Le leitmotiv de ce Chemin de croix
est mis en lumière dès le début, dans la prière initiale, et de
nouveau à la quatorzième station. C’est la parole prononcée par le
Christ le Dimanche des Rameaux, par laquelle – immédiatement après son
entrée à Jérusalem – il répond à la question de quelques Grecs qui
voulaient le voir : «Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas,
il reste seul; mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruit» (Jn 12,
24). Le Seigneur interprète ainsi tout son parcours terrestre comme le
parcours du grain de blé qui parvient à porter du fruit seulement à
travers la mort. Il interprète sa vie terrestre, sa mort et sa
résurrection dans la perspective de l’Eucharistie, dans laquelle est
résumé tout son mystère. Puisqu’il a vécu sa mort comme une offrande
de lui-même, comme un acte d’amour, son corps a été transformé dans la
nouvelle vie de la résurrection. Voilà pourquoi, lui, le Verbe
incarné, est désormais devenu pour nous une nourriture qui conduit à
la vraie vie, à la vie éternelle. Le Verbe éternel – la force
créatrice de la vie – est descendu du ciel, devenant ainsi la vraie
manne, le pain qui se communique à l’homme, dans la foi et dans le
sacrement. De cette manière, le Chemin de croix devient un chemin qui
conduit jusqu’au coeur du mystère eucharistique : la piété populaire
et la piété sacramentelle de l’Église se lient et se fondent. La
prière du Chemin de Croix peut se comprendre comme un chemin qui
conduit à la communion spirituelle profonde avec Jésus, sans laquelle
la communion sacramentelle resterait vide. Le Chemin de croix apparaît
comme un chemin «mystagogique».
À cette vision s’oppose une
compréhension purement sentimentale du Chemin de croix, risque dont le
Seigneur avertit les femmes de Jérusalem qui pleurent sur lui (cf.
huitième station). Le simple sentiment ne
suffit pas; le Chemin de croix doit être une école de foi, de la foi
qui, de par sa nature, «agit par la charité» (Ga 5, 6). Cependant,
cela ne signifie pas que le sentiment doit être exclu. Pour les Pères,
le premier défaut des païens est leur manque de coeur; aussi
reprennent-ils la vision d’Ézéchiel, qui communique au peuple d’Israël
la promesse que Dieu fait d’enlever de leur poitrine le coeur de
pierre et de leur donner un coeur de chair (cf. Ez 11, 19). Le Chemin
de croix nous montre un Dieu qui partage lui-même les souffrances des
hommes, dont l’amour ne demeure pas impassible et distant, un Dieu qui
descend parmi nous, jusqu’à la mort sur la croix (cf. Ph 2, 8). Le
Dieu qui partage nos souffrances, le Dieu fait homme pour porter notre
croix, veut transformer notre coeur de pierre et nous appeler à
partager les souffrances d’autrui. Il veut nous donner un «coeur de
chair» qui ne reste pas impassible devant les souffrances d’autrui. Il
se laisse au contraire toucher et nous conduit à l’amour qui guérit et
qui vient en aide. Cela nous renvoie aux paroles de Jésus sur le grain
de blé par lesquelles il transforme la formule fondamentale de
l’existence chrétienne : «Celui qui aime sa vie la perd; celui qui
s’en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle» (Jn 12, 25;
cf. Mt 16, 25; Mc 8, 35; Lc 9, 24; 17, 33 : «Qui cherchera à conserver
sa vie la perdra. Et qui la perdra la sauvegardera»). Cela nous
explique aussi ce que signifie la phrase qui précède ces paroles
centrales de son message dans les Évangiles synoptiques: «Si quelqu’un
veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa
croix, et qu’il me suive» (Mt 16, 24). Par ces mots, il offre lui-même
l’interprétation du «Chemin de croix», il nous enseigne comment nous
devons le prier et le suivre : le Chemin de croix est le chemin du
reniement de soi, c’est-à-dire le chemin de l’amour véritable. Sur ce
chemin il nous a précédés; c’est ce chemin que veut nous enseigner la
prière du Chemin de croix. Et cela nous ramène encore au grain de blé
qui doit mourir, à l’Eucharistie, dans laquelle se rend
continuellement présent au milieu de nous le fruit de la mort et de la
résurrection de Jésus. En elle, il marche avec nous, comme autrefois
avec les disciples d’Emmaüs, se faisant toujours de nouveau notre
contemporain.
PRIÈRE INITIALE
Seigneur Jésus Christ, pour nous tu
as accepté de devenir comme le grain de blé qui tombe en terre et qui
meurt pour donner beaucoup de fruit (cf. Jn 12, 24). Tu nous invites à
te suivre sur ce chemin quand tu dis : «Celui qui aime sa vie la perd;
celui qui s’en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle» (Jn
12, 25). Nous, cependant, nous sommes attachés à notre vie. Nous ne
voulons pas l’abandonner, mais la garder totalement pour nous-mêmes.
