union avec la continuité qualitative.
Le lieu de l’âme est la durée. Sentir l’âme, c’est comme saisir une
mélodie. Elle fait la continuité d’une symphonie et réapparaît dans un
autre instrument, puis transposée et enfin légèrement modifiée ou
inversée. L’âme est le temps réel de nos sentiments et de nos espoirs.
Elle coïncide avec notre moi profond, il n’est pas fait, il se fait. Par
la liberté, il est création ; la liberté c’est retrouver son moi profond
et avoir une âme permet d’être vrai.
Par les machines et la technique l’homme a acquis un supplément de
pouvoir, mais il risque de n’en qu’un mauvais usage, sans âme. Le corps
social des hommes a grandi démesurément. Le corps a grossi, mais l’âme est
restée trop petite et trop faible. L’humanité actuelle attend un
supplément d’âme. Et inlassablement Bergson va s’atteler à cette tâche de
donner un supplément d’âme à l’humanité.
L’âme est indécomposable car simple, incorruptible car individuelle,
immortelle en vertu de son essence. Mais dans la société et dans
l’histoire il faut bien distinguer les âmes closes et les âmes ouvertes.
L’âme close est enfermée dans le passé et la répétition du même, elle
regarde toujours derrière elle. L’âme ouverte va dans le sens de la durée
et de la liberté, elle aime naturellement un idéal et cherche un modèle.
C’est la place du héros qui est à la pointe de l’humanité. Ce rôle a pu
être joué par les arhats bouddhistes, les prophètes juifs, les sages grecs
ou les saints chrétiens... Ils n’imposent rien, mais ils attirent à eux et
deviennent des exemples. Ils plaisent à l’âme qui s’y reconnaît et les
suit. Ils agissent pas attraction et non plus par obligation. L’âme qui
s’ouvre est pure contemplation.
L’âme est donc un ensemble d’expériences fondamentale. Sa saisie fait
partie des données immédiates de la conscience. Dans le bas, elle est
indépendante du corps et dans le haut elle est une intuition mystique par
participation à l’essence divine.
L’action de Bergson est certes décisive et irremplaçable, il décrit une
autre âme, l’âme moderne. Pour y voir plus clair il faut attendre les
précisions de Jung, cet autre précurseur.
6. L’AME CHEZ JUNG
Carl-Gustav Jung (1875-1961) ne va rien ménager, ni Freud, ni les
psychologues universitaires qui se disent scientifiques. Dès 1943 il fait
paraître L’Homme à la découverte de son âme : " Il serait temps que la
psychologie universitaire ouvre les yeux à la réalité de l’âme humaine
réelle ". Il faut instaurer une psychologie avec âme. " L’impopularité
d’une pareille entreprise ne doit pas nous effrayer ". Tout serait
pourtant tellement plus facile s’il était possible de nier simplement la
psyché. " L’âme et le corps ne sont pas séparés : ils sont une seule et
même vie " écrit-il dans L’âme et la vie.
Et il commence à nous dire ce qu’est l’âme dont il parle (die Seele,
the Soul). L’âme est d’essence féminine : l’anima, ce qui anime est " une
image omniprésente et sans âge, qui correspond dans l’homme à sa plus
profonde réalité ". Elle est reliée à la plus ancienne image de Dieu, qui
est une Déesse, celle des Vénus préhistoriques, avec la force de la
génération qui est la puissance de la tribu.
Elle est aussi d’essence divine, comme le montre l’histoire de Psyché,
qui a été rendue divine par l’amour et immortelle par la beauté. Rien
n’est plus beau que l’âme. La beauté est l’âme du monde manifestée, si
nous ne donnons pas sa place à la beauté, nous ne pourrons jamais
récupérer notre âme perdue. (Rien n’est plus vrai et l’on ne devrait pas
cesser de le reconnaître, de le répéter et de réaliser).
