On sert désormais du poulet à presque
tous les repas dans les cantines ou les restaurants. Il ne s'agit
généralement pas de poulets de type Label rouge, élevés en liberté et
nourris aux céréales, mais d'animaux qui ont grandi dans des grands
poulaillers industriels (seules les poules pondeuses sont enfermées dans
des cages pour récupérer les oeufs). Sans qu'on puisse le deviner dans
l'assiette, ces poulets standards vendus à 2 kg sont très souvent
frappés de lourds handicaps : ils ont du mai à se tenir debout et à
marcher. Ils restent la plupart du temps inactifs, couchés ou assis sur
leurs pattes.
Cette situation est régulièrement
dénoncée par les défenseurs des animaux. Elle n'est pas sans incidence
économique car certains poulets ne se déplacent, même plus pour prendre
de la nourriture. Il arrive parfois que ceux qui sont atteints de
boiteries graves meurent de faim. faute de pouvoir atteindre ,les
mangeoires. En termes d'image, ce n'est pas bon pour une filière misant
à la fois sur le profit et la qualité. En 2003, sur les 789,3 millions
de poulet: produits en France, les poulets standards ont représenté 68
°/ en tonnage, les poulets labellises 18 %, les poulets certifié 10 %
(un intermédiaire entre le standard et le labellisé) et les poulets bio
1 %, les 3 % restant n'appartenant à aucune de ces catégories.
On sait pourquoi les poulet
industriels ne savent plus marcher. Ce n'est pas un mystère D'abord,
parce qu'ils sont entassés dans un espace réduit. Mais aussi parce que
leur vitesse de croissance est excessivement rapide. En effet, au
cours des dernières décennies, la sélection génétique a fait des «
miracles » : h durée de production d'un poule de 1,5 kg est passée de 33
jours entre 1925 et 1998 soit deux fois moins qu'un poulet labellisé. «
Ils pèseraient de sept à huit kilos (le poids d'un dindon) si on les
laissait atteindre l'âge adulte » (1). Résultat : les animaux sont trop
gros et l'excès de poids les empêche de marcher. Si on appareille un
poulet d'un système de suspension avec un câble et une poulie le
soulageant de la moitié de son poids, l'animal recommence à se déplacer.
Les problèmes locomoteurs frappent
beaucoup de poulets à croissance rapide. Des recherches réalisées en
France ont montré que, dans les poulaillers industriels, 4 % des
volailles sont incapables de bouger. Des chercheurs anglais utilisant
d'autres critères affirment qu'entre 75 et 90 % d'entre eux ont une
démarche altérée et que près de 30 % ont une démarche sévèrement
limitée. Une étude intitulée « Faire marcher le poulet pourquoi et
comment » (2) dresse un répertoire édifiant. Rien n'est épargné aux
poulets industriels : boiteries, défauts d'aplomb, anomalies de
développement des cartilages de croissance, doigts crochus, luxations
des articulations des pattes, dermatites provoquées par une station
couchée prolongée. Ces pathologies s'accompagnent de problèmes car
dio-vasculaires (défaillances cardiaques, rétention d'eau dans la cavité
abdominale).
L'élevage industriel se tourne donc
vers les scientifiques pour mettre fin aux problèmes locomoteurs des
poulets standards, mais sans remettre en cause leur durée de croissance,
pourtant une question clé. « L'augmentation forcée de l'activité
physique des poulets améliore la qualité de leurs os et diminue
l'apparition des problèmes locomoteurs », soulignent Dorothée
Bizeray, de l'Institut supérieur d'agriculture de Beauvais, et deux de
ses homologues de la station de recherche avicole de l'Inra (Tours-Nouzilly).
Une partie des chercheurs estiment
qu'il faut « enrichir l'environnement » des animaux. Certaines recettes
proposées laissent néanmoins perplexe comme la mise en place de tapis
roulants ou l'introduction de jouets, de ficelles, de spots lumineux.
« Leur effet est parfois bénéfique sur l'activité mais souvent seulement
de façon transitoire, et il semble très difficile d'avoir un effet
significatif sur les boiteries », notent dans leur conclusion les
chercheurs français. La difficulté principale tient au fait que bon
nombre de poulets à croissance rapide « souffrent de manière chronique »
et ne veulent plus se déplacer. « Le phénomène est amplifié par le fait
que les poulets standards ont été aussi sélectionnés pour leur
passivité », ajoute Christine Leterrier, de l'Inra. Des expériences
réalisées en Ecosse ont néanmoins clairement montré que, si on leur
administre des analgésiques, ils se hasardent à faire quelques pas.
La solution la plus efficace
consisterait à donner moins à manger aux poulets, de façon à freiner
leur croissance trop rapide pour leur morphologie. « Mais on peut se
demander alors si on répond aux besoins naturels des animaux. A-t-on le
droit de laisser un animal avoir faim ? C'est un débat éthique »,
souligne Dorothée Bizeray. Un débat bien singulier que la sélection
génétique pourrait être tentée de résoudre en mettant au point des
poulets insensibles à la souffrance.
« Il faut inventer un nouveau système
et s'attaquer aux causes », estime de son côté Florence Burgat,
chercheur à l'Inra-TSV (transformations sociales et politiques liées au
vivant). Elle vient de coordonner un dossier sur la place de l'animal
dans nos sociétés (3). « L'énormité et la technicité du système
d'élevage industriel où les animaux sont élevés et abattus en série nous
le rendent difficile à penser. Tout se passe comme s'il n'y avait
pour ainsi dire plus rien à voir. »
(1) Bulletin d'informations de la
Ligue française des droits de l'animal, n° 44, juillet 2004.
(2) Productions animales, volume XVII,
n° 1, 2004. Cette revue éditée par l'Inra est disponible gratuitement
sur lnternet:
www.inra.fr/Internet/Produits/PA
(3) L 'Animai dans nos sociétés,
collection Problèmes politiques et sociaux, éditions la Documentation
française.