Il est temps de reparler de Dieu...

Dossier : Dieu

 Document non mis en forme

Présentation :  Une conférence du cardinal Kasper sur le thème : « Parole de Dieu et unité de l'Église »  ... très intéressante  et met bien en évidence cette évolution de l'Eglise dans l'Esprit de Vatican  II ...

Extraits :  

I. Un énoncé programmatique du Concile .....cette vie qui vient de la Parole, et précisément en la communion (koinônia) avec Dieu et les uns avec les autres .

II. Lumières et ombres dans la situation post-conciliaire leur lecture nous a peut-être apporté de meilleures connaissances, mais pas nécessairement une plus grande sagesse. ......corrélation profonde entre la Parole de Dieu, l'Église et le salut de l’homme,

III. Parole de Dieu comme parole de salut .. Il est le Dieu qui s’abaisse, qui s’adresse à l’homme, qui révèle son nom à nous et qui ainsi peut être nommé et appelé par nous. C’est un Dieu de la communication. Dieu existe et parle de toute éternité. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu »

IV. L’Église maison de la Parole de Dieu ...Ainsi « ekklesia » la traduction de l’hébreu qahal et signifie avant tout réunion ; elle est l’actualisation du rassemblement et de la réunion par la Parole de Dieu....La Parole de l’Ancien Testament est gravée sur des tables de pierre, celle du Nouveau Testament est écrite dans les cœurs par l'Esprit de Dieu ...  le christianisme n’est pas un simple concept, mais « une question de vie et de vie en commun »...un vis-à vis entre la Parole de Dieu et l’Église. .

V. Écoute ecclésiale de la Parole de Dieu  ...le Nouveau Testament est caché dans l’Ancien, l’Ancien est révélé dans le Nouveau. ..le même Dieu un a parlé avec un grand nombre de paroles, en des temps différents à des hommes différents.. La pluralité et la proximité dans un seul et même canon peuvent être décrites comme dialogue « coagulé » et « consolidé ».

VI. Renouvellement de la Lectio divina

résonances :   MM

en io-relation ....  mmm

 

 

 

 

Auteur: cardinal Walter Kasper

Source: zenit.org

Date :  du  21 au 25.01.2005

 

CITE DU VATICAN, Vendredi 21 janvier 2005 (ZENIT.org) – A l’occasion de la Semaine de prière pour l’Unité des chrétiens, l’évêque de Nanterre, dans les Hauts de Seine, en région parisienne, Mgr Gérard Daucourt, a invité le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité des chrétiens. Le cardinal Kasper a concélébré l’eucharistie, lundi dernier, 17 janvier, en la cathédrale de Paris, aux côtés du cardinal Jean-Marie Lustiger.

Le cardinal Kasper a ensuite donné une conférence à l’Espace Saint-Pierre de Neuilly sur Seine, sur le thème : « Parole de Dieu et unité de l'Église ». En effet, au moment où l’Eglise célèbre l’année de l’Eucharistie, Mgr Daucourt a aussi lancé dans le diocèse une « Année de la Parole de Dieu ». Le cardinal Kasper a insisté sur l’unité des deux « tables » de la Parole et de l’Eucharistie.

Le cardinal Kasper a structuré son exposé en six parties (ci-dessous), en remontant au concile Vatican II, et il a achevé sur une considération sur l’œcuménisme spirituel, à partir du renouveau de la tradition de la « Lectio divina ».

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I.-Un énoncé programmatique du Concile

En cette année 2005 qui vient de commencer, nous pouvons jeter un regard rétrospectif sur les quarante ans qui se sont écoulés depuis la fin du Concile Vatican II. Ce sera le 40ème anniversaire de toute une série d’importants documents du Concile. Parmi ceux-ci, le plus important et d’une portée fondamentale, bien qu’il n’ait pas nécessairement retenu le plus l’attention du public, est la Constitution dogmatique sur la Révélation divine « Dei Verbum ». Elle débute par une déclaration magistrale, avec laquelle le Concile est parvenu à s’exprimer de manière vraiment géniale et à frapper un grand coup : « Quand il [le Concile] écoute religieusement et proclame hardiment la Parole de Dieu... ».

Avec cette remarquable déclaration, le Concile n’entend certes pas la Parole de Dieu comme un livre ni comme une collection de livres canoniques. Le christianisme n’est pas une religion du livre, encore qu’actuellement, pour des raisons facilement compréhensibles, il soit souvent considéré comme telle dans le dialogue interreligieux. La Parole de Dieu est un discours et un événement ; elle advient, elle oriente, elle dispense la grâce. C’est cela la Parole de Dieu vivante, proclamée et écoutée avec foi.

Ainsi compris, le préambule de la Constitution sur la Révélation divine contient une auto-définition de l'Église à laquelle on était très peu accoutumé jusqu’à présent et qui est pourtant profondément enracinée dans la Tradition. L'Église s’y définit comme Église humblement à l’écoute et se considère en même temps comme Église envoyée dans le monde, précisément pour annoncer cette Parole de Dieu avec hardiesse – qui ne veut rien dire d’autre que : avec « parrèsia », en toute franchise. L'Église existe par la Parole de Dieu et pour la Parole de Dieu. Par sa nature elle est une Église à l’écoute et une Église missionnaire (AG 2).

