Nous ne sommes pas l'assemblage de deux êtres différents. L'union
substantielle de notre âme et de notre corps, bien qu'elle ait été
appréhendée par des hommes d'Eglise dès le Vè siècle, n'est pas une idée
courante.
Sans revenir sur Platon ou Occam, et les trois âmes qu'ils voient en
l'homme, sans rappeler Manès, et les deux âmes, l'une bonne, l'autre
noire et pernicieuse, considérons Buffon et son vitalisme qui n'a rien
perdu de son actualité. Il affirme qu'il y a deux êtres dans l'homme, le
« moi-esprit » et un principe inconnu, le corps organique. De nombreuses
théories socio-pédagogiques contemporaines sont imprégnées de cette
conviction.
De même, Descartes, voisin en cela de Fénelon, considère que l'âme, à
elle seule, est une substance complète et que l'organisme du corps n'est
pour elle qu'une forme d'instrument.
Ces auteurs voient en l'homme un semblant d'unité, une heureuse ou
moins heureuse rencontre d'étrangers dont l'union accidentelle figure
effectivement l'association du cheval et de son cavalier.
Dans ces conceptions, la culture de l'âme ne peut s'appuyer que sur
l'énergie de l'âme. Les ressources de l'organisme ne sont pour eux
d'aucune efficacité au niveau supérieur de l'homme. Elles ne peuvent en
aucun cas servir sa liberté, au contraire, bien des hérésies sont
fondées sur Ici conviction que le corps est l'ennemi de l'âme et conduit
celle-ci dans les demeures infernales.
Certains systèmes vont plus loin encore dans la simplification de la
relation âme-corps, puisqu'ils nient l'immatérialité de l'âme humaine,
et de ce fait, conditionnent l'activité humaine à l'Histoire et aux
mouvements de masse qui l'expliquent. Ainsi les matérialistes, les
communistes ou les existentialistes, ne reconnaissent au principe vital
humain, aucune essence de qualité spirituelle. Ils n'envisagent pas
qu'un homme puisse s'élever spirituellement dans une authentique
culture. L'homme est le résultat des pressions externes et de ses
pulsions considérées avec un total fatalisme. II ne peut donc disposer
d'aucune autre liberté que celle d'assouvir des « instincts ». Dès lors,
comme l'affirme Hobbes, « l'homme est un loup pour l'homme » et la
société ne peut survivre sans le légalisme jacobin... imposé par des
hommes ! C'est la logique de la tyrannie dont le XIXème et le XXème
siècles seront pour nos descendants de terrifiants terrains d'analyses.
Le conditionnement des esprits au Même siècle a conduit nos grands
élèves des classes de Terminales à se considérer trop souvent comme
étant des « animaux supérieurs » déterminés, et convaincus que « la
liberté n'existe pas ».(1) Belle jeunesse offerte à toutes les
manipulations... Elle ignore que si l'homme est un animal, il est le
moins déterminé de tous les animaux, et en conséquence, risque fort de
n'être pas supérieur, mais inférieur, dans le désordre de ses pulsions.
Elle ignore que l'instinct est des plus réduits chez l'humain pour
laisser place à l'intelligence libre et organisatrice, à condition
qu'elle s'élève... afin d'user librement de son dynamisme et non se
laisser asservir à la puissance de celui-ci, que lui offrent à l'état
brut, ses fonctions biologiques relationnelles.
Freud ne se dégage qu'en partie de la pesanteur matérialiste. Il est
scientifiquement prouvé désormais, que les états spirituels sont d'un
autre_ ordre que le plaisir sublimé. La psychanalyse freudienne ne sait
pas élever l'homme à ces niveaux spirituels.
Un homme est un être qui dispose d'une existence propre et unique. Il
est une substance. De ce fait, il est à lui seul le « déclencheur » de
ses actes. En un mot, il est un seul sujet d'action, ce qui lui assure,
par la conscience, la liberté, et de ce fait, la responsabilité de ses
actes.
C'est pourquoi en éducation, tout doit concourir à l'éducation de la
conscience, de la connaissance de soi et de la maîtrise la meilleure
possible des trésors dont nous disposons en nous-mêmes. Cela ne peut se
faire que par l'acquisition d'un savoir que le langage courant a
d'ailleurs presque instinctivement confondu avec sa conséquence sur
l'homme : la culture.
2 - UN HOMME EST UN SEUL SUJET D'ACTION
Par la présence d'un seul suppôt (soutien de l'existence), c'est le
même sujet qui exerce toutes les activités de son être ; c'est le même
sujet qui dort et qui respire, et le même qui pense et qui choisit
librement, qui désire et passe à l'acte... ou non.
Quand le suppôt est spirituel, il reçoit le nom de « personne ».
L'union personnelle de l'homme, le tout unique qu'il constitue,
assure à la fois Ici maîtrise ET la responsabilité du même sujet, qui
régit tant la vie biologique - analogue à celle des animaux - que la
spiritualité - analogue, de loin certes, mais analogue à celle de Dieu.
