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Auteur:
Ja
Source:
Agor
Date :
Retrouver la démocratie
Depuis l'électrochoc du 29 mai, les yeux s'ouvrent, les langues se
délient : une chance à saisir pour la droite, si elle veut extraire le
pays du panurgisme imposé par la gauche depuis des décennies. Certes, les
discours obligés font encore réciter, jusqu'au sommet de l'État :
«L'immigration est une chance», «L'école est une réussite républicaine»,
«Notre modèle social est exemplaire», etc. Mais des sujets interdits – les
quotas d'entrées, l'avenir de l'État-providence, la question sociale –
font déjà l'objet de questionnements. Reste à abattre le mur édifié par
les idéologues.
Observer le nouveau besoin de débattre sur des tabous – même l'euro est
mis en doute – rend compte du doux totalitarisme qui a cloné les
raisonnements des citoyens, régulièrement rappelés à l'ordre par des
gardes-chiourmes monopolisant la parole. Le spectaculaire unanimisme de la
France anti-Le Pen (après le 21 avril 2002), pro-Chirac (élu alors à 82%),
puis anti-Bush (durant l'année 2003) cachait mal – on le comprend mieux
depuis la révolte contre les oukases – des indignations préfabriquées.
Ne pas rêver : la bien-pensance antilibérale, altermondialiste,
pacifiste, antiaméricaine, antiblairiste, anti-israélienne, a encore de
beaux jours. Et les nonistes de gauche, qui auront dénoncé la pensée
unique, le lynchage et le terrorisme intellectuel des ouiistes, ne
semblent pas disposés, concernant la défense de leurs susdites
convictions, à adopter pour eux-mêmes la pensée plurielle, le dialogue et
l'ouverture d'esprit. Mais ces imprécateurs radotants ont pris un coup de
vieux.
Notre démocratie laisse voir ses plaies. Elles ne se sont pas seulement
dues aux compromissions de la République avec des régimes despotiques. Le
pouvoir, qui a voulu un Parlement croupion ouvert aux seuls partis
majoritaires, refusé d'aborder les questions embarrassantes, traité avec
des syndicats ne représentant pas 10% des salariés, s'est coupé de la
France. Le matraquage idéologique de l'intelligentsia, relayée par l'école
et la majorité de la presse, a poussé les récalcitrants à l'exil
intérieur.
Ces causes expliquent le désastreux bilan laissé par des aveuglements
dogmatiques, rêvant notamment de faire table rase de la culture française
et de ses prétentions à survivre. L'inquiétude identitaire, révélée le 29
mai, peut être comprise comme l'ultime sursaut de ceux qui pressentent que
la nation et ses valeurs pourraient disparaître dans l'indifférence.
Pourquoi faudrait-il que ces électeurs s'excusent de vouloir maîtriser un
destin ?
Azouz Begag, le nouveau ministre délégué à la Promotion de l'égalité
des chances, a raison quand il rappelle, mardi, «qu'il y a des milliers
d'individus issus de l'immigration qui sont fiers, qui bossent, qui créent
des emplois» : l'utilité sociale est le meilleur garant d'une intégration
réussie. Mais il a tort quand il s'élève «contre les peurs et la
sinistrose en France», en souhaitant «qu'on arrête de ne parler que des
problèmes». Il faut, au contraire, les mettre au jour si on veut tenter de
les résoudre.
Questions sur «l'immigration choisie»
A quoi bon nier le lien entre l'immigration et les tensions sociales ?
Il crève les yeux. Les affrontements communautaires entre musulmans et
gitans, qui ont endeuillé Perpignan (deux Maghrébins tués) il y a deux
semaines, avaient des allures de guerre civile. Cette semaine, le
gestionnaire d'un collège d'Étampes, François Villette, m'écrit qu'il a
été traité de «sale blanc» et de «sale Français» par un collégien. Mais sa
plainte pour injure raciale a été classée sans suite par le procureur,
tandis que le rectorat n'a pas levé le petit doigt. Histoire banale.
Soumise depuis 1970 à des arrivées constantes en provenance d'Afrique
et du Maghreb, la nation n'intègre plus ceux qu'elle naturalise. Seules
des personnalités remarquables se sortent des ghettos. Les cités
produisent le plus souvent des exclus, qui en arrivent à détester la
France. Aussi est-il indispensable de promouvoir les réussites, et la
discrimination positive peut aider ces Français qui veulent rejoindre la
nation. Mais il faut cesser d'assurer que l'«immigration est une
nécessité», alors qu'elle risque de balkaniser le pays si elle se poursuit
au rythme de plus 300 000 entrées par an.
La droite aura-t-elle le courage d'affronter le conformisme
immigrationniste et les procès en xénophobie contre quiconque doute des
bienfaits du multiculturalisme ? Les réponses du gouvernement et de l'UMP,
qui s'accordent sur une «immigration choisie», laissent supposer une
volonté de mettre fin à l'«immigration imposée». Mais, si Nicolas Sarkozy
s'est dit prêt cette semaine à contrôler l'affectation de l'aide médicale
d'urgence offerte aux étrangers et à maîtriser le regroupement familial,
il n'envisage pas de mettre fin aux mécanismes ayant fait naître un
phénomène de colonisation.
La politique des quotas déterminés en fonction des besoins économiques,
que semble vouloir préconiser le gouvernement, mérite plus d'un débat. Car
il ne faudrait pas aboutir au résultat paradoxal d'ajouter un flux, cette
fois surveillé, à cet autre demeuré imprévisible. D'autant que les actuels
arrivants ont également accès au marché du travail. La France, c'est
entendu, ne peut vivre claquemurée. Doit-elle pour autant laisser toutes
ses portes ouvertes ? La droite tarde à répondre clairement non.