Le passage de la première Épître de Jean, qui suit immédiatement le préambule dans la Constitution sur la Révélation divine, montre clairement de quoi il est question dans cette écoute et cette proclamation : « Nous vous annonçons la vie » (1 Jn 1,2). La Parole de Dieu est Parole de vie, une Parole qui éclaire la vie et qui est une lumière pour les pas sur le chemin souvent sombre de la vie (Ps 119, 105), une Parole qui est vie et qui donne la vie. L’Épître de Jean nous dit en quoi consiste cette vie qui vient de la Parole, et précisément en la communion (koinônia) avec Dieu et les uns avec les autres. En même temps, la Parole de Dieu pousse l'Église au-delà de ses limites du moment. L'Église a pour mission d’annoncer le message de salut (salutis praeconium) partout dans le monde – et le préambule continue avec les paroles de saint Augustin – « pour que ... le monde entier croie en écoutant, espère en croyant, aime en espérant ».

Selon ce préambule, Parole de Dieu, être et mission de l'Église, salut de l’homme et du monde s’interpénètrent intimement. Il y a une corrélation interne entre la Parole de Dieu et le peuple de Dieu. Martin Luther l’a traduite dans la formule suivante : « La Parole de Dieu ne peut pas être sans le peuple de Dieu, et d’un autre côté le peuple de Dieu ne peut pas être sans la Parole de Dieu ». La Parole de Dieu est constitutive de l'Église ; elle crée sans cesse une communauté toujours nouvelle et toujours plus large. Dans l’écoute et la proclamation de la Parole de Dieu, c’est de l’unité de l'Église qu’il s’agit, et aussi de la plus grande unité œcuménique de l'Église.

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II.-Lumières et ombres dans la situation post-conciliaire

Des déclarations aussi fortes et aussi énergiques, et des formules aussi géniales ne sont évidemment pas tout simplement tombées du ciel. Elles ont été longuement préparées. Au début du XXe siècle, à côté du mouvement liturgique, du mouvement œcuménique et du mouvement pastoral, il y avait le mouvement biblique. Déjà les Papes Léon XIII ("Providentissimus Deus", 1893) et Pie XII ("Divino afflante Spiritu", 1943) l’avaient efficacement soutenu et encouragé. Certes, il y eurent également des conflits tragiques et d’ailleurs inutiles, au cours desquels plusieurs biblistes attachés à l'Église ont personnellement payé un prix élevé pour avoir cherché à mettre en valeur le sens originel du texte de l’Écriture par des méthodes scientifiques modernes. Ce n’est qu’avec le Concile Vatican II qu’a eu lieu la percée décisive. À ce sujet, on ne doit pas sous-estimer l’influence de l’exégèse et de la théologie protestante.

Cautionné et approfondi par le Concile, le mouvement biblique a pu enrichir la vie de l'Église ; et il l’a fait dans une large mesure. Un nouvel ordre de lecture a été introduit dans la liturgie, qui devait permettre aux fidèles d’avoir un meilleur accès à la Parole de Dieu ; une nouvelle orientation a été donnée à la catéchèse et à la théologie, dont l’âme est l’étude des saintes Écritures (DV 24), et il y a même eu un renouveau de spiritualité axé sur l’Écriture, au cours duquel les livres de méditation et d’édification utilisés jusqu’alors ont été pour la plupart écartés et remplacés par la lecture et la méditation de l’Écriture. La théologie et la pratique œcuméniques ne seraient pas entièrement pensables sans la théologie biblique rénovée. La Bible et son exégèse devinrent un point de départ commun pour les chrétiens des différentes communautés ecclésiales ; ils y ont trouvé une impulsion et une source d’inspiration pour la recherche de la pleine unité.

D’un autre côté, ce ne serait certainement pas réaliste d’oublier qu’il existe également des forces et des courants qui, en séparant le renouvellement de son origine, le privent de l’entièreté de ses fruits. La théologie biblique devrait se sentir encouragée par le magistère à adopter les méthodes de l’exégèse biblique historique, qui se sont révélées utiles et fécondes. Toutefois, par un excès d’érudition, la théologie biblique, au lieu de rendre la Bible plus accessible, a souvent érigé autour d’elle une sorte de clôture qui a barré plutôt que facilité son accès au chrétien ordinaire. Certains commentaires parlent moins de Dieu et de sa Parole que des idées et des intentions des auteurs des différents écrits et couches de la Bible. Voulant s’en servir pour préparer un sermon, on est le plus souvent déçu et on finit par y renoncer ; leur lecture nous a peut-être apporté de meilleures connaissances, mais pas nécessairement une plus grande sagesse.

Ce n’est que lentement qu’on a pris conscience du fait qu’à la base de l’exégèse biblique soi-disant purement objective et historique, il y a l’idée préconçue et le préjugé, typiquement modernes, selon lesquels on voudrait s’émanciper de la prévention dogmatique, alors que cette « lutte de libération à l’égard du dogme » du tournant moderne portait l’individu à s’ériger en juge du texte. L’exégèse biblique s’est ainsi détachée du contexte ecclésial, mais elle a très souvent fait avec la Bible exactement ce qu’elle reprochait à la dogmatique ; elle en a fait, d’une manière nouvelle, une mine exploitée pour ses propres projets. Comme le montre en particulier l’histoire de la recherche libérale sur la vie de Jésus, c’était souvent le propre esprit des maîtres qui s’exprimait dans leurs résultats prétendus purement objectifs. Récemment, il est de nouveau apparu évident qu’« une dogmatique particulière s’est érigée en nouvelle norme de l’exégèse, qui consiste en succédanés de la tradition théologique et transforme l’horizon théocentrique en horizon anthropocentrique ».

