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Il est temps de reparler de Dieu...
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Dossier :
Dieu |
Document
non mis en forme
Présentation :
Une conférence
du cardinal Kasper sur le thème : « Parole de Dieu et unité de l'Église
» ... très intéressante et met bien en évidence cette
évolution de l'Eglise dans l'Esprit de Vatican II ...
Extraits :
I. Un énoncé programmatique du Concile
.....cette vie qui vient de la Parole, et précisément en la communion (koinônia) avec
Dieu et les uns avec les autres .
II. Lumières et ombres dans la situation post-conciliaire leur lecture nous a peut-être apporté de meilleures connaissances, mais
pas nécessairement une plus grande sagesse. ......corrélation profonde entre la Parole de Dieu, l'Église et le salut
de l’homme,
III. Parole de Dieu comme parole de salut
.. Il est le Dieu qui s’abaisse, qui s’adresse
à l’homme, qui révèle son nom à nous et qui ainsi peut être nommé et
appelé par nous. C’est un Dieu de la communication. Dieu existe et parle
de toute éternité. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était
tourné vers Dieu »
IV. L’Église
maison de la Parole de Dieu ...Ainsi «
ekklesia » la traduction de l’hébreu qahal et signifie avant tout réunion
; elle est l’actualisation du rassemblement et de la réunion par la Parole
de Dieu....La Parole de l’Ancien Testament est gravée sur des tables de
pierre, celle du Nouveau Testament est écrite dans les cœurs par l'Esprit
de Dieu ... le christianisme n’est pas un simple concept, mais « une
question de vie et de vie en commun »...un vis-à vis entre la
Parole de Dieu et l’Église. .
V. Écoute ecclésiale de la Parole de Dieu ...le
Nouveau Testament est caché dans l’Ancien, l’Ancien est révélé dans le
Nouveau. ..le même Dieu un a parlé avec un grand nombre de paroles,
en des temps différents à des hommes différents.. La pluralité et
la proximité dans un seul et même canon peuvent être décrites comme
dialogue « coagulé » et « consolidé ».
VI. Renouvellement de la Lectio divina
résonances :
MM
en
io-relation
.... mmm
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Auteur:
cardinal Walter Kasper
Source:
zenit.org
Date :
du 21 au 25.01.2005
CITE DU VATICAN, Vendredi 21 janvier 2005 (ZENIT.org) – A l’occasion de
la Semaine de prière pour l’Unité des chrétiens, l’évêque de Nanterre,
dans les Hauts de Seine, en région parisienne, Mgr Gérard Daucourt, a
invité le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour la
Promotion de l’Unité des chrétiens. Le cardinal Kasper a concélébré
l’eucharistie, lundi dernier, 17 janvier, en la cathédrale de Paris, aux
côtés du cardinal Jean-Marie Lustiger.
Le cardinal Kasper a ensuite donné une conférence à l’Espace
Saint-Pierre de Neuilly sur Seine, sur le thème : « Parole de Dieu et
unité de l'Église ». En effet, au moment où l’Eglise célèbre l’année de
l’Eucharistie, Mgr Daucourt a aussi lancé dans le diocèse une « Année de
la Parole de Dieu ». Le cardinal Kasper a insisté sur l’unité des deux «
tables » de la Parole et de l’Eucharistie.
Le cardinal Kasper a structuré son exposé en six parties (ci-dessous),
en remontant au concile Vatican II, et il a achevé sur une considération
sur l’œcuménisme spirituel, à partir du renouveau de la tradition de la «
Lectio divina ».
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I.-Un énoncé programmatique du Concile
En cette année 2005 qui vient de commencer, nous pouvons jeter un
regard rétrospectif sur les quarante ans qui se sont écoulés depuis la fin
du Concile Vatican II. Ce sera le 40ème anniversaire de toute une série
d’importants documents du Concile. Parmi ceux-ci, le plus important et
d’une portée fondamentale, bien qu’il n’ait pas nécessairement retenu le
plus l’attention du public, est la Constitution dogmatique sur la
Révélation divine « Dei Verbum ». Elle débute par une déclaration
magistrale, avec laquelle le Concile est parvenu à s’exprimer de manière
vraiment géniale et à frapper un grand coup : « Quand il [le Concile]
écoute religieusement et proclame hardiment la Parole de Dieu... ».
Avec cette remarquable déclaration, le Concile n’entend certes pas la
Parole de Dieu comme un livre ni comme une collection de livres
canoniques. Le christianisme n’est pas une religion du livre, encore
qu’actuellement, pour des raisons facilement compréhensibles, il soit
souvent considéré comme telle dans le dialogue interreligieux. La Parole
de Dieu est un discours et un événement ; elle advient, elle oriente, elle
dispense la grâce. C’est cela la Parole de Dieu vivante, proclamée et
écoutée avec foi.
Ainsi compris, le préambule de la Constitution sur la Révélation divine
contient une auto-définition de l'Église à laquelle on était très peu
accoutumé jusqu’à présent et qui est pourtant profondément enracinée dans
la Tradition. L'Église s’y définit comme Église humblement à l’écoute et
se considère en même temps comme Église envoyée dans le monde, précisément
pour annoncer cette Parole de Dieu avec hardiesse – qui ne veut rien dire
d’autre que : avec « parrèsia », en toute franchise. L'Église existe par
la Parole de Dieu et pour la Parole de Dieu. Par sa nature elle est une
Église à l’écoute et une Église missionnaire (AG 2).