Aubenas : geôliers oubliés
Ce qui gêne, à la lecture des commentaires sur la libération, dimanche,
de Florence Aubenas et de son interprète irakien : l'absence de révolte
des médias et des politiques contre l'inhumanité des geôliers, qui ont
enlevé et séquestré la journaliste. Parfois battue, mains et pieds
entravés durant une partie de sa captivité, un bandeau perpétuellement sur
les yeux, l'envoyée spéciale de Libération aura passé 157 jours sur un
matelas, dans une cave de 4 mètres sur 2 et de 1,5 mètre de hauteur,
qu'elle partageait avec Hussein Hanoun, avec qui elle avait interdiction
de parler. Un calvaire dont elle n'a d'ailleurs pas cherché à faire
étalage, préférant s'abriter derrière la pudeur de l'ironie.
Ce refus de juger n'est pas neutre. La presse a su dénoncer les
humiliations américaines contre des prisonniers d'Abou Ghraïb, en Irak.
Ces derniers jours, Amnesty International a qualifié le centre de
détention de Guantanamo (où sont détenus des combattants islamistes) de
«goulag de notre temps». A-t-on entendu les droits-de-l'hommistes
s'offusquer des conditions subies par Aubenas et Hanoun ? A-t-on vu
Reporters sans frontières organiser des lâchers de ballons pour dénoncer
la barbarie de ceux qui kidnappent des confrères, pour parfois les égorger
devant une vidéo ?
Ce silence rejoint la réticence de la France à prendre la mesure du
terrorisme islamiste, qui cherche à entraver les timides processus de
démocratisation au Moyen-Orient. 700 civils irakiens, dont des femmes et
des enfants, ont été tués en mai au cours d'attaques suicides ou
d'attentats. Un carnage qui s'est poursuivi ce mois-ci, sans éveiller
l'émotion de nos moralistes. Ils ont choisi de ranger ces actions au
chapitre «actes de résistance» ou de mettre des guillemets à «terrorisme»,
vu alors comme une «réponse à une injustice et à une humiliation».
L'angélisme du raisonnement est déjà une capitulation devant ce nouveau
totalitarisme et son djihad lancé, depuis le 11 septembre, contre
l'Occident. Au prétexte de ne pas vouloir froisser la susceptibilité des
bourreaux, les médias donnent le sentiment de les disculper de leur
idéologie et de leurs pratiques, ou du moins de leur accorder des
circonstances atténuantes, au nom de leur lutte contre «l'occupation
américaine». Ce faisant, la profession fait acte de soumission. Une
victoire pour les islamistes.
Parler vrai sur l'islam
A ce propos : le besoin de parler vrai, apparu depuis le 29 mai, ne
peut plus se satisfaire de l'accusation d'«islamophobie» lancée à la
figure de celui qui s'inquiète de la radicalisation de l'islamisme en
Europe et en France. Il ne suffit pas de dire que l'islam est une religion
de paix pour clore le débat. Il est devenu nécessaire de s'interroger sur
la pertinence de l'application littérale du Coran, pratiquée par une
minorité de musulmans. Cette approche conduit à des refus de s'intégrer
dans une démocratie laïque et égalitaire, au nom de la prééminence de loi
islamique, et à considérer les autres religions comme inférieures, voire
hostiles. La lecture critique du livre saint ne peut évidemment être
l'oeuvre que des musulmans eux-mêmes. Mais si personne ne les incite à
cette modernisation, la mèneront-ils ?
Moutons noirs
Encore une chose, sur ce 29 mai qui s'annonce décidément
révolutionnaire. Alors que les ouiistes prophétisaient une France isolée –
le mouton noir – en cas de rejet de la Constitution, que voit-on ? Le
refus français a révélé un même malaise généralisé. Observation de Tony
Blair dans Le Figaro de mercredi : «Je crois que la réaction négative à
l'égard de l'Europe est la même en France, aux Pays-Bas, en
Grande-Bretagne et en Allemagne, où il serait sans doute très difficile de
gagner un référendum, s'il y en avait un.» Et la liste des non risque de
s'allonger, selon les sondages, au Danemark, à l'Irlande, à la Pologne, au
Luxembourg, au Portugal, à la République tchèque...
Tandis que les partisans du oui ne cessent, cette semaine encore, de
ressasser leur défaite en s'entêtant à prédire le pire, c'est le premier
ministre britannique, épouvantail du bien-pensisme, qui a dit les mots les
plus évidents : «Je pense que ce qui est important de réaliser est qu'il y
a maintenant une prise de conscience claire en Europe sur la nécessité
d'un débat beaucoup plus fondamental sur l'avenir de l'Europe.» Celui qui
présidera l'Union le 1er juillet demande une pause, pour réfléchir aux
choix économiques et aux liens à entretenir avec les États-Unis. Deux
sujets qu'il ne serait pas superflu d'approfondir. Où est le drame ?
A côté de la plaque
La nouvelle plaque d'immatriculation, mise aux normes européennes :
présentée mercredi, elle ne fera plus référence aux départements. Le
numéro sera attribué à vie au véhicule, quelle que soit la domiciliation
du propriétaire. Alors que les Français sont en demande d'identité et
rejettent l'uniformisation, cette mesure tombe mal...
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