Ainsi, l’unité de la Bible et des différents livres bibliques s’est désagrégée en de multiples couches et textes. La Bible commentée n’est plus le fondement de l’unité de l'Église, mais de la pluralité des confessions qui peuvent toutes s’appuyer, plus ou moins, sur une diversité de couches et d’ensembles de la tradition biblique. La question se pose donc de savoir comment entendre l’unique Parole de Dieu dans ces multiples témoignages et leurs nombreuses couches . En fait, la plupart des différences spécifiquement confessionnelles entre les biblistes appartiennent désormais au passé, mais il est devenu difficile de saisir toutes les différences entre les écoles et les opinions qui se chevauchent les diverses confessions. Dans la théologie protestante on parle de la crise du principe scripturaire évangélique dans sa conception traditionnelle.

Un processus analogue a lieu au niveau paroissial. Bon nombre de chrétiens ont tiré un grand bien spirituel de la lecture et de la méditation de l’Écriture Sainte ; en cela, l’exégèse scientifique de la Bible leur a souvent été utile. Par contre, l’excès d’érudition biblique en a repoussé d’autres, ou alors c’était trop exiger d’eux. Ils estimaient pouvoir se passer de l’écoute d’une exégèse trop minutieuse. On en vint à des méthodes de travail biblique pratique qui tire du texte, selon l’idée ou l’intérêt subjectifs, ce qui répond aux besoins du moment ou aux sentiments subjectives , sans s’interroger sur les intentions du texte. Ainsi, c’est parfois davantage une question d’édification subjective que d’écoute de ce que Dieu veut nous dire.

La corrélation profonde entre la Parole de Dieu, l'Église et le salut de l’homme, d’où partait le préambule de la Constitution sur la Révélation divine, a donc été rompue par différents côtés. L’exégèse biblique donne souvent l’impression du chaos plutôt que de l’unité. C’est pourquoi nous avons de bonnes raisons de réfléchir à nouveau sur le rapport entre la Parole de Dieu et l’unité de l'Église. Nous avons besoin d’une nouvelle réception, c'est-à-dire d’une nouvelle assimilation des intentions du Concile Vatican II, pour remettre au premier plan l’écoute de ce que Dieu veut nous dire. Il est temps de reparler de Dieu.

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III. Parole de Dieu comme parole de salut

« Dei Verbum », « Parole de Dieu » - c’est ainsi que s’intitule la Constitution sur la Révélation divine. Ces mots, que l’on trouve si souvent dans la Bible, donnent déjà matière à réflexion. Ils disent qu’il s’agit de la Parole de Dieu et non de la parole des hommes. Ils disent en outre que Dieu est un Dieu qui parle et pas une idole muette, qui ne parlent pas (Ps 115,5). Bien sûr, Dieu est le Dieu caché, le Dieu qui est au-dessus de tout concept et de toute parole humaine ; mais il n’est pas un Dieu inconnu et étrange comme l' a conçu la gnose antique et comme le conçoit la néo-gnose moderne. Il est le Dieu qui s’abaisse, qui s’adresse à l’homme, qui révèle son nom à nous et qui ainsi peut être nommé et appelé par nous. C’est un Dieu de la communication. Dieu existe et parle de toute éternité. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu » (Jn 1, 1).

Nous ne pouvons pas aborder ici l’exégèse théologique trinitaire de cette déclaration. En ce qui nous concerne il suffira de dire que Dieu ne nous reçoit pas comme le faisait la pythie grecque, avec des murmures mystérieux et ambigus, ni avec l’extase des mystiques, qui dépasse tout langage et finit par rester muette devant le mystère, ni avec l'exubérance et les frémissements des sentiments pieux ou encore avec des discours béats ; le Dieu biblique vient à nous avec un message humain et intelligible, qui crée la communauté. C’est ce que l’apôtre Paul a très clairement fait remarquer aux charismatiques corinthiens (1 Co 14, 2-12).

En tant que Parole de Dieu, ce discours n’est pas un verbiage sans importance; il est au contraire plein de force. Il opère et accomplit ce qu’il dit. « Dieu dit... et ce fut » (Gn 1, 3 etc.). Le concept hébraïque « dabar » signifie l’un et l’autre : parole et acte. La Parole de Dieu est une réalité dynamique ; elle a un caractère factuel ; elle est verbum efficax. « Dicere Dei est facere » dit Thomas d’Aquin. « Vivante, en effet, est la Parole de Dieu, énergique et plus tranchante qu’aucun glaive à double tranchant. Elle pénètre jusqu’à diviser âme et esprit, articulations et moelles. Elle passe au crible les mouvements et les pensées du cœur » (He 4, 12).

La Bible décrit ce caractère factuel également par des catégories personnelles. La Parole de Dieu est un discours amical adressé à l’homme, et une invitation à la communion. Dieu se révèle pour entrer en communion et en dialogue avec l’homme (cf. Ex 33, 11 ; Jn 15, 14-15). La Parole de Dieu est ainsi une invitation à l’amitié avec Dieu et à l’amitié les uns avec les autres. C’est dans ce sens que Thomas d’Aquin a défini la caritas une amitié divine, et que les mystiques du bas Moyen-Âge se disaient amis de Dieu.