Enfin elle est d’essence naturelle. L’âme est l’anima, alors que le
Nous’ (l’intellect) est l’animus. Son intelligence lui donne un pouvoir
exclusif et nous prépare un monde sans cœur et sans âme, un monde
d’ordinateur et de robots, artificiel et mécanique. " Le conflit entre la
Nature et l’Esprit n’est que la traduction de l’essence paradoxale de
l’âme ". L’Homme a perdu son âme et par conséquence il a aussi perdu la
Nature. C’est une conséquence directe et immanquable. Il a emprisonné
toute nature, il lui a déclaré la guerre, installé ses voies de
communication (routes, voies ferrées, aéroports), ses villes, ses
téléphériques … bétonné partout. Ce qu’il fait avec l’espace sidéral, les
milieux naturels, les océans, les forêts, les végétaux, les espèces
animales vient de ce qu’il refuse la nature humaine. Il le fait avec les
femmes, les enfants, les animaux, les sauvages, les esclaves et la Vie en
général. Refusant son âme, il ne peut que refuser la nature. Le
désenchantement est la déspiritualisation de la nature et du corps.
Mais le problème est que l’âme est masquée par la persona. Elle
construit un bouclier pour se protéger, puis elle se cache derrière. La
persona est le masque protecteur, l’apparence sociale qu’aime se donner
l’âme, mais sa bonne présentation est aussi sa trahison. Il faut aller la
chercher sous la croûte de cette écorce. Pire par derrière, la personne
traîne son Ombre. L’Ombre chez Jung est la partie non-éclairée, la zone
noire ; mais c’est aussi l’inconscient individuel et collectif, le coté
noir et ténébreux. On ne peut jamais accéder à son âme, avant de l’avoir
affronté et de l’avoir intégré. Traverser son Ombre ne suffit pas, il faut
la résorber en Lumière. Alors on peut se heurter au pire obstacle le Moi,
c’est un tyran qui se croit seul en moi. La maladie du Moi se nomme l’Ego,
source de l’égoïsme, de l’orgueil et de la colère. Le petit moi doit
découvrir le Soi et s’effacer devant lui. Reste l’erreur de Narcisse,
l’âme peut être éblouie par sa propre beauté et rester captivée par sa
propre image. Alors dans son auto-contemplation elle se noie et meurt.
La montée vers les zones supérieures exige des connaissances de la "
psychologie des hauteurs " que Jung appelle de tous ses vœux. A son époque
n’existait encore que la notion de sublimation, mais il en pressentait
d’autres sous le nom de " métamorphoses " : " De même nous n’avons que
quelques aperçus sur la vie spirituelle de l’âme. Nous savons aujourd’hui
il est vrai qu’il existe dans l’âme des opérations de métamorphose
conditionnées spirituellement et qui sont entre autres à la base des
initiations bien connues dans la psychologie des primitifs ou des états
engendrés par le Yoga ". L’âme est naturaliter religiosa. " j’ai été
accusé de ‘déification de l’âme’, ce n’est pas moi, c’est Dieu qui l’a
déifiée ". Affirmer que Dieu peut se révéler partout sauf précisément dans
l’âme humaine serait un blasphème.
La leçon de Psyché c’est que l’âme est beauté. Si la psychologie ne
redevient pas la science de l’âme et n’est pas fondée sur la beauté, nous
construisons notre propre destruction. Si nous ne redonnons pas sa place à
la beauté, notre âme ne pourra jamais se réaliser dans son essence. Pour
récupérer notre âme perdue, nous devons sauver la Nature. La beauté est
l’âme du monde manifestée.
Jung explique donc bien le nouveau sens de l’âme pour les modernes, qui
était déjà présenté par les Romantiques. L’âme n’est plus la partie de
l’esprit qui survit après la mort. Elle est ce qui s’oppose totalement à
l’esprit, comme l’anima à l’animus. L’âme moderne est la sensibilité, la
féminité, l’amour, l’élévation spirituelle. A l’opposé du monde masculin
mécanique sécrété par le froid esprit logique, elle est la poésie, la
musique, l’art, la passion et la compassion, l’amour de la Vie, de la
Nature et de Dieu. Elle est ce souffle et cet espoir qui habitent l’homme
et qui le transportent vers un dépassement de lui-même et le dévouement
aux Valeurs.
De plus par sa distinction dans l’âme entre le moi et le Soi, Jung
prépare l’Occident à la compréhension de l’âme orientale.
