«Magnifique amour ! L'autre nous
drogue de sa peau, de ses mots, il nous enivre, nous rend
merveilleusement heureux et dépendant. On le soupçonne de nous avoir
versé un philtre, on lui dit «tu me manques» et si on souffre en son
absence, il suffit de le revoir pour redevenir encore merveilleusement
heureux. Tragique amour : l'autre nous fait souffrir, nous laisse
tristement dépendants, en manque, déchirés, voire contraints à un
sevrage forcé. S'ensuit la déchéance et parfois même le dégoût de la
vie. On frise l'overdose de douleur et on redoute qu'elle ne nous soit
fatale.» Le professeur Michel Reynaud résume ainsi très lucidement
les impacts extrêmes que l'amour peut forger, dans son dernier ouvrage
paru le 9 février dernier : L'amour est une drogue douce... en général
(1)
Spécialiste reconnu en addictologie
(alcoolisme, toxicomanie...), frappé par la similitude entre le
comportement de l'amoureux et celui du «drogué», Michel Reynaud décrit
d'abord de manière chronologique et avec minutie les différentes
phases exaltantes de la rencontre entre un homme et une femme, désir,
plaisir, passion. Et là tout peut alors arriver. Soit une évolution
douce vers une relation sur le mode de l'«attachement-engagement».
Mais parfois un chavirement tragique vers l'enfer aliénant de la
passion destructrice. Un schéma qui n'est pas sans rappeler celui du
toxicomane avec son «produit». Les comparaisons ne se fondent pas
seulement sur l'observation des attitudes et des états d'âme du drogué
et de l'amoureux. L'analyse pas à pas d'une relation tendre «standard»
que Michel Reynaud fait se nouer, se développer sous nos yeux et se
déchirer éventuellement, se penche aussi sur ce qui se joue en terme
de neurobiologie.
Là encore, les médiateurs chimiques
du désir et du plaisir et éventuellement ensuite de la souffrance et
du sevrage amoureux s'avèrent point par point similaires à ceux qui
inondent le toxicomane en proie, lui, à sa drogue. «Jamais, je
n'aurais pu donner quelque indice que ce soit sur le pouvoir
magnifique de l'amour et son envers toxique et les façons de s'en
préserver ou d'en guérir, il y a seulement vingt ans, explique Michel
Reynaud. On ne dispose que depuis peu des informations scientifiques
corroborant l'idée que le fameux «philtre d'amour» puisse se révéler
aussi prenant qu'un «produit». On a longtemps refusé de reconnaître,
par manque de données scientifiques, mais aussi par souci de ménager
la morale, que ce qui rend accro, dans un cas comme dans l'autre,
c'est la dimension du plaisir.»
Et ce plaisir, comme le montrent de
nombreux travaux en neurobiologie, procède d'une augmentation d'une
substance dans le cerveau dite neuromédiateur, la dopamine, définie
par ses effets avec une certaine gourmandise par l'auteur, envie
d'agir, de créer, d'aimer, de faire l'amour, de découvrir, d'en savoir
plus, d'aller plus loin... Le corps est programmé pour le plaisir,
comme le prouve tout un dispositif sophistiqué de neurorécepteurs et
de transmetteurs chimiques qui ne concourent qu'à cela. «Il est aussi
programmé pour retourner à un état plus neutre si le plaisir vient à
manquer, sans ressentir pour autant de manque intolérable, poursuit
l'auteur. En revanche, comme il n'est pas programmé pour les doses
massives dont les drogues le submergent, lorsque celles-ci ne sont
plus présentes, le manque en devient intolérable.»
Michel Reynaud, dans ce livre
«palpitant», qui propose aussi une réflexion sur les mécanismes
psychiques de l'amour, nous offre en prime quelques pistes pour
aider l'amoureux (se) réel (le) ou potentiel (le), que nous sommes
tous (tes) ou presque, à aimer sans sombrer dans le drame et la
souffrance...
(1) Robert Laffont, 20 euros.