Dieu s’étant révélé par des paroles et par des actes historiques, sa parole n’est pas un fait purement « actualiste ». Les paroles proclament les œuvres et celles-ci corroborent les paroles (DV 2). Avec cette déclaration le Concile dépasse aussi bien l’intellectualisme unilatéral que l’existentialisme « actualiste », sans tomber pour autant dans le positivisme historique. La Parole de Dieu, en tant que discours d’actualité, a un contenu concret et renferme en même temps des éléments de profession transférables. C’est ce qui apparaît clairement déjà dans l’Ancien Testament, surtout dans le "schéma Israël" : « Écoute, Israël ! Le Seigneur notre Dieu est le Seigneur UN ! » (Dt 6, 4). Dans le Nouveau Testament, comme on le sait aujourd'hui, les professions de foi appartiennent à la tradition la plus ancienne ; elles sont antérieures aux Évangiles et aux Épîtres (Rm 10, 9 ; 1 Co 12, 3 ; 15, 3-5 etc.).

Parole et action sont unis de façon unique et définitive en Jésus Christ. En lui, le Verbe s’est fait chair (Jn 1, 14). Jésus Christ, « par toute sa présence, par tout ce qu’il montre de lui-même, par ses paroles, par ses œuvres, par ses signes, par ses miracles, mais surtout par sa mort et sa glorieuse résurrection d’entre les morts, enfin par l’envoi qu’il fait de l'Esprit de vérité, donne à la révélation son dernier achèvement et la confirme » (DV 4). Il est, comme dit Thomas d’Aquin, le verbum abbreviatum.

Dans cet événement qu’est la révélation par la parole et par l’action, la question, en dernière analyse, n’est pas que Dieu ait dit « quelque chose », un secret, une doctrine ou un commandement quelconques. Dans sa Parole, Dieu se révèle lui-même et révèle le mystère de sa volonté. En fin de compte, il ne s’agit donc pas de révélation matérielle mais d’auto-révélation et d’auto-communication de Dieu. Selon Thomas d’Aquin, Dieu est le véritable objet matériel et formel de la foi ; tout ce qui peut être dit sur l’humanité du Christ et sur les sacrements de l'Église est objet de foi dans la mesure où nous sommes ordonnés à Dieu.

Dieu se révèle à l’homme comme sa destination définitive, son salut eschatologique. Dans sa Parole il se donne à l’homme et le fait participer à la nature divine (2 P 1, 4). C’est ainsi qu’à l’écoute de la Parole de Dieu dans la foi, l’homme se ne comprend plus par lui-même mais par ce qui est entièrement différant de lui, c'est-à-dire par la Parole de Dieu. Ainsi par la Parole de Dieu l’homme est donné à lui-même de façon entièrement nouvelle. Le Concile Vatican II a exprimé cet état de choses en des termes encore une fois géniaux lorsqu'il dit que Dieu se révèle à l’homme et révèle l’homme à l’homme (Gaudium et Spes 22).

La Parole de Dieu est donc un événement personnel et en même temps un fait historique réel, une auto-révélation de Dieu ainsi qu’une révélation de l’homme et de sa destinée ; théocentrisme et anthropocentrisme ne constituent en ce cas aucune contradiction, mais une unité qui atteint sa perfection en Jésus Christ. C’est pourquoi, toute révélation doit, en fin de compte, être comprise en sens christocentrique. ( rs.. et pourquoi pas Théoanthropocentrique ...)

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IV.-L’Église maison de la Parole de Dieu

Ce que nous avons dit sur la parole de Dieu comme dialogue entre Dieu et l’homme que atteint sa perfection en Jésus Christ montre que la Parole de Dieu est ordonnée à l’histoire du salut. La Parole de Dieu a été prononcée « de bien des manières » au cours de l’histoire (He 1,1). Lorsque nous suivons son parcours dans l’histoire du salut, la puissance créatrice de communion et d’unité de la Parole de Dieu apparaît clairement. Cela se révèle déjà dans la création. Dieu crée par la Parole (Gn 1). L’univers n’est donc pas issu du chaos et n’est pas non plus un produit du hasard ni une simple évolution aveugle ou même orientée. Tout ce qui, selon la perspective actuelle, a eu lieu comme évolution, selon la Bible est porté et maintenu uni par la Parole. Dieu « porte l’univers par la puissance de sa parole » (He 1,3).

La réalité est donc de la nature du logos et pleine de sens et comme telle une réalité ordonnée à l’être humain et à son entendre et sa intelligence.

L’homme, créé à l’image de Dieu (Gn 1, 27), est un être parlant ; son langage est la caractéristique qui le distingue des animaux muets (behemah) (Ps 49,13). Ainsi sa position dominante se manifeste en ce qu’il donne un nom, c'est-à-dire une signification et un sens aux autres créatures (Gn 2,20). Par le langage, l’être humain crée un rapport cohérent et intelligible dans la réalité, et à travers la communication linguistique il crée aussi un rapport entre les hommes et ainsi la communauté s'édifie entre les êtres humains. Par contre, lorsqu'ils ne se parlent plus et s’évitent, c’est l’inimitié, le crime et le meurtre qui surviennent. Ainsi, par l’orgueil de l’homme, comme le dit le récit sur la tour de Babylone, le langage humain s’est confondu ; les hommes ne pouvaient plus s’entendre et ils se dispersèrent (Gn 11).

Après les bouleversements dus à la confusion babylonienne des langues, Dieu a entrepris un nouveau début avec l’appel à Abraham. Lui a été élu comme une personne particulier , tout de même toutes les familles de la terre seraient bénies en Abraham (Gn 12,3 e.a.) ; sa élection particulière avait au même temps un but universel. En lui Dieu commença donc à rassembler à nouveau son peuple. Plus tard les prophètes parlaient sans cesse d’un rassemblement eschatologique du peuple et de tous les peuples (Es 2 ; Mi 4 ; Ez 34 ; 37, e.a.). Jésus a repris à son compte cet espoir d’un rassemblement eschatologique (Mt 12,30 ; Lc 11,23). Il a initié ce mouvement de rassemblement en allant, comme un pasteur, chercher et ramener les brebis égarées d’Israël (Mc 6,34 ; Mt 15,24 ; e.a.; Jn 10).