Le passage de la première Épître de Jean, qui suit immédiatement le
préambule dans la Constitution sur la Révélation divine, montre clairement
de quoi il est question dans cette écoute et cette proclamation : « Nous
vous annonçons la vie » (1 Jn 1,2). La Parole de Dieu est Parole de vie,
une Parole qui éclaire la vie et qui est une lumière pour les pas sur le
chemin souvent sombre de la vie (Ps 119, 105), une Parole qui est vie et
qui donne la vie. L’Épître de Jean nous dit en quoi consiste cette vie
qui vient de la Parole, et précisément en la communion (koinônia) avec
Dieu et les uns avec les autres. En même temps, la Parole de Dieu
pousse l'Église au-delà de ses limites du moment. L'Église a pour mission
d’annoncer le message de salut (salutis praeconium) partout dans le monde
– et le préambule continue avec les paroles de saint Augustin – « pour que
... le monde entier croie en écoutant, espère en croyant, aime en espérant
».
Selon ce préambule, Parole de Dieu, être et mission de l'Église, salut
de l’homme et du monde s’interpénètrent intimement. Il y a une corrélation
interne entre la Parole de Dieu et le peuple de Dieu. Martin Luther l’a
traduite dans la formule suivante : « La Parole de Dieu ne peut pas être
sans le peuple de Dieu, et d’un autre côté le peuple de Dieu ne peut pas
être sans la Parole de Dieu ». La Parole de Dieu est constitutive de
l'Église ; elle crée sans cesse une communauté toujours nouvelle et
toujours plus large. Dans l’écoute et la proclamation de la Parole de
Dieu, c’est de l’unité de l'Église qu’il s’agit, et aussi de la plus
grande unité œcuménique de l'Église.
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II.-Lumières et ombres dans la situation post-conciliaire
Des déclarations aussi fortes et aussi énergiques, et des formules
aussi géniales ne sont évidemment pas tout simplement tombées du ciel.
Elles ont été longuement préparées. Au début du XXe siècle, à côté du
mouvement liturgique, du mouvement œcuménique et du mouvement pastoral, il
y avait le mouvement biblique. Déjà les Papes Léon XIII ("Providentissimus
Deus", 1893) et Pie XII ("Divino afflante Spiritu", 1943) l’avaient
efficacement soutenu et encouragé. Certes, il y eurent également des
conflits tragiques et d’ailleurs inutiles, au cours desquels plusieurs
biblistes attachés à l'Église ont personnellement payé un prix élevé pour
avoir cherché à mettre en valeur le sens originel du texte de l’Écriture
par des méthodes scientifiques modernes. Ce n’est qu’avec le Concile
Vatican II qu’a eu lieu la percée décisive. À ce sujet, on ne doit pas
sous-estimer l’influence de l’exégèse et de la théologie protestante.
Cautionné et approfondi par le Concile, le mouvement biblique a pu
enrichir la vie de l'Église ; et il l’a fait dans une large mesure. Un
nouvel ordre de lecture a été introduit dans la liturgie, qui devait
permettre aux fidèles d’avoir un meilleur accès à la Parole de Dieu ; une
nouvelle orientation a été donnée à la catéchèse et à la théologie, dont
l’âme est l’étude des saintes Écritures (DV 24), et il y a même eu un
renouveau de spiritualité axé sur l’Écriture, au cours duquel les livres
de méditation et d’édification utilisés jusqu’alors ont été pour la
plupart écartés et remplacés par la lecture et la méditation de
l’Écriture. La théologie et la pratique œcuméniques ne seraient pas
entièrement pensables sans la théologie biblique rénovée.
La Bible et
son exégèse devinrent un point de départ commun pour les chrétiens des
différentes communautés ecclésiales ; ils y ont trouvé une impulsion et
une source d’inspiration pour la recherche de la pleine unité.
D’un autre côté, ce ne serait certainement pas réaliste d’oublier qu’il
existe également des forces et des courants qui, en séparant le
renouvellement de son origine, le privent de l’entièreté de ses fruits. La
théologie biblique devrait se sentir encouragée par le magistère à adopter
les méthodes de l’exégèse biblique historique, qui se sont révélées utiles
et fécondes. Toutefois, par un excès d’érudition, la théologie
biblique, au lieu de rendre la Bible plus accessible, a souvent érigé
autour d’elle une sorte de clôture qui a barré plutôt que facilité son
accès au chrétien ordinaire. Certains commentaires parlent moins de
Dieu et de sa Parole que des idées et des intentions des auteurs des
différents écrits et couches de la Bible. Voulant s’en servir pour
préparer un sermon, on est le plus souvent déçu et on finit par y renoncer
; leur lecture nous a peut-être apporté de meilleures connaissances, mais
pas nécessairement une plus grande sagesse.
Ce n’est que lentement qu’on a pris conscience du fait qu’à la base de
l’exégèse biblique soi-disant purement objective et historique, il y a
l’idée préconçue et le préjugé, typiquement modernes, selon lesquels on
voudrait s’émanciper de la prévention dogmatique, alors que cette « lutte
de libération à l’égard du dogme » du tournant moderne portait l’individu
à s’ériger en juge du texte. L’exégèse biblique s’est ainsi détachée du
contexte ecclésial, mais elle a très souvent fait avec la Bible exactement
ce qu’elle reprochait à la dogmatique ; elle en a fait, d’une manière
nouvelle, une mine exploitée pour ses propres projets. Comme le montre en
particulier l’histoire de la recherche libérale sur la vie de Jésus,
c’était souvent le propre esprit des maîtres qui s’exprimait dans leurs
résultats prétendus purement objectifs. Récemment, il est de nouveau
apparu évident qu’« une dogmatique particulière s’est érigée en nouvelle
norme de l’exégèse, qui consiste en succédanés de la tradition théologique
et transforme l’horizon théocentrique en horizon anthropocentrique ».
