L’HARMONIE BRISEE   ... l'HOMENTRANCHE : les hommes de l'Etat

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L’HARMONIE BRISEE

Auteur: Ja

Source: http://www.libres.org/francais/universite_d_ete/bastiat_2001/bastiat_a4_2001.htm

Date :18.0105  

 

Les éléments de la nature humaine et de l’ordre spontané qui conduisent les sociétés sur la voie de l’harmonie sont sous la menace permanente de l’Etat.

Alors que bien souvent la philosophie politique et la science économique concluent à la bienveillance et à la bienfaisance de l’Etat, Frédéric BASTIAT voit au contraire dans l’Etat une source d’injustice, de déséquilibre et – paradoxalement – de conflits.

Mais au juste, que savons-nous de l’Etat ? BASTIAT se pose la question : L'Etat ? Qui est-il ? Où est-il ? Que fait-il ? Que devrait-il faire ?

 

LES HOMMES DE L’ETAT

Pour mener son enquête sur l’Etat, BASTIAT part d’un principe très simple : l’Etat en soi n’existe pas, il n’y a que des hommes qui constituent l’Etat, qui dirigent, administrent, qui vivent de l’Etat directement ou indirectement. La grande découverte de BASTIAT est bien là : comprendre l’Etat à travers le comportement des hommes de l’Etat .

BASTIAT ouvre ainsi une page tout à fait nouvelle des sciences de l’homme : l’étude de la logique des décideurs publics. On connaît aujourd’hui cette nouvelle branche de la recherche sous le nom de « Public Choice », école rendue célèbre par les travaux de Gordon TULLOCK et James BUCHANAN, prix Nobel d’Economie.

Il s’agit d’une véritable démystification de l’Etat : les hommes de l’Etat sont comme les autres, ils cherchent à satisfaire leurs intérêts personnels, et par comparaison le concept d’ « intérêt général » est indéfinissable. De même, dans leurs relations avec les hommes de l’Etat, les citoyens ordinaires, les électeurs, isolés ou en groupes organisés, ne cherchent pas autre chose que ce qui les arrange, sans grand souci des autres.

 

LE JEU DE LA DEMOCRATIE MAJORITAIRE

Le comportement des hommes de l’Etat est parfaitement logique : ils ne sont ni plus ni moins vertueux ou intelligents que leurs congénères.

S’ils agissent d’une certaine façon, c’est parce que les institutions politiques les y amènent tout naturellement.

Il en est ainsi de la démocratie représentative : dans un tel système, on conquiert et on conserve le pouvoir en s’assurant la majorité des voix des électeurs.

Le jeu conduit donc les politiciens à établir des programmes et à faire des promesses qui leur assureront le succès. Ils mettent en évidence les avantages qu’ils procureront aux citoyens, mais ils sont très discrets sur les coûts. Ce n’est qu’après les élections que la facture sera présentée au peuple. Les opposants vont dénoncer l’imposture, et feront à leur tour des promesses de changements, aussi vaines que celles de leurs prédécesseurs.

PUISSANCE DES GROUPES DE PRESSION

Si les hommes de l’Etat confondent si facilement démocratie et démagogie, c’est qu’ils y sont poussés par des groupes d’intérêts corporatifs qui font pression pour obtenir promesses, législations, privilèges et subventions.

Dans sa célèbre pétition des marchands de chandelles, qui demandent au législateur de prescrire la fermeture de tous les orifices par lesquels la lumière du soleil fait une concurrence déloyale à leurs « belles industries », BASTIAT démonte bien le mécanisme : ce n’est pas au nom de leurs intérêts catégoriels que les producteurs demandent l’intervention de l’Etat, c’est au nom de l’intérêt général et national. Car la protection de cette industrie va permettre à un grand nombre d’autres activités de connaître la prospérité. La mesure est de salut public !

Les corporations ont d’autant plus de chances de réussir qu’elles coalisent des gens en faible nombre, faciles à organiser et à mobiliser, dont l’influence électorale est repérable.

Ainsi l’Etat devient-il une grande machine à redistribuer, à prendre à la masse pour donner à un petit nombre. L’Etat est « cette grande fiction sociale à travers laquelle chacun s'efforce de vivre aux dépens de tous les autres ».