Nous voulons la posséder, non l’offrir. Mais tu nous précèdes et tu
nous montres que c’est seulement en donnant notre vie que nous pouvons
la sauver. Alors que nous t’accompagnons sur le Chemin de croix, tu
veux nous conduire à prendre le chemin du grain de blé, le chemin
d’une fécondité qui parvient jusqu’à l’éternité. La croix – l’offrande
de nous-mêmes – nous pèse beaucoup. Mais sur ton Chemin de croix tu as
porté aussi ma croix, et tu ne l’as pas portée en un quelconque moment
du passé, car ton amour est contemporain à mon existence. Tu la portes
aujourd’hui avec moi et pour moi, et, de manière admirable, tu veux
que moi aussi, aujourd’hui, comme jadis Simon de Cyrène, je porte avec
toi ta croix et, t’accompagnant, je me mette avec toi au service de la
rédemption du monde. Aide-moi, afin que mon Chemin de croix ne soit
pas simplement le pieux sentiment d’un instant. Aide-nous non
seulement à t’accompagner par de nobles pensées, mais à marcher sur
ton chemin avec le coeur, plus encore avec les pas concrets de notre
vie quotidienne. Aide-nous pour que nous marchions avec tout
nous-mêmes sur le Chemin de croix, et que nous demeurions à jamais sur
ton chemin. Libère-nous de la peur de la croix, de la peur face à la
dérision des autres, de la peur que notre vie puisse nous échapper si
nous ne saisissons pas tout ce qu’elle offre. Aide-nous à démasquer
les tentations qui nous promettent la vie, mais dont les conséquences
nous laissent, en fin de compte, sans but et déçus. Aide-nous à ne pas
nous faire les maîtres de la vie, mais à la donner. En t’accompagnant
sur le chemin du grain de blé, aide-nous à trouver, «en perdant notre
vie», le chemin de l’amour, le chemin qui nous procure véritablement
la vie, la vie en abondance (cf. Jn 10, 10).
1ère Station : Jésus est condamné à
mort
De l’Évangile selon saint Matthieu
27, 22-23.26
MÉDITATION
Le Juge du monde, qui reviendra un
jour pour nous juger, est là, anéanti, déshonoré et sans défense face
au juge de la terre. Pilate n’est pas totalement mauvais. Il sait que
ce condamné est innocent; il cherche le moyen de le libérer. Mais
Pilate est indécis. Et en définitive, sur le droit, il fait prévaloir
sa position, il se fait prévaloir lui-même. Et les hommes qui
vocifèrent et demandent la mort de Jésus ne sont pas non plus
totalement mauvais. Beaucoup parmi eux, le jour de la Pentecôte,
seront «remués jusqu’au fond d’eux-mêmes» (Ac 2, 37), quand Pierre
leur dira : «Jésus de Nazareth – cet homme dont Dieu avait fait
connaître la mission – ... vous l’avez fait mourir en le faisant
clouer à la croix par la main des païens...» (Ac 2, 22s). Mais en cet
instant, ils subissent l’influence de la foule. Ils vocifèrent parce
que les autres vocifèrent, et ils vocifèrent comme les autres. Et
ainsi, la justice est piétinée par lâcheté, par faiblesse, par peur du
diktat de la mentalité dominante. La voix ténue de la conscience est
étouffée par les vociférations de la foule. L’indécision, le respect
humain confèrent leur force au mal.
PRIÈRE
Seigneur, tu as été condamné à mort
car la peur du regard des autres a étouffé la voix de la conscience.
Tout au long de l’histoire, il en a toujours été ainsi, des innocents
ont été maltraités, condamnés et tués. Combien de fois n’avons-nous
pas, nous aussi, préféré le succès à la vérité, notre réputation à la
justice ! Donne force, dans notre vie, à la voix ténue de la
conscience, à ta voix. Regarde-moi comme tu as regardé Pierre après le
reniement. Fais en sorte que ton regard pénètre nos âmes et indique à
notre vie la direction. A ceux qui ont vociféré contre toi le Vendredi
saint, tu as donné l’émotion du cœur et la conversion au jour de la
Pentecôte. Et ainsi, tu nous as donné à tous l’espérance. Donne-nous
aussi, toujours de nouveau, la grâce de la conversion.
2e Station : Jésus est chargé de la
Croix
De l’Évangile selon saint Matthieu
27, 27-31
MÉDITATION
Jésus, condamné comme prétendu roi,
tu es raillé, mais dans la dérision apparaît cruellement la vérité.
Combien de fois les insignes du pouvoir portés par les puissants de ce
monde ne sont-ils pas une insulte à la vérité, à la justice et à la
dignité de l’homme! Combien de fois leurs cérémonies et leurs grands
discours ne sont en vérité rien d’autre que de pompeux mensonges, une
caricature de la tâche qui est la leur: se mettre au service du bien !
Jésus, celui dont on se moque et qui porte la couronne de la
souffrance, est pour cela précisément le vrai roi. Son sceptre est
justice (cf. Ps 45, 7). Le prix de la justice est souffrance en ce
monde : lui, le vrai roi, ne règne pas par la violence, mais par
l’amour dont il souffre pour nous et avec nous. Il porte la croix sur
lui, notre croix, le poids de l’homme, le poids du monde. C’est ainsi
qu’il nous précède et qu’il nous montre comment trouver le chemin de
la vraie vie.
PRIÈRE
Seigneur, tu t’es laissé tourner en
dérision et outrager. Aide-nous à ne pas nous joindre à ceux qui se
moquent de celui qui souffre et de celui qui est faible. Aide-nous à
reconnaître ton visage en ceux qui sont humiliés et mis à l’écart.
Aide-nous à ne pas nous décourager devant les moqueries du monde,
quand l’obéissance à ta volonté est tournée en dérision. Tu as porté
la croix et tu nous as invités à te suivre sur ce chemin (cf. Mt 10,
38). Aide-nous à accepter la croix, à ne pas la fuir, à ne pas nous
lamenter et à ne pas laisser nos cœurs être abattus devant les peines
de la vie. Aide-nous à parcourir le chemin de l’amour et, obéissant à
ses exigences, à atteindre la vraie joie.