Ainsi, l’unité de la Bible et des différents livres bibliques s’est
désagrégée en de multiples couches et textes. La Bible commentée n’est
plus le fondement de l’unité de l'Église, mais de la pluralité des
confessions qui peuvent toutes s’appuyer, plus ou moins, sur une diversité
de couches et d’ensembles de la tradition biblique. La question se pose
donc de savoir comment entendre l’unique Parole de Dieu dans ces multiples
témoignages et leurs nombreuses couches . En fait, la plupart des
différences spécifiquement confessionnelles entre les biblistes
appartiennent désormais au passé, mais il est devenu difficile de saisir
toutes les différences entre les écoles et les opinions qui se chevauchent
les diverses confessions. Dans la théologie protestante on parle de la
crise du principe scripturaire évangélique dans sa conception
traditionnelle.
Un processus analogue a lieu au niveau paroissial. Bon nombre de
chrétiens ont tiré un grand bien spirituel de la lecture et de la
méditation de l’Écriture Sainte ; en cela, l’exégèse scientifique de la
Bible leur a souvent été utile. Par contre, l’excès d’érudition biblique
en a repoussé d’autres, ou alors c’était trop exiger d’eux. Ils estimaient
pouvoir se passer de l’écoute d’une exégèse trop minutieuse. On en vint à
des méthodes de travail biblique pratique qui tire du texte, selon l’idée
ou l’intérêt subjectifs, ce qui répond aux besoins du moment ou aux
sentiments subjectives , sans s’interroger sur les intentions du texte.
Ainsi, c’est parfois davantage une question d’édification subjective que
d’écoute de ce que Dieu veut nous dire.
La corrélation profonde entre la Parole de Dieu, l'Église et le salut
de l’homme, d’où partait le préambule de la Constitution sur la Révélation
divine, a donc été rompue par différents côtés. L’exégèse biblique donne
souvent l’impression du chaos plutôt que de l’unité. C’est pourquoi nous
avons de bonnes raisons de réfléchir à nouveau sur le rapport entre la
Parole de Dieu et l’unité de l'Église. Nous avons besoin d’une nouvelle
réception, c'est-à-dire d’une nouvelle assimilation des intentions du
Concile Vatican II, pour remettre au premier plan l’écoute de ce que Dieu
veut nous dire. Il est temps de reparler de Dieu.
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III. Parole de Dieu comme parole de salut
« Dei Verbum », « Parole de Dieu » - c’est ainsi que s’intitule la
Constitution sur la Révélation divine. Ces mots, que l’on trouve si
souvent dans la Bible, donnent déjà matière à réflexion. Ils disent qu’il
s’agit de la Parole de Dieu et non de la parole des hommes. Ils disent en
outre que Dieu est un Dieu qui parle et pas une idole muette, qui ne
parlent pas (Ps 115,5). Bien sûr, Dieu est le Dieu caché, le Dieu qui est
au-dessus de tout concept et de toute parole humaine ; mais il n’est pas
un Dieu inconnu et étrange comme l' a conçu la gnose antique et comme le
conçoit la néo-gnose moderne. Il est le Dieu qui s’abaisse, qui s’adresse
à l’homme, qui révèle son nom à nous et qui ainsi peut être nommé et
appelé par nous. C’est un Dieu de la communication. Dieu existe et parle
de toute éternité. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était
tourné vers Dieu » (Jn 1, 1).
Nous ne pouvons pas aborder ici l’exégèse théologique trinitaire de
cette déclaration. En ce qui nous concerne il suffira de dire que Dieu ne
nous reçoit pas comme le faisait la pythie grecque, avec des murmures
mystérieux et ambigus, ni avec l’extase des mystiques, qui dépasse tout
langage et finit par rester muette devant le mystère, ni avec l'exubérance
et les frémissements des sentiments pieux ou encore avec des discours
béats ; le Dieu biblique vient à nous avec un message humain et
intelligible, qui crée la communauté. C’est ce que l’apôtre Paul a très
clairement fait remarquer aux charismatiques corinthiens (1 Co 14, 2-12).
En tant que Parole de Dieu, ce discours n’est pas un verbiage sans
importance; il est au contraire plein de force. Il opère et accomplit ce
qu’il dit. « Dieu dit... et ce fut » (Gn 1, 3 etc.). Le concept hébraïque
« dabar » signifie l’un et l’autre : parole et acte. La Parole de Dieu est
une réalité dynamique ; elle a un caractère factuel ; elle est verbum
efficax. « Dicere Dei est facere » dit Thomas d’Aquin. « Vivante, en
effet, est la Parole de Dieu, énergique et plus tranchante qu’aucun glaive
à double tranchant. Elle pénètre jusqu’à diviser âme et esprit,
articulations et moelles. Elle passe au crible les mouvements et les
pensées du cœur » (He 4, 12).
La Bible décrit ce caractère factuel également par des catégories
personnelles. La Parole de Dieu est un discours amical adressé à l’homme,
et une invitation à la communion. Dieu se révèle pour entrer en communion
et en dialogue avec l’homme (cf. Ex 33, 11 ; Jn 15, 14-15). La Parole de
Dieu est ainsi une invitation à l’amitié avec Dieu et à l’amitié les uns
avec les autres. C’est dans ce sens que Thomas d’Aquin a défini la caritas
une amitié divine, et que les mystiques du bas Moyen-Âge se disaient amis
de Dieu.
Dieu s’étant révélé par des paroles et par des actes historiques, sa
parole n’est pas un fait purement « actualiste ». Les paroles proclament
les œuvres et celles-ci corroborent les paroles (DV 2). Avec cette
déclaration le Concile dépasse aussi bien l’intellectualisme unilatéral
que l’existentialisme « actualiste », sans tomber pour autant dans le
positivisme historique. La Parole de Dieu, en tant que discours
d’actualité, a un contenu concret et renferme en même temps des éléments
de profession transférables. C’est ce qui apparaît clairement déjà dans
l’Ancien Testament, surtout dans le "schéma Israël" : « Écoute, Israël !
