LE FIGARO. - Comment l'accouchement a-t-il évolué dans les pays
occidentaux au cours du XX' siècle ?
Paul CESBRON. - Jusqu'à la fin du XIX'
siècle, l'accouchement est une affaire de femmes. Il se passe à
domicile, avec l'aide de sages-femmes, et les médecins n'interviennent
que dans les cas les plus délicats. Mais à la fin du XIXa siècle, les
médecins parviennent à réduire considérablement la mortalité des femmes
et des bébés et à améliorer les techniques d'accouchement. Encouragés
par ces progrès, ils affirment alors que l'accouchement doit être confié
aux chirurgiens. Les sages-femmes se voient retirer les instruments,
ainsi que la possibilité de prescrire des médicaments. Depuis,
l'obstétrique a réalisé des avancées encore plus spectaculaires
(diagnostics prénataux, péridurales, césariennes...) et la
médicalisation des accouchements est devenue la règle. Si les
sages-femmes françaises ont récemment retrouvé le droit de prescrire des
médicaments, l'Occident considère aujourd'hui l'accouchement comme un
acte médical.
Quelles sont, selon vous, les
conséquences de cette médicalisation ?
Notre foi dans la science a abouti
à une situation qui ne respecte plus les femmes. Celles-ci ont été
dépossédées de la responsabilité de leur accouchement : aujourd'hui,
ce ne sont plus elles qui mettent les bébés au monde, mais les médecins.
Beaucoup de femmes semblent l'accepter. En revanche, d'autres refusent
qu'on les « disqualifie » ainsi et qu'on nie leur capacité à donner
naissance à leur enfant. Je pense qu'il est nécessaire que notre société
- et bien sûr les femmes en premier lieu - débatte autour de la question
suivante : les médecins peuvent-ils mettre les bébés au monde tout seuls
?
Dans ce débat, vous prenez
clairement partie, en vous opposant à la médicalisation systématique des
accouchements...
Oui. La mise au monde d'un bébé fait
partie de l'histoire individuelle de chacun. C'est un événement
fondateur au niveau psychique et affectif, un moment d'apprentissage de
la vie qui appartient aux parents et qui doit rester intime.
L'interposition d'un autre constitue donc une intrusion insupportable.
Bien sûr, il est parfois indispensable que les médecins interviennent
techniquement, mais cette assistance ne doit pas dessaisir les parents
de l'acte de, la mise au monde. Aujourd'hui, il faudrait que les
médecins soient attentifs à la volonté des mères. Et il serait
nécessaire de créer les conditions pour que celles-ci puissent assumer,
quand cela est possible, la responsabilité « physique » de leur
accouchement.
Comment pourrait-on redonner aux
femmes ce pouvoir de maîtriser leur accouchement ?
Dans l'immense majorité des cas, il
est désormais possible de prévoir si un accouchement va être
problématique ou non : nous pouvons savoir dans quelle position est le
bébé, quel est son poids, s'il présente des malformations... Lorsqu'il
existe un risque que l'accouchement soit compliqué, la présence d'un
médecin est indispensable. Mais dans les autres situations, nous devons
permettre aux femmes de mettre leur bébé au monde dans des maternités
de petite taille (et non dans des « usines à bébés »
hypermédicalisées), dans des maisons de naissance dirigées par des
sages-femmes ou même à domicile. Il ne s'agit pas d'une volonté de
retour en arrière : il s'agit au contraire de profiter de la
connaissance scientifique dont nous disposons pour redonner à la
naissance sa dimension humaine, fondatrice et symbolique. Nous ne
devons pas laisser le progrès technique s'imposer à nous sans le
soumettre à une véritable réflexion.
Propos recueillis par Catherine Balle