3e Station : Jésus tombe pour la
première fois
Du livre du prophète Isaïe 53, 4-6
MÉDITATION
L’homme est tombé et tombe toujours
de nouveau : combien de fois n’est-il que la caricature de lui-même,
et non plus l’image de Dieu, tournant ainsi en dérision le Créateur?
N’est-il pas l’image de l’homme par excellence celui qui, descendant
de Jérusalem à Jéricho, fut attaqué par les brigands qui le
dépouillèrent et le laissèrent à moitié mort, ensanglanté au bord du
chemin ! La chute de Jésus sous la croix n’est pas seulement la chute
de l’homme Jésus déjà épuisé par la flagellation. Ici apparaît quelque
chose de plus profond, comme dit Paul dans la lettre aux Philippiens :
«Lui qui était dans la condition de Dieu, il n’a pas jugé bon de
revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu ; mais au
contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de
serviteur. Devenu semblable aux hommes ... il s’est abaissé lui-même
en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix» (Ph
2, 6-8). Dans la chute de Jésus sous le poids de la croix, apparaît
tout son parcours : son abaissement volontaire pour ôter notre
orgueil. Et en même temps apparaît la nature de notre orgueil:
l’arrogance avec laquelle nous voulons nous émanciper de Dieu et
n’être rien d’autre que nous-mêmes, l’arrogance avec laquelle nous
croyons ne pas avoir besoin de l’amour éternel, mais avec laquelle
nous voulons maîtriser notre vie tout seuls. Dans cette rébellion
contre la vérité, dans cette tentative d’être nous-mêmes des dieux,
d’être créateurs et juges de nous-mêmes, nous tombons et nous
finissons par nous détruire nous-mêmes. L’abaissement de Jésus est le
dépassement de notre orgueil: par son abaissement, il nous relève.
Laissons-le nous relever. Dépouillons-nous de notre autosuffisance, de
notre envie erronée d’autonomie et, au contraire, apprenons de lui, de
lui qui s’est abaissé, à trouver notre véritable grandeur, en nous
abaissant et en nous tournant vers Dieu et vers nos frères humiliés.
PRIÈRE
Seigneur Jésus, le poids de la croix
t’a fait tomber à terre. Le poids de notre péché, le poids de notre
orgueil t’a terrassé. Mais ta chute n’est pas le signe d’un destin
hostile, elle n’est pas la pure et simple faiblesse de celui qui est
outragé. Tu as voulu venir à nous, nous qui, en raison de notre
orgueil, gisons à terre. L’orgueil qui nous fait penser que nous avons
la capacité de produire l’homme a contribué à ce que les hommes soient
devenus une sorte de marchandise, pouvant s’acheter et se vendre, tel
un réservoir de matériaux pour nos expérimentations, grâce auxquelles
nous espérons vaincre la mort par nous-mêmes, alors qu’en vérité, nous
ne faisons rien d’autre qu’humilier toujours plus profondément la
dignité de l’homme. Seigneur, aide-nous parce que nous sommes tombés.
Aide-nous à abandonner notre orgueil destructeur, en apprenant, par
ton humilité, à nous relever de nouveau.
4e Station : Jésus rencontre sa Mère
De l’Évangile selon saint Luc. 2,
34-35.51
MÉDITATION
Sur le chemin de croix de Jésus, se
trouve aussi Marie, sa Mère. Durant la vie publique de son fils, elle
avait dû se tenir à l’écart, pour faire place à la nouvelle famille de
Jésus, à la famille naissante de ses disciples. Elle avait également
dû entendre ses paroles: «Qui est ma mère et qui sont mes frères? ...
Celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est
pour moi un frère, une sœur et une mère.» (Mt 12, 48-50). On voit à
présent qu’elle est la Mère de Jésus, non seulement dans son corps,
mais dans son cœur. Avant même de l’avoir conçu dans son corps, elle
l’avait conçu dans son cœur, grâce à son obéissance. Il lui avait été
dit: «Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils... Il sera
grand...; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père» (Lc
1, 31s). Pourtant, peu après, elle avait entendu de la bouche du vieux
Syméon d’autres mots: «Et toi-même, ton cœur sera transpercé par une
épée» (Lc 2, 35). Elle se sera ainsi rappelée les paroles des
prophètes, des paroles semblables à celles-ci: « Maltraité, il
s’humilie, il n’ouvre pas la bouche: comme un agneau conduit à
l’abattoir» (Is 53, 7). A présent tout devenait réalité. Dans son
coeur, elle avait toujours conservé la parole que l’ange lui avait
dite quand tout avait commencé: «Sois sans crainte, Marie» (Lc 1, 30).
Les disciples se sont enfuis, elle, non. Elle reste là, avec son
courage de mère, avec sa fidélité de mère, avec sa bonté de mère et
avec sa foi, qui résiste dans l’obscurité: «Heureuse celle qui a cru»
(Lc 1, 45). «Mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il
la foi sur terre?» (Lc 18, 8). Oui, à ce moment-là, Il le sait: il
trouvera la foi. En cette heure-là, c’est sa grande consolation.
PRIÈRE
Sainte Marie, Mère du Seigneur, tu
es restée fidèle quand les disciples se sont enfuis. De même que tu as
cru quand l’ange t’a annoncé l’incroyable – que tu allais devenir la
mère du Très-Haut –, de même, tu as cru à l’heure de sa plus grande
humiliation. Ainsi, à l’heure de la croix, à l’heure de la nuit la
plus sombre du monde, tu es devenue Mère des croyants, Mère de
l’Église. Nous te prions: apprends-nous à croire et aide-nous afin que
notre foi devienne courage de servir et geste d’un amour qui vient en
aide et qui sait partager la souffrance.