7. L’AME ORIENTALE
L’Orient présente une révolution complète de la notion d’âme, car elle
est incluse dans la réincarnation. Et nous devons soudain réaliser que
jusqu’à maintenant nous sommes toujours parti du présupposé que nous
n’avions qu’une seule vie. Et si ce présupposé était un préjugé ?
1. LE PROCESSUS DE MANIFESTATION
" De même que du feu jaillissent par milliers des étincelles qui
retombent en lui,
de même de l’Impérissable émanent des êtres divers qui retournent en
lui "
Manduka Upanishad
La vision de l’Orient est unitive et règle le problème occidental de
l’opposition de l’âme et du corps, car pour elle il n’y que des voiles ou
" corps " (kosha, enveloppe, collant) plus ou moins denses. Plus
particulièrement pour l’Inde (avec des variantes mineures du Yoga, des
Tantras et du Védanta) l’Absolu (Parasamvid) se manifeste par un double
processus de voilage, cosmique et individuel. La danse des sept voiles
symbolise parfaitement le travail de l’illusion cosmique (Maya) qui se
couvre de voiles de plus en plus denses, jusqu’à ce que l’action divine
nous apparaisse sous forme d’un monde matériel inerte et mort, au lieu
d’apercevoir les champs vibratoires. L’énergie créatrice subit un
processus d’obscurcissement et d’épaississement. Du feu de la béatitude
divine émerge une étincelle de joie parfaite (ananda) qui est notre noyau
causal. Il se recouvre d’un voile de lumière ou d’intuition (vijnana),
puis vient le corps mental (mano), qui donne le corps d’énergie (prana)
correspondant au corps éthérique et astral, et enfin le corps physique
épais, dit de nourriture (anna). Ainsi notre âme, notre esprit et notre
corps se retrouvent comme premier, troisième et cinquième voile. Il n’y a
plus d’opposition occidentale âme/corps, chacun est la manifestation du
précédent. La découverte des mystiques occidentaux était donc connue aux
Indes depuis des millénaires.
L’âme c’est le Soi recouvert par la carapace de l’Ego.
2. L’ENTITE QUI SE REINCARNE.
On ne peut plus donc parler d’une âme, mais d’un ensemble de cinq
voiles, que nous pourrions nommer une entité ou une entélékie (une monade
pour Leibniz). Le Védanta parle de l’âme-fil (Sutrâtman), le fil des
colliers des vies avec la formule " Le fil d’or voit toutes ses perles ".
Il y a dans l’autre dimension une entité qui m’envoie en mission pour une
vie, comme on donne à un acteur les rôles successifs d’Hamlet, du Cid,
d’Harpagon et de Cyrano … Qu’est-ce qui se transmet de vie en vie ? " Le
vent garde son parfum des fleurs qu’il a survolé " dit la Baghavad Gita.
La permanence d’un principe individuant passe à travers une succession de
corps. Ce qui se réincarne, ce n’est pas une âme mais du karma accumulé,
le produit des bonnes actions de la vie précédente. De même que l’eau est
toujours de l’eau dans la glace ou la vapeur d’eau, un même être devient
chenille, chrysalide puis papillon.
Certains ont parlé de cette entité comme d’un Dieu qui me rêve, d’un
Yogi qui me médite, d’un Ange gardien, etc. Robert Monroe dans ses voyages
dans l’au-delà dit avoir rencontré la Lumière/Amour des Expériences de
Mort imminente. Au début il l’a pris pour Dieu, puis il a appris que
c’était un Ange et à la fin il a découvert que c’était lui-même, ou son
Soi tel qu’il serait à la fin de ses vies lorsqu’il aurait réussi toutes
ses épreuves.
L’Atman apparaît bien comme
l’omniscience du Soi qui entasse toutes les expériences des vies passées.
C’est lui mon vrai moi, mon âme immortelle qui me pense, me médite, me
rêve, me produit et m’envoie en mission pour cette vie terrestre.
3. CE QUI SE REINCARNE SELON LE BOUDDHISME
L’enseignement du Bouddhisme est pratiquement le même car fondée sur la
renaissance, si l’on précise quelques mots pour éviter les
incompréhensions.