Le Seigneur notre Dieu est le Seigneur UN ! » (Dt 6, 4). Dans le Nouveau
Testament, comme on le sait aujourd'hui, les professions de foi
appartiennent à la tradition la plus ancienne ; elles sont antérieures aux
Évangiles et aux Épîtres (Rm 10, 9 ; 1 Co 12, 3 ; 15, 3-5 etc.).
Parole et action sont unis de façon unique et définitive en Jésus
Christ. En lui, le Verbe s’est fait chair (Jn 1, 14). Jésus Christ, « par
toute sa présence, par tout ce qu’il montre de lui-même, par ses paroles,
par ses œuvres, par ses signes, par ses miracles, mais surtout par sa mort
et sa glorieuse résurrection d’entre les morts, enfin par l’envoi qu’il
fait de l'Esprit de vérité, donne à la révélation son dernier achèvement
et la confirme » (DV 4). Il est, comme dit Thomas d’Aquin, le verbum
abbreviatum.
Dans cet événement qu’est la révélation par la parole et par l’action,
la question, en dernière analyse, n’est pas que Dieu ait dit « quelque
chose », un secret, une doctrine ou un commandement quelconques. Dans sa
Parole, Dieu se révèle lui-même et révèle le mystère de sa volonté. En fin
de compte, il ne s’agit donc pas de révélation matérielle mais d’auto-révélation
et d’auto-communication de Dieu. Selon Thomas d’Aquin, Dieu est le
véritable objet matériel et formel de la foi ; tout ce qui peut être dit
sur l’humanité du Christ et sur les sacrements de l'Église est objet de
foi dans la mesure où nous sommes ordonnés à Dieu.
Dieu se révèle à l’homme comme sa destination définitive, son salut
eschatologique. Dans sa Parole il se donne à l’homme et le fait participer
à la nature divine (2 P 1, 4). C’est ainsi qu’à l’écoute de la Parole de
Dieu dans la foi, l’homme se ne comprend plus par lui-même mais par ce qui
est entièrement différant de lui, c'est-à-dire par la Parole de Dieu.
Ainsi par la Parole de Dieu l’homme est donné à lui-même de façon
entièrement nouvelle. Le Concile Vatican II a exprimé cet état de choses
en des termes encore une fois géniaux lorsqu'il dit que Dieu se révèle à
l’homme et révèle l’homme à l’homme (Gaudium et Spes 22).
La Parole de Dieu est donc un événement personnel et en même temps un
fait historique réel, une auto-révélation de Dieu ainsi qu’une révélation
de l’homme et de sa destinée ; théocentrisme et anthropocentrisme ne
constituent en ce cas aucune contradiction, mais une unité qui atteint sa
perfection en Jésus Christ. C’est pourquoi, toute révélation doit, en fin
de compte, être comprise en sens christocentrique. ( rs.. et pourquoi
pas Théoanthropocentrique ...)
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IV.-L’Église maison de la Parole de
Dieu
Ce que nous avons dit sur la parole de
Dieu comme dialogue entre Dieu et l’homme que atteint sa perfection en
Jésus Christ montre que la Parole de Dieu est ordonnée à l’histoire du
salut. La Parole de Dieu a été prononcée « de bien des manières » au cours
de l’histoire (He 1,1). Lorsque nous suivons son parcours dans l’histoire
du salut, la puissance créatrice de communion et d’unité de la Parole de
Dieu apparaît clairement. Cela se révèle déjà dans la création. Dieu crée
par la Parole (Gn 1). L’univers n’est donc pas issu du chaos et n’est pas
non plus un produit du hasard ni une simple évolution aveugle ou même
orientée. Tout ce qui, selon la perspective actuelle, a eu lieu comme
évolution, selon la Bible est porté et maintenu uni par la Parole. Dieu
« porte l’univers par la puissance de sa parole » (He 1,3).
La réalité est donc de la nature du
logos et pleine de sens et comme telle une réalité ordonnée à l’être
humain et à son entendre et sa intelligence.
L’homme, créé à l’image de Dieu (Gn 1,
27), est un être parlant ; son langage est la caractéristique qui le
distingue des animaux muets (behemah) (Ps 49,13). Ainsi sa position
dominante se manifeste en ce qu’il donne un nom, c'est-à-dire une
signification et un sens aux autres créatures (Gn 2,20). Par le langage,
l’être humain crée un rapport cohérent et intelligible dans la réalité, et
à travers la communication linguistique il crée aussi un rapport entre les
hommes et ainsi la communauté s'édifie entre les êtres humains. Par
contre, lorsqu'ils ne se parlent plus et s’évitent, c’est l’inimitié, le
crime et le meurtre qui surviennent. Ainsi, par l’orgueil de l’homme,
comme le dit le récit sur la tour de Babylone, le langage humain s’est
confondu ; les hommes ne pouvaient plus s’entendre et ils se dispersèrent
(Gn 11).
Après les bouleversements dus à la
confusion babylonienne des langues, Dieu a entrepris un nouveau début avec
l’appel à Abraham. Lui a été élu comme une personne particulier ,
tout de même toutes les familles de la terre seraient bénies en Abraham (Gn
12,3 e.a.) ; sa élection particulière avait au même temps un but
universel. En lui Dieu commença donc à rassembler à nouveau son peuple.