5e Station : Jésus est aidé par le
Cyrénéen à porter sa croix
De l’Évangile selon saint Matthieu
27, 32; 16, 24
MÉDITATION
Simon de Cyrène rentre du travail,
il est sur le chemin du retour chez lui, quand il croise ce triste
cortège de condamnés –, spectacle sans doute habituel pour lui. Les
soldats usent de leur droit de cœrcition et mettent la croix sur lui,
robuste homme de la campagne. Quelle gêne a-t-il dû éprouver en se
trouvant soudain mêlé au destin de ces condamnés! Il fait ce qu’il
doit faire, avec certainement beaucoup de répugnance. Toutefois,
l’évangéliste Marc nomme également ses fils qui étaient connus pour
être chrétiens et membres de la communauté (Mc 15, 21). De cette
rencontre involontaire est née la foi. En accompagnant Jésus et en
partageant le poids de sa croix, le Cyrénéen a compris que marcher
avec ce Crucifié et l’assister était une grâce. Le mystère de Jésus
souffrant et muet a touché son cœur. Jésus, dont seul l’amour divin
pouvait et peut racheter l’humanité entière, veut que nous partagions
sa croix, pour compléter ce qui manque encore à ses souffrances (Col
1, 24). Chaque fois qu’avec bonté nous allons à la rencontre de celui
qui souffre, de celui qui est persécuté et faible, en partageant sa
souffrance, nous aidons Jésus à porter sa propre croix. Ainsi nous
obtenons le salut et nous pouvons nous-mêmes coopérer au salut du
monde.
PRIÈRE
Seigneur, tu as ouvert les yeux et
le cœur de Simon de Cyrène, lui donnant, par le partage de ta croix,
la grâce de la foi. Aide-nous à venir en aide à notre prochain qui
souffre, même si cet appel est contraire à nos projets et à nos
penchants. Donne-nous de reconnaître que partager la croix des autres,
et faire l’expérience qu’ainsi nous marchons avec toi, est une grâce.
Donne-nous de reconnaître avec joie que c’est précisément en
partageant ta souffrance et les souffrances de ce monde que nous
devenons serviteurs du salut, et qu’ainsi nous pouvons contribuer à
construire ton corps, l’Église.
6e Station : Véronique essuie le
visage de Jésus
Du livre du prophète Isaïe 53, 2-3
Du livre des Psaumes 26 [27], 8-9
MÉDITATION
«C’est ta face, Seigneur, que je
cherche: ne me cache pas ta face» (Ps 26 [27], 8-9). Véronique –
Bérénice, selon la tradition grecque – incarne cette aspiration qui
est commune à tous les hommes pieux de l’Ancien Testament, cette
aspiration de tous les croyants à voir le visage de Dieu. Sur le
chemin de croix de Jésus, au début, elle ne rend d’abord qu’un service
de bonté féminine: elle offre un linge à Jésus. Elle ne se laisse ni
gagner par la brutalité des soldats, ni immobiliser par la peur des
disciples. Elle est l’image de la femme éprise de bonté qui, dans le
désarroi et l’obscurité des cœurs, garde le courage de la bonté, et ne
permet pas que son cœur s’obscurcisse. «Heureux les cœurs purs – avait
dit le Seigneur dans le Discours sur la montagne –, ils verront Dieu!»
(Mt 5,8). Au début, Véronique voit seulement un visage maltraité et
marqué par la souffrance. Mais l’acte d’amour imprime dans son cœur la
véritable image de Jésus: sur son visage humain, couvert de sang et de
blessures, elle voit le visage de Dieu et de sa bonté, qui nous
accompagne aussi dans la souffrance la plus profonde. C’est seulement
avec le cœur que nous pouvons voir Jésus. Seul l’amour nous rend
capables de voir et nous rend purs. Seul l’amour nous fait reconnaître
Dieu, qui est l’amour même.
PRIÈRE
Seigneur, donne-nous l’inquiétude du
cœur qui cherche ton visage. Protège-nous de l’obscurcissement du cœur
qui ne voit que l’apparence des choses. Donne-nous la sincérité et la
pureté qui nous rendent capables de voir ta présence dans le monde.
Quand nous n’avons pas la capacité de faire de grandes choses,
donne-nous le courage d’une humble bonté. Imprime ton visage dans nos
cœurs, afin que nous puissions te rencontrer et montrer au monde ton
image.
7e Station : Jésus tombe pour la
deuxième fois
Du livre des Lamentations 3,
1-2.9.16
MÉDITATION
La tradition de la triple chute de
Jésus et du poids de la croix rappelle la chute d’Adam – le fait que
nous soyons des êtres humains déchus – et le mystère de la
participation de Jésus à notre chute. Au cours de l’histoire, la chute
de l’homme prend des formes toujours nouvelles. Dans sa première
Lettre, saint Jean parle d’une triple chute de l’homme: les désirs de
la chair, les désirs des yeux et l’orgueil de la richesse. C’est ainsi
que, sur l’arrière-fond des vices de son temps, avec tous ses excès et
toutes ses perversions, il interprète la chute de l’homme et de
l’humanité. Cependant nous pouvons penser aussi, dans l’histoire plus
récente, que les chrétiens, en se détournant de la foi, ont abandonné
le Seigneur: les grandes idéologies, comme la banalisation de l’homme
qui ne croit plus à rien et qui se laisse simplement aller, ont
construit un nouveau paganisme, un paganisme plus mauvais, qui, en
voulant mettre définitivement Dieu à part, a fini par se débarrasser
de l’homme. L’homme gît ainsi dans la cendre. Le Seigneur porte ce
poids, il tombe et il tombe, pour pouvoir venir jusqu’à nous; il nous
regarde afin que notre cœur se réveille; il tombe pour nous relever.