Ce mouvement a continué après la Pâque. C’est ce qui a induit Luc, le premier parmi les évangélistes à qui on attribue un concept global de l’histoire du salut, à ajouter à son premier récit ou livre (Ac 1,1), un deuxième livre dans lequel il relate la diffusion de la Parole de Dieu jusqu’aux extrémités de la terre (Ac 1,8). Il y décrit comment la Parole de Dieu gagnait toute la contrée (13,49), comment elle croissait (6,7) et comment elle se multipliait (12,24). L'Église se forme partout où la Parole de Dieu est écoutée avec foi et accueillie du fond du coeur. C’est donc la Parole de Dieu qui rassemble et fonde l'Église. Ainsi « ekklesia » la traduction de l’hébreu qahal et signifie avant tout réunion ; elle est l’actualisation du rassemblement et de la réunion par la Parole de Dieu.

Les Pères de l'Église mettent sans cesse l’accent sur la signification originelle de la parole « ekklesia » la font dériver du verbe « kalein » qui veut dire ‘appeler’. Pour eux, l'Église est la communauté appelée et rassemblée par la Parole. Cyrille de Jérusalem écrivait déjà dans ses catéchèses : « Le nom Ekklesia s’explique de ce que par elle tous les hommes sont appelés et rassemblés ». Isidore de Séville a résumé cette définition de la Tradition : « Ecclesia vocatur proprie, propter quod omnes ad se vocet, et in unum congreget ». Cette interprétation trouve encore un écho au Concile Vatican I, lorsque celui-ci se réfère à Es 11,12 et l'Église est conçue comme le signe érigé parmi les nations, qui rassemble les exilés d’Israël et les dispersés de Juda des quatre coins de la terre (cf. DS 3014).

En conséquence, dans une des définitions les plus anciennes et les plus courantes, l’Église est indiquée comme congregatio fidelium, assemblée des fidèles. Cette définition a souvent été comprise à tort comme une conception purement réformée de l'Église ; on la trouve en effet en des points essentiels des symboles de foi réformés ; mais cela montre plutôt combien la Réforme reste attachée à l’interprétation traditionnelle et combien nous avons en commun dans la compréhension de l'Église, malgré toutes les différences qui existent. Car cette définition représente la tradition patristique la plus ancienne, que l’on retrouve encore chez Thomas d’Aquin et dans le catéchisme du Concile de Trente.

Ce serait évidemment mal interpréter la définition de congregatio fidelium que de concevoir l'Église comme une somme et comme une association de croyants particuliers. Cette conception individualiste, que l’on trouve de plus en plus dans le néo-protestantisme, est étrangère à l’Écriture ainsi qu’à la Tradition. L'Église est congregatio fidelium non pas parce qu’elle réunit des fidèles particuliers en une communauté de fidèles, mais parce que tous le fidèles participent ensemble à l’enseignement des apôtres, à la fraction du pain, aux prières et aux biens matériels (Ac 2,42.44). « Koinônia », au sens biblique et patristique, ne signifie pas essentiellement communauté de fidèles rassemblés et en rapport les uns avec les autres, mais participation (participatio) en commun aux biens du salut, c'est-à-dire également participation commune à l’Évangile (Ph 1,5) et à la foi (Phm 8). Ce n’est pas la communauté des fidèles qui crée la communauté de foi, c’est au contraire la communauté de foi qui crée la communauté des fidèles.

Dans la deuxième Épître aux Corinthiens de l’apôtre Paul, ce concept est ultérieurement approfondi. L’apôtre confronte la Parole de Dieu dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament. La Parole de l’Ancien Testament est gravée sur des tables de pierre, celle du Nouveau Testament est écrite dans les cœurs par l'Esprit de Dieu (2 Co 3,3). Cela veut dire, que tous les fidèles dans la foi participent à l’unique Esprit de Dieu. La réception de cette déclaration a une longue histoire ; on la trouve aussi bien chez Irénée de Lyon que chez Origène. Pour Thomas d’Aquin, la loi de l’Évangile n’est que secondairement une loi écrite ; en premier lieu c’est une loi inspirée, elle est « la grâce de l'Esprit-Saint, qui est accordée par la foi dans le Christ » (gratia Spiritus Sancti, quae datur per fidem Christi). Le Concile de Trente, par l’intermédiaire du délégué du Pape Cervini, a fait sienne cette conception (DS 1501), et le Concile Vatican II l’a reprise à son compte (DV 7).

Le grand théologien de Tübingen, Johann Adam Möhler, père du renouvellement ecclésiologique au XXe siècle, l’a amplement traitée et approfondie dans son ouvrage de jeunesse, « L’unité de l'Église ». Pour lui, l'Église est l’ensemble des croyants, maintenu uni par un principe de vie commun et sans cesse rénové et rajeuni ; pour cette raison, le christianisme n’est pas un simple concept, mais « une question de vie et de vie en commun ». De sorte que le Concile a pu dire: « L'Église, dans sa doctrine, sa vie et son culte, perpétue et transmet à toutes les générations tout ce qu’elle est elle-même et ce qu’elle croit » (DV 8).