Plus tard les prophètes parlaient sans cesse d’un rassemblement
eschatologique du peuple et de tous les peuples (Es 2 ; Mi 4 ; Ez 34 ; 37,
e.a.). Jésus a repris à son compte cet espoir d’un rassemblement
eschatologique (Mt 12,30 ; Lc 11,23). Il a initié ce mouvement de
rassemblement en allant, comme un pasteur, chercher et ramener les brebis
égarées d’Israël (Mc 6,34 ; Mt 15,24 ; e.a.; Jn 10).
Ce mouvement a continué après la Pâque.
C’est ce qui a induit Luc, le premier parmi les évangélistes à qui on
attribue un concept global de l’histoire du salut, à ajouter à son premier
récit ou livre (Ac 1,1), un deuxième livre dans lequel il relate la
diffusion de la Parole de Dieu jusqu’aux extrémités de la terre (Ac 1,8).
Il y décrit comment la Parole de Dieu gagnait toute la contrée (13,49),
comment elle croissait (6,7) et comment elle se multipliait (12,24). L'Église
se forme partout où la Parole de Dieu est écoutée avec foi et accueillie
du fond du coeur. C’est donc la Parole de Dieu qui rassemble et fonde
l'Église. Ainsi « ekklesia » la traduction de l’hébreu qahal et
signifie avant tout réunion ; elle est l’actualisation du rassemblement et
de la réunion par la Parole de Dieu.
Les Pères de l'Église mettent sans cesse
l’accent sur la signification originelle de la parole « ekklesia » la font
dériver du verbe « kalein » qui veut dire ‘appeler’. Pour eux, l'Église
est la communauté appelée et rassemblée par la Parole. Cyrille de
Jérusalem écrivait déjà dans ses catéchèses : « Le nom Ekklesia s’explique
de ce que par elle tous les hommes sont appelés et rassemblés ». Isidore
de Séville a résumé cette définition de la Tradition : « Ecclesia vocatur
proprie, propter quod omnes ad se vocet, et in unum congreget ». Cette
interprétation trouve encore un écho au Concile Vatican I, lorsque
celui-ci se réfère à Es 11,12 et l'Église est conçue comme le signe érigé
parmi les nations, qui rassemble les exilés d’Israël et les dispersés de
Juda des quatre coins de la terre (cf. DS 3014).
En conséquence, dans une des définitions
les plus anciennes et les plus courantes, l’Église est indiquée comme
congregatio fidelium, assemblée des fidèles. Cette définition a souvent
été comprise à tort comme une conception purement réformée de l'Église ;
on la trouve en effet en des points essentiels des symboles de foi
réformés ; mais cela montre plutôt combien la Réforme reste attachée à
l’interprétation traditionnelle et combien nous avons en commun dans la
compréhension de l'Église, malgré toutes les différences qui existent. Car
cette définition représente la tradition patristique la plus ancienne, que
l’on retrouve encore chez Thomas d’Aquin et dans le catéchisme du Concile
de Trente.
Ce serait évidemment mal interpréter la
définition de congregatio fidelium que de concevoir l'Église comme une
somme et comme une association de croyants particuliers. Cette conception
individualiste, que l’on trouve de plus en plus dans le
néo-protestantisme, est étrangère à l’Écriture ainsi qu’à la Tradition. L'Église
est congregatio fidelium non pas parce qu’elle réunit des fidèles
particuliers en une communauté de fidèles, mais parce que tous le
fidèles participent ensemble à l’enseignement des apôtres, à la fraction
du pain, aux prières et aux biens matériels (Ac 2,42.44). « Koinônia
», au sens biblique et patristique, ne signifie pas essentiellement
communauté de fidèles rassemblés et en rapport les uns avec les autres,
mais participation (participatio) en commun aux biens du salut,
c'est-à-dire également participation commune à l’Évangile (Ph 1,5) et à la
foi (Phm 8). Ce n’est pas la communauté des fidèles qui crée la
communauté de foi, c’est au contraire la communauté de foi qui crée la
communauté des fidèles.
Dans la deuxième Épître aux Corinthiens
de l’apôtre Paul, ce concept est ultérieurement approfondi. L’apôtre
confronte la Parole de Dieu dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament.
La Parole de l’Ancien Testament est gravée sur des tables de pierre, celle
du Nouveau Testament est écrite dans les cœurs par l'Esprit de Dieu (2
Co 3,3). Cela veut dire, que tous les fidèles dans la foi participent à
l’unique Esprit de Dieu. La réception de cette déclaration a une longue
histoire ; on la trouve aussi bien chez Irénée de Lyon que chez Origène.
Pour Thomas d’Aquin, la loi de l’Évangile n’est que secondairement une loi
écrite ; en premier lieu c’est une loi inspirée, elle est « la grâce de l'Esprit-Saint,
qui est accordée par la foi dans le Christ » (gratia Spiritus Sancti, quae
datur per fidem Christi). Le Concile de Trente, par l’intermédiaire du
délégué du Pape Cervini, a fait sienne cette conception (DS 1501), et le
Concile Vatican II l’a reprise à son compte (DV 7).
Le grand théologien de Tübingen, Johann
Adam Möhler, père du renouvellement ecclésiologique au XXe siècle, l’a
amplement traitée et approfondie dans son ouvrage de jeunesse, «
L’unité de l'Église ». Pour lui, l'Église est l’ensemble des croyants,
maintenu uni par un principe de vie commun et sans cesse rénové et rajeuni
; pour cette raison, le christianisme n’est pas un simple concept, mais
« une question de vie et de vie en commun ». De sorte que le Concile a
pu dire: « L'Église, dans sa doctrine, sa vie et son culte, perpétue et
transmet à toutes les générations tout ce qu’elle est elle-même et ce
qu’elle croit » (DV 8).