PRIÈRE
Seigneur Jésus Christ, tu as porté
notre poids et tu continues à nous porter. C’est notre poids qui te
fait tomber. Mais que ce soit toi qui nous relèves, car seuls nous
n’arrivons pas à nous lever de la cendre ! Libère-nous de la puissance
de la concupiscence. A la place d’un cœur de pierre, donne-nous à
nouveau un cœur de chair, un cœur capable de voir. Détruis le pouvoir
des idéologies, afin que les hommes reconnaissent qu’elles sont
tissées de mensonges. Ne permets pas que le mur du matérialisme
devienne insurmontable. Fais-nous percevoir à nouveau ta présence.
Rends-nous sobres et attentifs pour pouvoir résister aux forces du mal
et aide-nous à reconnaître les besoins intérieurs et extérieurs des
autres, à les soutenir. Relève-nous, afin que nous puissions relever
les autres. Donne-nous l’espérance au milieu de toute obscurité, afin
que nous puissions devenir porteurs d’espérance pour le monde.
8e Station : Jésus rencontre les
femmes de Jérusalem qui pleurent sur lui
De l’Évangile selon saint Luc
23,28-31
MÉDITATION
Écouter Jésus alors qu’il fait des
reproches aux femmes de Jérusalem qui le suivent et qui pleurent sur
lui nous fait réfléchir. Comment le comprendre ? Ne s’agit-il pas de
reproches adressés à une piété purement sentimentale, qui ne devient
pas conversion et foi vécue ? Il ne sert à rien de pleurer sur les
souffrances de ce monde, avec des paroles et par des sentiments, alors
que notre vie continue toujours égale à elle-même. C’est pourquoi le
Seigneur nous avertit du danger dans lequel nous sommes nous-mêmes. Il
nous montre la gravité du péché et la gravité du jugement. Malgré tous
nos discours effrayés devant le mal et la souffrance des innocents, ne
sommes-nous pas trop enclins à banaliser le mystère du mal ? En
définitive, de l’image de Dieu et de Jésus, nous ne retenons peut-être
que l’aspect doux et aimable, alors que nous avons évacué
tranquillement l’aspect du jugement? Nous nous demandons si Dieu peut
encore prendre notre faiblesse au tragique. Car nous ne sommes que des
hommes ! Mais en regardant les souffrances du Fils, nous voyons toute
la gravité du péché, nous voyons comment il doit être expié jusqu’à la
fin pour pouvoir être vaincu. Le mal ne peut pas continuer à être
banalisé devant l’image du Seigneur qui souffre. A nous aussi, le
Seigneur déclare: Ne pleurez pas sur moi,
pleurez sur vous-mêmes ... car si l’on traite ainsi l’arbre vert, que
deviendra l’arbre sec ?
PRIÈRE
Aux femmes qui pleurent, tu as
parlé, Seigneur, de la pénitence, du jour du Jugement, lorsque nous
nous trouverons en présence de ta face, la face du Juge du monde. Tu
nous appelles à sortir de la banalisation du mal dans laquelle nous
nous complaisons, de manière à pouvoir continuer notre vie tranquille.
Tu nous montres la gravité de notre responsabilité, le danger d’être
trouvés coupables et stériles au jour du Jugement. Aide-nous à ne pas
nous contenter de marcher à côté de toi, ou d’offrir seulement des
paroles de compassion. Convertis-nous et donne-nous une vie nouvelle;
ne permets pas que, en définitive, nous restions là comme un arbre
sec, mais fais que nous devenions des sarments vivants en toi, la
vraie vigne, et que nous portions du fruit pour la vie éternelle (cf.
Jn 15, 1-10).
9e Station : Jésus tombe pour la
troisième fois
Du livre des Lamentations. 3,27-32
MÉDITATION
Que peut nous dire la troisième
chute de Jésus sous le poids de la croix ? Peut-être nous fait-elle
penser plus généralement à la chute de l’homme, au fait que beaucoup
s’éloignent du Christ, dans une dérive vers un sécularisme sans Dieu.
Mais ne devons-nous pas penser également à ce que le Christ doit
souffrir dans son Église elle-même ? Combien de fois abusons-nous
du Saint-Sacrement de sa présence, dans quel cœur vide et mauvais
entre-t-il souvent ! Combien de fois ne célébrons-nous que nous-mêmes,
et ne prenons-nous même pas conscience de sa présence ! Combien de
fois sa Parole est-elle déformée et galvaudée ! Quel manque de foi
dans de très nombreuses théories, combien de paroles creuses ! Que de
souillures dans l’Église, et particulièrement parmi ceux qui, dans le
sacerdoce, devraient lui appartenir totalement ! Combien d’orgueil et
d’autosuffisance ! Que de manques d’attention au sacrement de la
réconciliation, où le Christ nous attend pour nous relever de nos
chutes ! Tout cela est présent dans sa passion. La trahison des
disciples, la réception indigne de son Corps et de son Sang sont
certainement les plus grandes souffrances du Rédempteur, celles qui
lui transpercent le cœur. Il ne nous reste plus qu’à lui adresser, du
plus profond de notre âme, ce cri : Kyrie, eleison – Seigneur,
sauve-nous (cf. Mt 8, 25).