 

SPOLIATION

Le fonctionnement de l’Etat dans ces conditions aboutit à une véritable spoliation.

BASTIAT ne cesse de dénoncer l’impôt comme une atteinte au droit de propriété. Celui qui a créé une richesse s’en voit dépossédé par un prélèvement qu’il n’a pas consenti, qui lui est imposé non pour disposer de vrais services publics, mais pour assouvir l’appétit des budgétivores.

BASTIAT proteste contre l’idée d’un impôt qui retomberait en « rosée fécondante ». « Vous comparez la nation à une terre desséchée et l’impôt à une pluie féconde. Soit. Mais vous devriez vous demander aussi où sont les sources de pluie, et si ce n’est pas précisément l’impôt qui pompe l’humidité du sol et le dessèche ».

Objets d’une véritable spoliation légale, les contribuables et les assujettis aux prélèvements obligatoires finissent par se lasser, diminuent leurs activités. Ils n’ont plus ni l’argent ni la flamme nécessaire pour entretenir la croissance économique, c’est la stagnation et le chômage.

 

LES RENTIERS ET LES ASSISTES

L’autre face de ce jeu redistributif organisé par l’Etat est la prime donnée aux « chasseurs de rentes ».

Ces gens ont compris que la création de richesses implique de leur part le meilleur service des autres, mais ils ne veulent pas servir : ils préfèrent se servir.

N’ayant ni la volonté, ni parfois la capacité, d’entrer dans le grand jeu de la concurrence, ils entrent dans le petit jeu de l’intrigue politique. Ils dénoncent volontiers le profit du marchand et de l’entrepreneur, pourtant obtenu par une création de richesses, pour mieux vanter les mérites de la solidarité, de l’assistance, de la « répartition » - qu’ ils engloberont sous les magiques expressions de « justice sociale » et « intérêt général ».

A entretenir un nombre croissant de rentiers, d’assistés, de parasites, la nation va doublement souffrir : d’une part le jeu de la concurrence aura été paralysé, les consommateurs paieront des prix plus élevés, et seront obligés de consommer des « biens publics » dont ils n’ont nul besoin, d’autre part l’esprit de compétition et d’initiative va s’émousser et, par contagion, chacun finira par faire moins que celui qui en fait le moins. Les phénomènes de tricherie (« passager clandestin » ou « free rider ») se généraliseront, et le glissement vers la corruption sera inéluctable.

 

VERS L’ETAT PROVIDENCE

Quand le cercle vicieux de la redistribution est amorcé, rien ne va freiner l’extension du rôle de l’Etat. Bastiat évoque les nouvelles tâches dévolues à l'Etat : "Organisez le travail et les travailleurs. Extirpez l'égoïsme. Réprimez l'insolence et la tyrannie du capital. Faites des expériences sur le fumier et sur les oeufs. Sillonez le pays de chemins de fer. Irriguez les plaines. Boisez les montagnes. Fondez des fermes modèles. Fondez des ateliers harmoniques. Colonisez l'Algérie. Allaitez les enfants. Instruisez la jeunesse. Secourez la vieillesse. Envoyez dans les campagnes les habitants des villes. Pondérez les profits de toutes les industries. Prêtez de l'argent, et sans intérêt, à ceux qui en désirent. Affranchissez l'Italie, la Pologne et la Hongrie. Elevez et perfectionnez le cheval de selle. Encouragez l'art, formez-nous des musiciens et des danseuses. Prohibez le commerce et, du même coup, créez une marine marchande. Découvrez la vérité et jetez dans nos têtes un grain de raison. L'Etat a pour mission d'éclairer, de développer, d'agrandir, de fortifier, de spiritualiser et de sanctifier l'âme des peuples."

Bastiat, dès le XIX° siècle, voyait bien comment on glisse vers l’Etat Providence.

Mais l’action de l’Etat n’engendre que déséquilibres et injustices. On ne perçoit d’abord que les avantages de son intervention : c’est ce qu’on voit, on ignore ou on feint d’ignorer ensuite tous les effets pervers qu’elle aura entraînés : c’est ce qu’on ne voit pas. « Entre un mauvais et un bon Economiste, voici toute la différence : l’un s’en tient à l’effet visible ; l’autre tient compte et de l’effet qu’on voit et de ceux qu’il faut prévoir ».