Cette expression n’est pas sans poser
des problèmes, car elle pourrait créer la fausse impression que l'Église
n’est plus Église à l’écoute de la Parole de Dieu mais seulement en
dialogue avec elle-même, parce qu’elle identifie sa parole et sa réalité
avec la Parole de Dieu. E. Käsemann a parlé d’une divinisation de l'Église
et a annoncé à ce sujet la protestation des réformés. Il aurait raison si
cela avait réellement été l’intention du Concile et la doctrine de
l'Église catholique. Qu’il n’en est rien, c’est ce qui ressort d’une autre
déclaration du Concile : « C’est ainsi que Dieu, qui a parlé jadis,
s’entretient sans arrêt avec l’Épouse de son Fils bien-aimé, et que l'Esprit-Saint,
par qui la voix vivante de l’Évangile retentit dans l'Église et par
l'Église dans le monde, introduit les croyants dans tout ce qui est
vérité, et fait résider chez eux en abondance la parole du Christ » (DV
8). Le concept entretien e l’image du rapport entre époux et épouse
indique qu’il ne s’agit pas d’une identification mais d’un vis-à vis
entre la Parole de Dieu et l’Église.
Pour exprimer l’intimité de ce vis-à-vis
nous trouvons dans la Bible encore un autre image, l’image de demeurer.
Dans le livre de Jésus le Siracide on trouve une réflexion sur le chemin
de la sagesse de Dieu dans l’histoire du salut. Elle cherche dans tous les
peuples et dans toutes les nations un endroit où demeurer et ne le trouve
nulle part, sauf en Sion, à Jérusalem, auprès du peuple qui appartient à
Dieu (Sir 24). Le Nouveau Testament reprend cette image. Selon Jn 1,14,
le Verbe éternel habite et a sa tente en Jésus Christ, et selon Col 3, 16
la Parole du Christ habite dans toute sa richesse dans la communauté.
L'Église comme maison de Dieu est donc la maison et l’habitation de la
Parole de Dieu ; comme maison de Dieu elle est la colonne et le soutien de
la vérité (1 Tm 3,15).
Quelle image et quelle promesse ! L'Église
comme maison et demeure de la Parole, colonne et soutien de la vérité.
Finalement la Parole de Dieu, la parole à laquelle on peut se confier a
trouvé une place, où l’on peut la trouver, où l’on peut demeurer et où
l’on peut s’orienter. Peut-être aujourd’hui comprenons-nous graduellement
et nouvellement mieux, dans notre Babylone postmoderne et sa confusion
linguistique, ce que signifie, au milieu du désordre et du désarroi de
notre temps, avoir un lieu où habite la vérité et d’où vient la Parole de
vérité, un lieu où se reposer en toute sécurité et autour duquel se
rassembler à nouveau !
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V. Écoute ecclésiale de la Parole de Dieu
Le point où nous sommes arrivé devient immédiatement un point de départ
pour des questions nouvelles. Comment trouver l’unité dans l’Église et
comment doit-on comprendre cette unité ? Évidemment pas comme un système
ni comme une somme. La Parole de Dieu a été donnée plusieurs fois et de
bien des manières tout au long de l’histoire (He 1,1) ; nous la
rencontrons de diverses manières aujourd'hui également ; elle reflète de
façon tant diachronique que synchronique la sagesse multiple de Dieu (Ep
3,10). Dans la Bible nous trouvons l’unique Parole de Dieu dans de
multiples paroles qui se contredisent parfois, l’unique livre de
l’Écriture en de nombreux écrits différents, au total 79, et l’unique
Évangile en quatre Évangiles dont la rédaction reflète des théologies
différentes. Une harmonisation des Évangiles, tentée au 2ème siècle par
Tatien dans son « Diatessaron », s’était déjà alors révélée impossible.
L’Écriture est née au cours d’un processus de transmission compliqué et,
dans sa forme canonique actuelle, elle est un produit de la Tradition. Le
canon de l’Écriture résulte d’une patiente écoute réciproque et d’un
échange d’expériences de foi vécues par la communauté des fidèles à
l’écoute des différents témoignages de foi durant les célébrations
liturgiques. La pluralité et la proximité dans un seul et même canon
peuvent être décrites comme dialogue « coagulé » et « consolidé ».
D’autre part par le canon de la Bible , la Parole de Dieu n’est évidemment
pas comme figée dans un livre ; Parole de Dieu vivante, elle était
présente tout au long de l’histoire de l'Église. Ainsi, on sait
aujourd'hui que l’Écriture ne peut pas être séparée de la Tradition et
qu’on ne peut pas délibérément les opposer l’une à l’autre. La Tradition
au sens théologique c’est la Parole de Dieu toujours vivante et actuelle
dans l’Église. On ne peut donc pas survoler 2000 ans et reporter le texte
biblique dans le présent sans tenir compte de l’histoire de sa tradition
et ça veut dire de son interprétation et actualisation au cours de
l’histoire. Cette constatation a été confirmée par la nouvelle
herméneutique – et je ne mentionnerai que les noms de Hans Georg
Gadamer et de Paul Ricœur.
Entre temps, les idées de ce genre ont amené de nombreux biblistes à
modifier l’orientation de leur pensée. L’unité de l’Écriture, de même que
celle de la Tradition, n’est pas conçue comme un système abstrait, mais
comme un processus de transmission, dans lequel Tradition et
interprétation sont étroitement liées. Dans ce sens, depuis quelque
temps, une exégèse de l’unique Bible, orientée sur le canon, est de
nouveau d’actualité. On pourrait dire également que l’unité de l’Écriture,
comme celle de la Tradition, est l’unité d’un processus de dialogue qui,
au fond, reste uni du fait que c’est le Dieu unique qui parle avec son
Église et qui sans cesse engage la chrétienté et les théologiens, toutes
deux souvent incurablement litigieuses, à dialoguer entre elles également.