PRIÈRE
Souvent, Seigneur, ton Église
nous semble une barque prête à couler, une barque qui prend l’eau de
toute part. Et dans ton champ, nous voyons plus d’ivraie que de bon
grain. Les vêtements et le visage si sales de ton Église nous
effraient. Mais c’est nous-mêmes qui les salissons ! C’est nous-mêmes
qui te trahissons chaque fois, après toutes nos belles paroles et nos
beaux gestes. Prends pitié de ton Église : en elle aussi, Adam chute
toujours de nouveau. Par notre chute, nous te traînons à terre, et
Satan s’en réjouit, parce qu’il espère que tu ne pourras plus te
relever de cette chute ; il espère que toi, ayant été entraîné dans la
chute de ton Église, tu resteras à terre, vaincu. Mais toi, tu te
relèveras. Tu t’es relevé, tu es ressuscité et tu peux aussi nous
relever. Sauve ton Église et sanctifie-la. Sauve-nous tous et
sanctifie-nous.
10e Station : Jésus est dépouillé de
ses vêtements
De l’Évangile selon saint Matthieu
27,33.36
MÉDITATION
Jésus est dépouillé de ses
vêtements. Le vêtement donne à l’homme sa position sociale ; il lui
donne sa place dans la société, il le fait être quelqu’un. Être
dépouillé en public signifie, pour Jésus, n’être plus personne, n’être
rien d’autre qu’un exclu, méprisé de tous. Le moment du dépouillement
nous rappelle aussi l’exclusion du paradis : la splendeur de Dieu a
disparu en l’homme qui maintenant se trouve là, nu et exposé, dénudé
et honteux. De cette manière, Jésus assume encore une fois la
situation de l’homme pécheur. Ce Jésus dépouillé nous rappelle le fait
que, tous, nous avons perdu notre «premier vêtement», c’est-à-dire la
splendeur de Dieu. Sous la croix les soldats tirent au sort pour se
partager ses pauvres biens, ses vêtements. Les évangélistes en font le
récit avec des paroles du Psaume 22, verset 19 et ils nous disent
ainsi ce que Jésus dira aux disciples d’Emmaüs : tout est arrivé
«selon les Écritures». Ici, rien n’est pure coïncidence, tout ce qui
arrive est contenu dans la Parole de Dieu et voulu par son dessein
divin. Le Seigneur fait l’expérience de toutes les stations et de tous
les degrés de la perdition humaine, et chacun de ces degrés est, avec
toute son amertume, une étape de la Rédemption : c’est ainsi qu’il
ramène au bercail la brebis perdue. Rappelons-nous aussi que Jean
déclare que l’objet du tirage au sort était la tunique de Jésus
«tissée tout d’une pièce, de haut en bas» (19, 23). Nous pouvons y
voir une allusion au vêtement du grand prêtre, qui était «tissé d’une
seule pièce», sans couture (Flavius Josèphe, Les Antiquités juives,
III, 161). Lui, le Crucifié, il est en effet le véritable grand
prêtre.
PRIÈRE
Seigneur Jésus, tu as été dépouillé
de tes vêtements, exposé au déshonneur, exclu de la société. Tu t’es
chargé du déshonneur d’Adam, et tu l’as guéri. Tu t’es chargé des
souffrances et des besoins des pauvres, ceux qui sont exclus du monde.
Mais c’est ainsi que s’accomplit la parole des prophètes. C’est ainsi
que tu donne sens à ce qui semble privé de sens. C’est ainsi que tu
nous fais reconnaître que ton Père te tient dans ses mains, comme
nous-mêmes et le monde. Donne-nous un profond respect de l’homme à
tous les stades de son existence et dans toutes les situations ou nous
le rencontrons. Donne-nous le vêtement de lumière de ta grâce.
11e Station : Jésus est cloué sur la
Croix
De l’Évangile selon saint Matthieu
27,37-42
MÉDITATION
Jésus est cloué sur la croix. Le
linceul de Turin nous permet de nous faire une idée de l’incroyable
cruauté de ce procédé. Jésus ne boit pas le breuvage anesthésiant
qu’on lui offre : consciemment, il prend sur lui toute la souffrance
de la crucifixion. Tout son corps est tourmenté; ainsi les paroles du
Psaume se vérifient : «Et moi, je suis un ver, pas un homme, raillé
par les gens, rejeté par le peuple» (Ps 21 [22], 7). «Il était méprisé
... semblable au lépreux dont on se détourne ... Pourtant c’étaient
nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé» (Is
53, 3 s). Arrêtons-nous devant cette image de douleur, devant le Fils
de Dieu souffrant. Regardons vers lui dans les moments où nous sommes
présomptueux et portés à la jouissance, pour apprendre à respecter les
limites et à voir la superficialité de tous les biens purement
matériels. Regardons vers lui dans les moments de calamité et
d’angoisse, pour reconnaître que c’est alors que nous sommes proches
de Dieu. Cherchons à reconnaître son visage dans ceux que nous avons
tendance à mépriser. Devant le Seigneur condamné, qui ne veut pas se
servir de son pouvoir pour descendre de la croix, mais qui supporte
plutôt la souffrance de la croix jusqu’au bout, peut affleurer encore
une autre pensée. Ignace d’Antioche, lui-même enchaîné à cause de sa
foi dans le Seigneur, fait l’éloge des chrétiens de Smyrne pour leur
foi inébranlable: ils étaient comme cloués par la chair et le sang à
la croix du Seigneur Jésus Christ (1, 1). Laissons-nous clouer à lui,
en ne cédant à aucune tentation de nous éloigner et de nous laisser
aller aux railleries qui voudraient nous inciter à le faire.