(1) - propos tenus par mes élèves de Terminales en 2001
En outre, la personne humaine jouit d'un droit authentique sur son
être. (3) Ce droit n'est pas une source d'énergie,
mais un régulateur de la culture et de la conduite, qui est condition
nécessaire de la liberté accordée par Dieu à sa créature afin qu'elle
puisse choisir d'aimer, donc aimer en vérité. Du fait que l'homme est
une seule substance, il n'a qu'une seule'essence.
Le sujet personnel est le maître unique d'une vie multiforme.
3 - UN HOMME EST UNE ESSENCE
Que produit dans un être une union essentielle ?
L'union essentielle fait que toutes les dispositions de la nature
humaine collaborent naturellement entre elles, sous l'empire de sa
qualité majeure l'essence.
Ainsi, les fonctions corporelles, qu'elles soient acquisitions
sensorielles ou dynamisme des fonctions végétatives et des fonctions
relationnelles, servent l'esprit.
De même, les motions dynamiques, chocs émotionnels, pulsions
affectives, liés au système nerveux (thalamique et pneumogastrique),
peuvent soutenir, aider les activités du corps.
Sans cette communication constitutive, l'homme serait une association
accidentelle de type cheval-cavalier. Au contraire, l'union du corps et
de l'âme étant une union essentielle, la communication naturelle et
spontanée des deux domaines permet aux ressources corporelles de servir
la culture de l'esprit.
Dès lors, Aristote est dépassé, qui ne put jamais se résoudre à
intégrer l'intelligence dans la substance de l'homme. Pour lui,
l'intelligence nous arrive d'un monde supérieur et ne peut donc pas être
perfectionnée par des ressources humaines, encore moins corporelles.
Au-delà d'Aristote, nous verrons que l'étude scientifique de la
nature humaine permet de rejoindre Saint Thomas d'Aquin.
L'homme est maître unique chez lui. Il n'a qu'une nature parce
qu'il est un seul existant : substance.
Mais de l'âme ou de la matière, qui détient
l'existence ?
4 - HYLEMORPHISME
Que peut-on ajouter à la cohésion substantielle et essentielle de
l'être humain ?
On doit considérer que dans un homme, il n'y a qu'une seule
substance, un seul acte d'exister qui soutient à la fois l'âme et le
corps hors du néant. Pour employer le langage de la philosophie
aristotélicienne : l'hylémorphisme définit notre âme comme étant la
forme qui fait de la matière, notre corps.
L'âme est forme, c'est dire qu' elle assure l'existence unique
de notre être composé, et avec l'acte d'exister, elle assure la force
qui est notre vie. Elle qualifie et elle détient toutes nos énergies.
C'est elle qui donne à la matière dont nous sommes composés, la
spécificité humaine, le caractère essentiel de l'homme.
Elle organise son composé.
Elle intègre en son corps les matériaux indispensables à l'entretien
de la vie (oxygène, aliments, etc...)
Elle transforme à ses fins ces matériaux. Sa spiritualité teinte les
forces de ses matériaux. C'est ce qui fonde, nous en reparlerons, tous
les exercices de l'ascèse, si modeste soit-elle. C'est aussi ce qui fait
dire d'un corps, a contrario, qu'il est.., inanimé.
Quant au second élément, la matière du corps, elle, est le principe
de la quantité, du poids et de la possibilité de recevoir une forme
spécifique.
L'Eglise, sans prendre le sens rigoureux du langage hylémorphique,
favorise cette union en un seul exister dès le Vème siècle par la voix
de HUGON (454), que confirme vigoureusement le Concile de Vienne en 1372
par ces paroles de Clément V : « Celui qui oserait affirmer, défendre ou
tenir de façon opiniâtre que l'âme raisonnable ou intellective n'est pas
la forme du corps humain par elle-même et essentiellement, devrait être
considéré comme hérétique. » Proposition qui fut confirmée par Léon X au
Concile du LATRAN, en 1513.
En résumé : l'AME ET LA MATIERE sont deux coprincipes. Ensemble
l'âme et la matière
- constituent notre nature ;
- assurent sa vie individuelle;
- produisent ses diverses facultés ;
- sont seules sources directes de toutes ses vertus. Elles sont
une seule source directe de toutes les ressources énergétiques et
culturelles d'un individu. Toutes les énergies de notre être sont
mouvement de l'esprit.
N'ont de source propre d'énergie, ni l'intelligence, ni la volonté,
ni les différentes fonctions de l'organisme. Il n'y a pas en nous, de
forces uniquement matérielles ou autrement dit, uniquement biologiques
corporelles. Les travaux du docteur Vernet et de son équipe, dans la
première moitié du XXème siècle, ont démontré ce fait : la vie n'est
pas née de la matière.
(3) - cf. le cahier n°10 Le Maître, éducateur de
conscience et de liberté, dans lequel Marie Gourville résume les thèses
d'Alcuin concernant le droit de la personne. (à paraître au printemps
2003)