BASTIAT donne quelques exemples devenus fameux de cet exercice intellectuel : la politique des grands travaux publics, les mesures contre le licenciement, le partage du travail.

 

LA DEFENSE DES INTERETS NATIONAUX

C’est pourtant au nom des intérêts de la Nation que l’Etat va multiplier les initiatives. Il se fait un devoir d’assurer le bonheur et la prospérité de tous.

En réalité le nationalisme est surtout un protectionnisme : il vise à écarter la concurrence des étrangers quand ils sont trop habiles à satisfaire les consommateurs. Ce sont les producteurs qui sont les meilleurs propagandistes de la « défense des intérêts nationaux ». Mais, comme on l’a vu, les gouvernants cèdent volontiers à leur pression, parce qu’ils y voient une occasion de consolider leur clientèle et d’élargir leur pouvoir.

Au XIX° siècle BASTIAT lutte aux côtés de COBDEN pour le libre-échange, au XXI° siècle la mondialisation subit les assauts des coalitions nationalistes, qui refusent la « loi du marché », mais qui rejettent en fait la concurrence, la liberté et la propriété.

Les hommes de l’Etat entrent dans leur jeu parce que leur pouvoir n’est plus à l’abri des frontières : sur leur propre territoire, ils ne sont plus maîtres de légiférer, subventionner, redistribuer, spolier, comme ils l’avaient fait jusque là.

 

L’ETAT SAUVE PAR UN CARTEL EUROPEEN OU MONDIAL ?

Ayant perçu les dangers qui menacent aujourd'hui leur position dominante, les hommes de l'Etat essaient de les neutraliser en organisant des ententes au niveau international.

Tantôt, comme en Europe, ils veulent reconstruire à une échelle continentale le système d’intervention et de protection qui n’est plus viable au niveau local. C’est sur ces bases que l’Union Européenne veut bâtir ses institutions politiques.

Tantôt, comme dans le cadre de l’OMC, du G 8 et autres instances diplomatiques, ils entendent « régler le marché mondial », discipliner la concurrence, organiser le « développement durable », et autres objectifs qui se ramènent tous au désir de ne pas laisser l’économie (et le reste) entre les mains d’individus libres et responsables.

Ou bien ces tentatives réussiront, et cela signifierait un repli des nations ou groupe de nations sur elles-mêmes, la réduction du commerce mondial, la fin de la croissance et un climat de tensions diplomatiques accrues. Ou bien elles échoueront – ce qui est vraisemblable à moyen terme et souhaitable à tous points de vue - et elles vont exiger une réforme de l’Etat, voire même une complète remise en cause de toutes nos institutions politiques.

 

SUBSIDIARITE ET LIBERTE

Comme le pensait Alexis de Tocqueville, pour lequel BASTIAT avait une grande déférence, le fondement des libertés publiques et économiques est l’existence d’une société civile dynamique, c’est à dire de cellules familiales, professionnelles, locales, qui constituent un tissu assez dense et harmonieux pour éviter de recourir à l’intervention publique. Encore celle-ci doit-elle par priorité s’exercer au niveau local, et l’Etat doit-il n’intervenir qu’en ultime recours, à titre tout à fait subsidiaire.

Ce principe de subsidiarité fournit la clé de la réforme de l’Etat aujourd’hui. Il marque la fin de la centralisation du pouvoir, l’affranchissement de citoyens enfin libérés des groupes de pression et des partis qui se sont appropriés la chose publique.

Comme le souhaitait BASTIAT, des pays de plus en plus nombreux en viennent à ce type de réformes : la frontière entre la société politique et la société civile se redessine, l’Etat recule tandis que les pouvoirs locaux reprennent vigueur, les réglementations, les impôts, les privilèges, sont contestés et souvent résorbés. On est en train de passer de l’Etat Providence à l’Etat subsidiaire. La démocratie, dégagée de la gangue électorale, aérée par le libre échange, par la libre initiative, reprend son vrai sens : reconnaître les droits et les devoirs de la personne humaine. Le XXIe siècle se lève sur un grand espoir.

 

 

 

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