C’est exactement ce qui advient dans le dialogue œcuménique, où par
l’impulsion de l’Esprit Saint les Églises et communautés séparées
commencent à dialoguer et communiquer de nouveau.
Ce point de vue d’une unité de dialogue nous ramène de manière surprenante
à l’exégèse scripturaire des Pères. Je suis convaincu que le
renouvellement de leur exégèse peut nous aider pour trouver une réponse à
nos problèmes théologiques et pastorales. Il faut seulement surmonter
d’abord nos préjugés. Les Pères de l'Église ne raisonnent pas à partir de
théories empruntées à l’extérieur et appliquées à la Parole de Dieu, mais
de ce qu’est et de ce que veut la Parole de Dieu elle-même. Leur point
de départ pour sauvegarder l’unité de l’Écriture est que le même Dieu un a
parlé avec un grand nombre de paroles, en des temps différents à des
hommes différents. C’est donc le Dieu un qui garantit l’unité de
l’Écriture. C’est un seul et même Dieu qui a parlé dans l’Ancien et dans
le Nouveau Testament. Par conséquence les Pères opposaient à la rupture
de l’unité de l’Écriture par Marcion le monothéisme biblique.
Le Nouveau Testament, avec l’exégèse typologique (Ac 7,44 ; Rm 5, 14 ; 1
Co 10, 6 ; Col 2, 17 ; He 8,5), a lui-même jeté les bases de cette
conception de l’unité de l’Écriture. Chez les Pères de l'Église elle
devint le point de départ de leur herméneutique. Augustin a énoncé
le principe fondamental en termes classiques : le Nouveau Testament est
caché dans l’Ancien, l’Ancien est révélé dans le Nouveau. Nous ne
pouvons pas comprendre l’un Testament sans l’autre, et pour cette raison
dans la liturgie dominicale à la lecture du Nouveau Testament corresponde
la lecture du l’Ancien Testament.
Par la suite, la défense de l’unité de l’Ancien et du Nouveau Testament
devenait une tâche et un défi contre la théologie libérale au XIXe siècle
et contre l’antisémitisme nazi au XXe siècle. Lorsque, après la tragédie
de la shoah et après bien des siècles, le dialogue avec le judaïsme a
repris sur l’initiative du Concile Vatican II (Nostra Aetate, 4), la
continuité dans la discontinuité de l’Ancien et du Nouveau Testament
est devenue de nouveau essentielle pour la redécouverte de l’idée biblique
de l’unité de l'Église comprenant le juif et le païen (Ep 2,11-22), un
thème que nous sommes loin d’avoir épuisé et qui a pourtant une importance
fondamentale pour l’unité de l'Église.
L’unité dans la diversité de l’Ancien et du Nouveau Testament conduit à
l’interprétation christologique. Car Jésus Christ est la véritable
nouveauté du Nouveau Testament. Il résume et intègre toute l’histoire de
la révélation. En lui la Parole de Dieu incarnée est apparue dans sa
plénitude, définitivement et de manière insurpassable dans l’histoire (Jn
1,14). Qui ne trouve pas le Christ dans l’Écriture n’y trouve rien.
Ce point central fait la lumière sur tout l’Ancien et tout le Nouveau
Testament, en particulier sur les passages difficiles à interpréter. Ce
n’est qu’à partir de lui et pour lui que l’Écriture, ainsi que la
Tradition, deviennent une structure cohérente et harmonieuse, et c’est ce
que le Concile Vatican II voulait exprimer en parlant d’une hiérarchie des
vérités (UR 11).
Sur ce point les exégèses scripturaires catholique et protestante
concordent. Pour Luther également, Jésus Christ est la clé de toute
l’Écriture. L’Ancien comme le Nouveau Testaments doivent être
interprétés à partir de cet élément christologique central et par rapport
à lui. Mais ici apparaissent également des différences entre les positions
catholique et protestante. La position catholique ne peut pas concevoir
Jésus Christ séparé de l'Église dont il est le chef, mais uniquement par
rapport à son corps qui est l'Église. Nous entendons le « solus
Christus » luthérien dans le sens du « totus Christus » augustinien, du
Christ tout entier, chef et membres.
Cela ne signifie pas que Jésus Christ est mis au niveau de l'Église ni
qu’il est absorbé par elle. L'Église n’est pas le Christ élargi , mais le
Christ qui continue de vivre dans son Église. Comme chef de l'Église, il
reste le Seigneur de l'Église et l'Église a le devoir de l’écouter et le
servir. Alors que Jésus Christ était saint et n’a pas connu le péché,
l'Église a des pécheurs dans son sein et laisse souvent apparaître des
structures de péché. « L'Église ... qui est sainte et, en même temps,
doit toujours être purifiée, recherche sans cesse la pénitence et le
renouvellement » (LG 8). Pour cette raison, elle doit toujours distinguer
de manière critique entre la Tradition qui est une et les nombreuses
traditions.
À l’ interprétation typologique et christologique s’ajoute finalement
l’interprétation eschatologique. Dans l'Église, le Royaume de Dieu est
déjà présent, bien que de manière mystérieuse ; l'Église n’est cependant
pas encore le Royaume de Dieu accompli, elle l’attend encore dans
l’espérance et la vigilance. Elle ne le voit pas encore mais elle le
discerne comme dans un miroir et avec des linéaments confus (1 Co 13,12).
Dans la Parole de Dieu également nous n’avons « pour ainsi dire que les
linéaments des choses futures ». La Parole de Dieu anticipe ainsi
l'accomplissement eschatologique, le rassemblement eschatologique des
peuples et la rencontre eschatologique avec le premier peuple de
l’alliance. Dans cette exégèse eschatologique, la Parole de Dieu est
porteuse d’une espérance d’unité et de paix dont le monde d’aujourd'hui a
particulièrement besoin. Elle devient parole et promesse de paix.