PRIÈRE
Seigneur Jésus Christ, tu t’es fait
clouer sur la croix, acceptant la terrible cruauté de cette
souffrance, la destruction de ton corps et de ta dignité. Tu t’es fait
clouer, tu as souffert sans fuir et sans accepter de compromis.
Aide-nous à ne pas fuir devant ce que nous sommes appelés à accomplir.
Aide-nous à nous laisser lier étroitement à toi. Aide-nous à démasquer
la fausse liberté qui veut nous éloigner de toi. Aide-nous à accepter
ta liberté liée et à trouver, dans ce lien étroit avec toi, la vraie
liberté.
12e Station : Jésus meurt sur la
Croix
De l’Évangile selon saint Jean 19,
19-20
De l’Évangile selon saint Matthieu
27, 45-50.54
MÉDITATION
Sur la croix de Jésus, dans les deux
langues du monde de cette époque, le grec et le latin, et dans la
langue du peuple élu, l’hébreu, une inscription exprimant qui il est:
le Roi des Juifs, le Fils promis à David. Pilate, juge injuste, est
devenu prophète malgré lui. Devant l’opinion publique mondiale, la
royauté de Jésus est proclamée. Jésus lui-même n’avait pas accepté le
titre de Messie, car il pouvait évoquer une idée erronée et purement
humaine du pouvoir et du salut. Maintenant, le titre peut être écrit
là, publiquement au-dessus du Crucifié. C’est ainsi qu’il est vraiment
le roi du monde. Il est maintenant vraiment «élevé». Dans sa descente,
il est monté. Voici qu’il a radicalement accompli le commandement de
l’amour, il a accompli l’offrande de lui-même, et c’est ainsi qu’il
est la manifestation du Dieu véritable, de ce Dieu qui est l’amour.
Désormais, nous savons qui est Dieu. Désormais, nous savons en quoi
consiste la royauté véritable. Jésus prie avec les paroles du Psaume
21, qui commence ainsi: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu
abandonné?» (21[22], 2). Il prend sur lui toute la souffrance
d’Israël, la souffrance de l’humanité tout entière, le drame de
l’obscurité de Dieu, et il permet aussi à Dieu de se manifester là ou
il semblerait être définitivement mis en échec et absent. La croix de
Jésus est un événement cosmique. Le monde s’obscurcit, quand le Fils
de Dieu subit la mort. La terre tremble. Et auprès de la croix
commence l’Église des païens. Le Centurion romain reconnaît, il
comprend que Jésus est le Fils de Dieu. De la croix, il triomphe,
toujours de nouveau.
PRIÈRE
Seigneur Jésus Christ, à l’heure de
ta mort, le soleil s’éclipsa. Sans cesse, tu es à nouveau cloué sur la
croix. En cette heure de l’histoire précisément, nous vivons dans
l’obscurité de Dieu. A cause de l’immense souffrance et de la
méchanceté des hommes, le visage de Dieu, ton visage, apparaît
obscurci, méconnaissable. Mais c’est justement sur la croix que tu
t’es fait reconnaître. Précisément parce que tu es celui qui souffre
et qui aime, tu es celui qui est élevé. C’est de là que tu as
triomphé. En cette heure d’obscurité et de trouble, aide-nous à
reconnaître ton visage. Aide-nous à croire en toi et à te suivre
spécialement dans les heures d’obscurité et de détresse. En cette
heure, montre-toi encore au monde. Fais que ton salut lui soit
manifesté.
13e Station : Jésus est descendu de
la Croix et remis à sa Mère
De l’Évangile selon saint Matthieu
27, 54-55
MÉDITATION
Jésus est mort, son cœur a été
transpercé par la lance du soldat et il en sortit aussitôt du sang et
de l’eau: image mystérieuse du fleuve des sacrements du Baptême et de
l’Eucharistie, par lesquels, à cause du cœur transpercé du Seigneur,
l’Église renaît sans cesse. On ne lui a pas brisé les jambes, comme
aux deux autres crucifiés; ainsi, il se manifeste comme l’agneau
pascal véritable, dont aucun os ne doit être brisé (cf. Ex 12,46). Et
maintenant qu’il a tout supporté, malgré tout le trouble qui agite les
cœurs, malgré le pouvoir de la haine et des lâchetés, voici qu’il
n’est pas demeuré seul. Il y a les fidèles. Auprès de la croix, il y
avait aussi Marie, sa Mère, Marie sœur de sa Mère, Marie de Magdala et
le disciple qu’il aimait. Et voici qu’arrive un homme riche, Joseph d’Arimathie:
ce riche trouve le moyen de passer par le trou d’une aiguille, parce
que Dieu lui en donne la grâce. Il ensevelit Jésus dans son tombeau
neuf, dans un jardin: à l’endroit où Jésus est enseveli, le cimetière
se transforme en un jardin, le jardin d’où Adam avait été chassé
lorsqu’il s’était détaché de la plénitude de la vie, lorsqu’il s’était
détaché de son Créateur. Le tombeau dans le jardin nous apprend que le
pouvoir de la mort arrive à son terme. Voici que s’approche aussi un
membre du Sanhédrin, Nicodème; celui à qui Jésus avait annoncé le
mystère de la renaissance par l’eau et l’Esprit. Même au sein du
Sanhédrin, qui avait décidé sa mort, il y a quelqu’un qui croit,
quelqu’un qui connaît et qui reconnaît Jésus après sa mort. Au-delà de
l’heure du grand deuil, des ténèbres épaisses et du désespoir, demeure
cependant, mystérieusement, la lumière de l’espérance. Le Dieu caché
est cependant le Dieu vivant et proche. Le Seigneur mort reste
cependant le Seigneur et notre Sauveur, même dans la nuit de la mort.