Cette expression n’est pas sans poser des problèmes, car elle pourrait créer la fausse impression que l'Église n’est plus Église à l’écoute de la Parole de Dieu mais seulement en dialogue avec elle-même, parce qu’elle identifie sa parole et sa réalité avec la Parole de Dieu. E. Käsemann a parlé d’une divinisation de l'Église et a annoncé à ce sujet la protestation des réformés. Il aurait raison si cela avait réellement été l’intention du Concile et la doctrine de l'Église catholique. Qu’il n’en est rien, c’est ce qui ressort d’une autre déclaration du Concile : « C’est ainsi que Dieu, qui a parlé jadis, s’entretient sans arrêt avec l’Épouse de son Fils bien-aimé, et que l'Esprit-Saint, par qui la voix vivante de l’Évangile retentit dans l'Église et par l'Église dans le monde, introduit les croyants dans tout ce qui est vérité, et fait résider chez eux en abondance la parole du Christ » (DV 8). Le concept entretien e l’image du rapport entre époux et épouse indique qu’il ne s’agit pas d’une identification mais d’un vis-à vis entre la Parole de Dieu et l’Église.

Pour exprimer l’intimité de ce vis-à-vis nous trouvons dans la Bible encore un autre image, l’image de demeurer. Dans le livre de Jésus le Siracide on trouve une réflexion sur le chemin de la sagesse de Dieu dans l’histoire du salut. Elle cherche dans tous les peuples et dans toutes les nations un endroit où demeurer et ne le trouve nulle part, sauf en Sion, à Jérusalem, auprès du peuple qui appartient à Dieu (Sir 24). Le Nouveau Testament reprend cette image. Selon Jn 1,14, le Verbe éternel habite et a sa tente en Jésus Christ, et selon Col 3, 16 la Parole du Christ habite dans toute sa richesse dans la communauté. L'Église comme maison de Dieu est donc la maison et l’habitation de la Parole de Dieu ; comme maison de Dieu elle est la colonne et le soutien de la vérité (1 Tm 3,15).

Quelle image et quelle promesse ! L'Église comme maison et demeure de la Parole, colonne et soutien de la vérité. Finalement la Parole de Dieu, la parole à laquelle on peut se confier a trouvé une place, où l’on peut la trouver, où l’on peut demeurer et où l’on peut s’orienter. Peut-être aujourd’hui comprenons-nous graduellement et nouvellement mieux, dans notre Babylone postmoderne et sa confusion linguistique, ce que signifie, au milieu du désordre et du désarroi de notre temps, avoir un lieu où habite la vérité et d’où vient la Parole de vérité, un lieu où se reposer en toute sécurité et autour duquel se rassembler à nouveau !

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V. Écoute ecclésiale de la Parole de Dieu

Le point où nous sommes arrivé devient immédiatement un point de départ pour des questions nouvelles. Comment trouver l’unité dans l’Église et comment doit-on comprendre cette unité ? Évidemment pas comme un système ni comme une somme. La Parole de Dieu a été donnée plusieurs fois et de bien des manières tout au long de l’histoire (He 1,1) ; nous la rencontrons de diverses manières aujourd'hui également ; elle reflète de façon tant diachronique que synchronique la sagesse multiple de Dieu (Ep 3,10). Dans la Bible nous trouvons l’unique Parole de Dieu dans de multiples paroles qui se contredisent parfois, l’unique livre de l’Écriture en de nombreux écrits différents, au total 79, et l’unique Évangile en quatre Évangiles dont la rédaction reflète des théologies différentes. Une harmonisation des Évangiles, tentée au 2ème siècle par Tatien dans son « Diatessaron », s’était déjà alors révélée impossible.

L’Écriture est née au cours d’un processus de transmission compliqué et, dans sa forme canonique actuelle, elle est un produit de la Tradition. Le canon de l’Écriture résulte d’une patiente écoute réciproque et d’un échange d’expériences de foi vécues par la communauté des fidèles à l’écoute des différents témoignages de foi durant les célébrations liturgiques. La pluralité et la proximité dans un seul et même canon peuvent être décrites comme dialogue « coagulé » et « consolidé ».

D’autre part par le canon de la Bible , la Parole de Dieu n’est évidemment pas comme figée dans un livre ; Parole de Dieu vivante, elle était présente tout au long de l’histoire de l'Église. Ainsi, on sait aujourd'hui que l’Écriture ne peut pas être séparée de la Tradition et qu’on ne peut pas délibérément les opposer l’une à l’autre. La Tradition au sens théologique c’est la Parole de Dieu toujours vivante et actuelle dans l’Église. On ne peut donc pas survoler 2000 ans et reporter le texte biblique dans le présent sans tenir compte de l’histoire de sa tradition et ça veut dire de son interprétation et actualisation au cours de l’histoire. Cette constatation a été confirmée par la nouvelle herméneutique – et je ne mentionnerai que les noms de Hans Georg Gadamer et de Paul Ricœur.

Entre temps, les idées de ce genre ont amené de nombreux biblistes à modifier l’orientation de leur pensée. L’unité de l’Écriture, de même que celle de la Tradition, n’est pas conçue comme un système abstrait, mais comme un processus de transmission, dans lequel Tradition et interprétation sont étroitement liées. Dans ce sens, depuis quelque temps, une exégèse de l’unique Bible, orientée sur le canon, est de nouveau d’actualité. On pourrait dire également que l’unité de l’Écriture, comme celle de la Tradition, est l’unité d’un processus de dialogue qui, au fond, reste uni du fait que c’est le Dieu unique qui parle avec son Église et qui sans cesse engage la chrétienté et les théologiens, toutes deux souvent incurablement litigieuses, à dialoguer entre elles également. C’est exactement ce qui advient dans le dialogue œcuménique, où par l’impulsion de l’Esprit Saint les Églises et communautés séparées commencent à dialoguer et communiquer de nouveau.