L’âme est formée de cinq éléments (skandhas) : rupa la forme du corps
par densification des idées, védana les sentiments, les désirs et les
sensations, samjna la pensée et les idées, samskara les forces
formatrices, la volonté et les souvenirs, vijnana la conscience. Elle est
empoisonnée par les trois poisons (ignorance avidhya, convoitise raga et
haine dvesha). Elle ne doit pas s’identifier à ses perturbations (désirs,
peurs, opinions, colères …). Les passions une fois calmées par la pratique
de Chiné/Samatha, elle atteint la vision pénétrante (Vipassana) et
découvre en elle la nature-de-Bouddha (Mahamudra, Shunyata, Ogsal). Elle
échappe alors à l’illusion de l’égo (atman) et au samsara pour entrer dans
le Nibbana, car il existe " un non-né, non-devenu, non-conditionné,
non-composé ".
La négation de l’atman est négation de l’égo et non de ce qui se
réincarne : " Si je dis qu’il y a un moi, on l’imaginera comme éternel, et
si je dis qu’il n’y a pas de moi, on imaginera qu’à la mort on périt
complétement ". Ce qui se réincarne chez le débutant c’est un réservoir
karmique, des souvenirs, des goûts, des cicatrices … et chez un grand
Lama, c’est un courant de sagesse et de compassion. Chez le Tulkou qui a
choisi sa nouvelle famille pour renaître, il y a la conscience de
renaissance (patisandhi vijnana). Comme l’explique fort bien Suzuki,
shunyata ce n’est pas le néant mais le plein : " La négation de l’Atman
maintenue par les premiers bouddhistes, concerne l’Atman considéré comme
l’égo relatif et non comme l’égo absolu, c’est-à-dire l’égo après
l’expérience d’illumination … L’illumination consiste à voir l’égo absolu
réfléchi dans l’égo relatif et agissant à travers lui ".
Que s’est-il passé ? Une partie de l’alaya-vijnana s’est séparée et a
cru illusoirement être autre que sa nature-de-Bouddha, comme l’écrit
Humphreys " C’est pour ainsi dire l’état impersonnel de conscience-éveil
d’où l’individu tire sa conscience personnelle, qui, une fois entièrement
amenée à la conscience, unira le Soi nouveau-né au Tout-Soi ".
CONCLUSION
Au terme de cette longue épopée de l’humanité, nous avons enfin
rencontré l’âme et nous avons aperçu ses principales facettes. L’âme
antique était encore balbutiante, mais déjà avec des intuitions
éternelles. Elle était la clé de la caverne d’Ali Baba, ce conte
initiatique. La formule magique qui permet d’ouvrir la caverne aux trésors
infinis est " Sésame, ouvre-toi ! ". La graine de Sésame est la plus
petite graine de l’oasis, comme le mil en Afrique et la graine de sénevé
des Evangiles. Elle est l’âme négligée, oubliée, racornie, ratatinée. La
fine pointe de l’âme dont parlait Thérèse d’Avila, est le contact avec
l’Absolu. C’est le secret du Roi, l’Absolu réside caché en nous dans la
fine pointe de l’âme. A nous de la faire s’ouvrir et germer comme la plus
petite graine du jardin qui donnera l’arbre le plus grand.
C’est cela se donner une âme, au sens des Romantiques. L’âme moderne on
peut l’avoir ou ne pas l’avoir. Les matérialistes ont parfaitement raison
: ils n’ont pas d’âme. Ils ne veulent pas en avoir, ils ne peuvent pas en
avoir et d’ailleurs ils ne la méritent pas. La culture de l’âme est
l’ouverture à autre chose que la logique, l’égoïsme et le calcul. Elle
représente la Joie, l’idéal, l’espoir, la beauté, la sensibilité, le
désintéressement et la générosité. Les Italiens parlent de " fare anima "
et les Anglais de " soul-making " d’après une poésie de Keats. Cette
opération est aussi appelée " métanoïa ", dépassement de l’intellect ou
Nous’, le pur rationnel. Oui, il faut se donner une âme et l’on a celle
que l’on mérite. Mon âme est ce que j’ai de plus cher, mon jardin intime
et le grand secret qui me dépasse.
Celui qui a trouvé son âme échappe pour toujours aux griffes de la
mort, il vit alors éternellement dans sa splendeur divine (ou de
nature-de-bouddha) avec une joie et des délices tels que nul ne peut en
témoigner en termes suffisants.
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