L’Église de Jésus Christ, sa nouvelle famille, commence à se former.
PRIÈRE
Seigneur, tu es descendu dans
l’obscurité de la mort. Mais ton corps a été recueilli par de bonnes
mains, il a été enveloppé dans un linceul immaculé (Mt 27, 59). La foi
n’est pas complètement morte, le soleil n’est pas complètement
obscurci. Comme il nous semble souvent que tu dors! Et comme nous
pouvons facilement nous éloigner, nous les hommes, et nous dire à
nous-mêmes: Dieu est mort. Permets que, à l’heure de l’obscurité, nous
soyons capables de reconnaître que toi tu es là. Ne nous abandonne pas
quand nous sommes tentés de perdre courage. Aide-nous à ne pas te
laisser seul. Donne-nous une fidélité qui résiste au désarroi et un
amour qui sache t’accueillir dans les moments de détresse extrême,
comme le fit ta Mère, qui te reçut à nouveau entre ses bras.
Aide-nous, aide les pauvres et les riches, les simples et les savants,
à regarder au-delà des peurs et des préjugés. Rend-nous capables de
t’offrir nos aptitudes, notre cœur, notre temps, pour préparer ainsi
le jardin où peut advenir la résurrection.
14e Station : Jésus est mis au
tombeau
De l’Évangile selon saint Matthieu
27,59-61
MÉDITATION
Jésus, objet de mépris et
d’outrages, est déposé, avec tous les honneurs, dans un tombeau neuf.
Nicodème apporte cent livres d’un mélange de myrrhe et d’aloès, qui
doit répandre un parfum précieux. Voici que dans l’offrande du Fils se
manifeste, comme au moment de l’onction de Béthanie, une démesure qui
nous rappelle l’amour généreux de Dieu, la «surabondance de son
amour». Dieu s’offre généreusement lui-même. Si la mesure de Dieu est
la surabondance, pour nous aussi rien ne devrait être trop, vis-à-vis
de Dieu. C’est ce que Jésus lui-même nous a appris dans le discours
sur la montagne (cf. Mt 5,20). Mais il faut aussi nous souvenir des
paroles de saint Paul sur Dieu qui, «par nous, répand en tous lieux le
parfum de sa connaissance [du Christ]. Car nous sommes bien ... la
bonne odeur du Christ» (2 Co 2, 14s). Au milieu de la décomposition
des idéologies, notre foi devrait être à nouveau le parfum qui nous
remet sur le chemin de la vie. Au moment de la mise au tombeau
commence à s’accomplir la parole de Jésus: «Amen, amen, je vous le
dis: si le grain tombé en terre ne meurt pas, il reste seul; mais s’il
meurt, il donne beaucoup de fruit» (Jn 12,24). Jésus est le grain de
blé qui meurt. A partir du grain de blé mort commence la grande
multiplication du pain qui dure jusqu’à la fin du monde: c’est le pain
de vie capable de rassasier l’humanité tout entière et de lui donner
la nourriture de manière surabondante: par la croix et la
résurrection, le Verbe éternel de Dieu, qui, pour nous, s’est fait
chair et s’est aussi fait pain. Sur le tombeau de Jésus, resplendit le
mystère de l’Eucharistie.
PRIÈRE
Seigneur Jésus Christ, par ta mise
au tombeau, tu as fais tienne la mort du grain de blé, tu es devenu le
grain de blé mort qui donne beaucoup de fruit tout au long des temps,
jusqu’à l’éternité. Du tombeau, resplendit pour tous les temps la
promesse du grain de blé, d’oj provient la manne véritable, le pain de
vie par lequel tu t’offres toi-même à nous. Par l’Incarnation et la
mort, la Parole éternelle est devenue la Parole proche: tu te mets
entre nos mains et dans nos cœurs pour que ta Parole croisse en nous
et donne du fruit. Tu te donnes toi-même à travers la mort du grain de
blé, pour que, à notre tour, nous ayons le courage de perdre notre vie
pour la trouver et que, nous aussi, nous ayons confiance en la
promesse du grain de blé. Aide-nous à aimer toujours davantage ton
mystère eucharistique et à le vénérer, à vivre vraiment de Toi, Pain
du ciel. Aide-nous à devenir ta «bonne odeur», à rendre perceptibles
les traces de ta vie en ce monde. De même que le grain de blé se
relève de terre, forme une tige puis un épi, de même, tu ne pouvais
rester dans le tombeau: le tombeau est vide, parce que lui – le Père –
ne t’a pas «abandonné à la mort, et ta chair n’a pas connu la
corruption» (cf. Ac 2,31; Ps 15, 10 LXX). Non, tu n’as pas connu la
corruption. Tu es ressuscité et, à la chair transformée, tu as ouvert
un espace dans le cœur de Dieu. Fais que nous puissions nous réjouir
de cette espérance et que nous puissions la porter joyeusement au
monde, fais de nous des témoins de ta résurrection.
ZF05032407