Ce point de vue d’une unité de dialogue nous ramène de manière surprenante à l’exégèse scripturaire des Pères. Je suis convaincu que le renouvellement de leur exégèse peut nous aider pour trouver une réponse à nos problèmes théologiques et pastorales. Il faut seulement surmonter d’abord nos préjugés. Les Pères de l'Église ne raisonnent pas à partir de théories empruntées à l’extérieur et appliquées à la Parole de Dieu, mais de ce qu’est et de ce que veut la Parole de Dieu elle-même. Leur point de départ pour sauvegarder l’unité de l’Écriture est que le même Dieu un a parlé avec un grand nombre de paroles, en des temps différents à des hommes différents. C’est donc le Dieu un qui garantit l’unité de l’Écriture. C’est un seul et même Dieu qui a parlé dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament. Par conséquence les Pères opposaient à la rupture de l’unité de l’Écriture par Marcion le monothéisme biblique.

Le Nouveau Testament, avec l’exégèse typologique (Ac 7,44 ; Rm 5, 14 ; 1 Co 10, 6 ; Col 2, 17 ; He 8,5), a lui-même jeté les bases de cette conception de l’unité de l’Écriture. Chez les Pères de l'Église elle devint le point de départ de leur herméneutique. Augustin a énoncé le principe fondamental en termes classiques : le Nouveau Testament est caché dans l’Ancien, l’Ancien est révélé dans le Nouveau. Nous ne pouvons pas comprendre l’un Testament sans l’autre, et pour cette raison dans la liturgie dominicale à la lecture du Nouveau Testament corresponde la lecture du l’Ancien Testament.

Par la suite, la défense de l’unité de l’Ancien et du Nouveau Testament devenait une tâche et un défi contre la théologie libérale au XIXe siècle et contre l’antisémitisme nazi au XXe siècle. Lorsque, après la tragédie de la shoah et après bien des siècles, le dialogue avec le judaïsme a repris sur l’initiative du Concile Vatican II (Nostra Aetate, 4), la continuité dans la discontinuité de l’Ancien et du Nouveau Testament est devenue de nouveau essentielle pour la redécouverte de l’idée biblique de l’unité de l'Église comprenant le juif et le païen (Ep 2,11-22), un thème que nous sommes loin d’avoir épuisé et qui a pourtant une importance fondamentale pour l’unité de l'Église.

L’unité dans la diversité de l’Ancien et du Nouveau Testament conduit à l’interprétation christologique. Car Jésus Christ est la véritable nouveauté du Nouveau Testament. Il résume et intègre toute l’histoire de la révélation. En lui la Parole de Dieu incarnée est apparue dans sa plénitude, définitivement et de manière insurpassable dans l’histoire (Jn 1,14). Qui ne trouve pas le Christ dans l’Écriture n’y trouve rien. Ce point central fait la lumière sur tout l’Ancien et tout le Nouveau Testament, en particulier sur les passages difficiles à interpréter. Ce n’est qu’à partir de lui et pour lui que l’Écriture, ainsi que la Tradition, deviennent une structure cohérente et harmonieuse, et c’est ce que le Concile Vatican II voulait exprimer en parlant d’une hiérarchie des vérités (UR 11).

Sur ce point les exégèses scripturaires catholique et protestante concordent. Pour Luther également, Jésus Christ est la clé de toute l’Écriture. L’Ancien comme le Nouveau Testaments doivent être interprétés à partir de cet élément christologique central et par rapport à lui. Mais ici apparaissent également des différences entre les positions catholique et protestante. La position catholique ne peut pas concevoir Jésus Christ séparé de l'Église dont il est le chef, mais uniquement par rapport à son corps qui est l'Église. Nous entendons le « solus Christus » luthérien dans le sens du « totus Christus » augustinien, du Christ tout entier, chef et membres.

Cela ne signifie pas que Jésus Christ est mis au niveau de l'Église ni qu’il est absorbé par elle. L'Église n’est pas le Christ élargi , mais le Christ qui continue de vivre dans son Église. Comme chef de l'Église, il reste le Seigneur de l'Église et l'Église a le devoir de l’écouter et le servir. Alors que Jésus Christ était saint et n’a pas connu le péché, l'Église a des pécheurs dans son sein et laisse souvent apparaître des structures de péché. « L'Église ... qui est sainte et, en même temps, doit toujours être purifiée, recherche sans cesse la pénitence et le renouvellement » (LG 8). Pour cette raison, elle doit toujours distinguer de manière critique entre la Tradition qui est une et les nombreuses traditions.

À l’ interprétation typologique et christologique s’ajoute finalement l’interprétation eschatologique. Dans l'Église, le Royaume de Dieu est déjà présent, bien que de manière mystérieuse ; l'Église n’est cependant pas encore le Royaume de Dieu accompli, elle l’attend encore dans l’espérance et la vigilance. Elle ne le voit pas encore mais elle le discerne comme dans un miroir et avec des linéaments confus (1 Co 13,12). Dans la Parole de Dieu également nous n’avons « pour ainsi dire que les linéaments des choses futures ». La Parole de Dieu anticipe ainsi l'accomplissement eschatologique, le rassemblement eschatologique des peuples et la rencontre eschatologique avec le premier peuple de l’alliance. Dans cette exégèse eschatologique, la Parole de Dieu est porteuse d’une espérance d’unité et de paix dont le monde d’aujourd'hui a particulièrement besoin. Elle devient parole et promesse de paix.