Cette perspective de l’histoire christologique et eschatologique du salut,
a en quelque sorte comme conséquence logique la doctrine traditionnelle
d’un triple ou quadruple sens de l’Écriture. Cette doctrine procède du
sens historique littéral ; celui-ci en est le fondement indispensable ;
mais à partir de ce fondement, l’exégèse des Pères cherche à extraire du
contexte général de l’Écriture les dimensions christologique,
ecclésiologique et eschatologique de sa nature profonde. Cette doctrine a
un sens tout à fait pratique. Elle m’a déjà souvent aidé moi-même à
structurer mes sermons dominicaux et à expliquer par exemple un récit
synoptique des miracles, d’abord dans son déroulement historique, ensuite
du point de vue christologique, en parlant de Jésus Christ comme du
médecin qui guérit les blessures de l’humanité, du caractère – pour ainsi
dire – thérapeutique des sacrements de l'Église, et enfin de l’espérance
eschatologique que, pour finir, toutes les larmes seront essuyées et qu’il
n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance (Ap 21, 4).
Cette doctrine d’un triple ou quadruple sens n’est naturellement pas une
recette qui résout d’un seul coup tous les problèmes. Il reste à faire le
difficile travail d’exégèse dont parlent déjà la deuxième Épître de Pierre
et les Pères de l'Église, et auquel il est difficile de se soustraire. Au
même temps la deuxième Épître de Pierre indique la réponse à dette
difficulté ; elle met en garde contre toute exégèse arbitraire de
l’Écriture (2 P 1,21). La Bible est un livre de l'Église ; elle a été
écrite pour des communautés, elle est lue dans l’assemblée des fidèle,
elle est partagée avec d’autres communautés et reçue par celles-ci ; c’est
ainsi qu’à travers un processus compliqué s’est finalement formé le canon
de l’Écriture Sainte.
La Parole de Dieu dans la Bible appartient à tous ; en conséquence elle
doit être interprétée avec le consentement de tous. Dans l’écoute de
l’Écriture, il s’agit toujours d’entendre également tous ceux qui
s’occupent eux aussi de l’exégèse, et ce qu’ont entendu les autres à côté
de nous et avant nous. L’unité de l'Église est finalement un rapport de
dialogue, diachronique avec la Tradition et synchronique avec tous ceux
qui, du fait de leurs diverses attributions et de leurs différentes
compétences officielles et professionnelles, veillent à ce que la Parole
de Dieu soit correctement annoncée et reçue.
Dans cette exégèse, le pouvoir de l’apôtre et des pasteurs établis par l'Esprit-Saint,
joue dès le début un rôle important (Ac 20,28). « Qui vous écoute m’écoute
» (Lc 10,16 ; cf. 1Co 16,16 ; He 13,17 ; 1 P 5,5). Une correcte
interprétation de la Parole de Dieu ne peut être que le résultat d’une
communication ouverte à laquelle tous ont une part, bien que dans une
forme différente : le témoignage du magistère ecclésial comme celui des
laïcs et des théologiens, le témoignage des saints comme celui des gens
simples et principalement de la liturgie, mais aussi de l’art religieux et
de la prophétie du monde extérieur. Il s’agit d’une écoute catholique
de la Parole de Dieu au sens originel du terme.
Ces différentes instances de témoignage ont chacune leur importance
spécifique et l’une ne peut se substituer à l’autre ni l’évincer ; ainsi,
par exemple, la théologie ne peut pas prendre la place du magistère, mais
inversement, le magistère ne peut pas non plus ignorer ce qu’une théologie
sérieuse et des croyants laïques ont à dire. La définition magistérielle
énonce une doctrine obligatoire pour tous, mais elle ne met pas purement
et simplement un point final à toute discussion. Car chaque définition est
sujette à réception, et celle-ci, de son côté, n’est pas une répétition
passive mais un processus actif guidé par l'Esprit.
L’unité de ce processus de dialogue n’est pas établie par l’autorité
seulement. J. A. Möhler a dit que le Christ n’a pas purement et simplement
donné à ses disciples « l’ordre d’être unis ». L’unité est œuvre de l'Esprit-Saint.
Tout comme la parole naturelle qui ne peut être entendue que portée par le
souffle et l’haleine, de même la Parole de Dieu ne peut être perçue que
dans l'Esprit-Saint et par l'Esprit-Saint qui est un Esprit d’unité.
L’unité de l'Église est une réalité spirituelle.
J. A. Möhler a exprimé cette idée de la chose commune en des termes bien
connus : « Mais dans la vie ecclésiale deux extrêmes sont possibles, et
tous deux s’appellent égoïsme ; c’est lorsque chacun ou lorsqu'un seul
veut être tout ; dans le deuxième cas, le lien qui unit est si étroit et
l’amour si brûlant qu’on finit par étouffer ; dans le premier cas, tout
croule et il fait si froid qu’on en meurt ; un des égoïsmes engendre
l’autre ; mais nul ni chacun ne doit vouloir être tout ; ce n’est que tous
ensemble que l’on peut être tout, et l’unité de tous ne peut être qu’un
tout. C’est l’idée de l'Église catholique ». (
n'aurions nous pas ici ... ENUN et l'HOMENTRANCHE .... et l'Eglise,
multiples et UN, celle de homocoques )
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ZF05012407
Nous publierons chaque jour une partie de cet exposé à l’occasion de la
semaine de prière pour l’Unité : I et II le 20 janvier, III, le 21
janvier, IV, le 23 janvier, V, le 24 janvier, et VI le 25 janvier).
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