Cette perspective de l’histoire christologique et eschatologique du salut, a en quelque sorte comme conséquence logique la doctrine traditionnelle d’un triple ou quadruple sens de l’Écriture. Cette doctrine procède du sens historique littéral ; celui-ci en est le fondement indispensable ; mais à partir de ce fondement, l’exégèse des Pères cherche à extraire du contexte général de l’Écriture les dimensions christologique, ecclésiologique et eschatologique de sa nature profonde. Cette doctrine a un sens tout à fait pratique. Elle m’a déjà souvent aidé moi-même à structurer mes sermons dominicaux et à expliquer par exemple un récit synoptique des miracles, d’abord dans son déroulement historique, ensuite du point de vue christologique, en parlant de Jésus Christ comme du médecin qui guérit les blessures de l’humanité, du caractère – pour ainsi dire – thérapeutique des sacrements de l'Église, et enfin de l’espérance eschatologique que, pour finir, toutes les larmes seront essuyées et qu’il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance (Ap 21, 4).

Cette doctrine d’un triple ou quadruple sens n’est naturellement pas une recette qui résout d’un seul coup tous les problèmes. Il reste à faire le difficile travail d’exégèse dont parlent déjà la deuxième Épître de Pierre et les Pères de l'Église, et auquel il est difficile de se soustraire. Au même temps la deuxième Épître de Pierre indique la réponse à dette difficulté ; elle met en garde contre toute exégèse arbitraire de l’Écriture (2 P 1,21). La Bible est un livre de l'Église ; elle a été écrite pour des communautés, elle est lue dans l’assemblée des fidèle, elle est partagée avec d’autres communautés et reçue par celles-ci ; c’est ainsi qu’à travers un processus compliqué s’est finalement formé le canon de l’Écriture Sainte.

La Parole de Dieu dans la Bible appartient à tous ; en conséquence elle doit être interprétée avec le consentement de tous. Dans l’écoute de l’Écriture, il s’agit toujours d’entendre également tous ceux qui s’occupent eux aussi de l’exégèse, et ce qu’ont entendu les autres à côté de nous et avant nous. L’unité de l'Église est finalement un rapport de dialogue, diachronique avec la Tradition et synchronique avec tous ceux qui, du fait de leurs diverses attributions et de leurs différentes compétences officielles et professionnelles, veillent à ce que la Parole de Dieu soit correctement annoncée et reçue.

Dans cette exégèse, le pouvoir de l’apôtre et des pasteurs établis par l'Esprit-Saint, joue dès le début un rôle important (Ac 20,28). « Qui vous écoute m’écoute » (Lc 10,16 ; cf. 1Co 16,16 ; He 13,17 ; 1 P 5,5). Une correcte interprétation de la Parole de Dieu ne peut être que le résultat d’une communication ouverte à laquelle tous ont une part, bien que dans une forme différente : le témoignage du magistère ecclésial comme celui des laïcs et des théologiens, le témoignage des saints comme celui des gens simples et principalement de la liturgie, mais aussi de l’art religieux et de la prophétie du monde extérieur. Il s’agit d’une écoute catholique de la Parole de Dieu au sens originel du terme.

Ces différentes instances de témoignage ont chacune leur importance spécifique et l’une ne peut se substituer à l’autre ni l’évincer ; ainsi, par exemple, la théologie ne peut pas prendre la place du magistère, mais inversement, le magistère ne peut pas non plus ignorer ce qu’une théologie sérieuse et des croyants laïques ont à dire. La définition magistérielle énonce une doctrine obligatoire pour tous, mais elle ne met pas purement et simplement un point final à toute discussion. Car chaque définition est sujette à réception, et celle-ci, de son côté, n’est pas une répétition passive mais un processus actif guidé par l'Esprit.

L’unité de ce processus de dialogue n’est pas établie par l’autorité seulement. J. A. Möhler a dit que le Christ n’a pas purement et simplement donné à ses disciples « l’ordre d’être unis ». L’unité est œuvre de l'Esprit-Saint. Tout comme la parole naturelle qui ne peut être entendue que portée par le souffle et l’haleine, de même la Parole de Dieu ne peut être perçue que dans l'Esprit-Saint et par l'Esprit-Saint qui est un Esprit d’unité. L’unité de l'Église est une réalité spirituelle.

J. A. Möhler a exprimé cette idée de la chose commune en des termes bien connus : « Mais dans la vie ecclésiale deux extrêmes sont possibles, et tous deux s’appellent égoïsme ; c’est lorsque chacun ou lorsqu'un seul veut être tout ; dans le deuxième cas, le lien qui unit est si étroit et l’amour si brûlant qu’on finit par étouffer ; dans le premier cas, tout croule et il fait si froid qu’on en meurt ; un des égoïsmes engendre l’autre ; mais nul ni chacun ne doit vouloir être tout ; ce n’est que tous ensemble que l’on peut être tout, et l’unité de tous ne peut être qu’un tout. C’est l’idée de l'Église catholique ».
 ( n'aurions nous pas ici ... ENUN et l'HOMENTRANCHE .... et l'Eglise, multiples et UN, celle de homocoques )
 

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ZF05012407

Nous publierons chaque jour une partie de cet exposé à l’occasion de la semaine de prière pour l’Unité : I et II le 20 janvier, III, le 21 janvier, IV, le 23 janvier, V, le 24 janvier, et VI le 25 janvier).
 

 

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