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Centres culturels catholiques ... |
Dossier : |
Extraits : Nous souhaitons
que traverse la mer et les frontières une « onde d’humanité » où le mal est
rendu plus difficile parce qu’immédiatement connu et le bien plus solide parce
que renforcé par la contribution d’un plus grand nombre de bonnes volontés.
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La vie de l'Esprit .... la pensée a le
pouvoir de prévenir les fausses valeurs et fausses croyances et, par
suite, celui de nous préparer à la faculté du jugement, ce qui est la
plus politique des activités mentales....par Hannah Arendt |
Rencontre des Centres
culturels catholiques
Sarajevo : Conférence du
cardinal Paul Poupard
ROME, vendredi 8 juillet 2005
(ZENIT.org) – Voici le texte intégral de la conférence du cardinal
Paul Poupard, président du Conseil pontifical de la Culture, à
Sarajevo, ce 8 juillet, lors de la rencontre internationale des
Centres culturels catholiques de la Méditerranée et des Balkans,
qui se tient à Sarajevo du 7 au 10 juillet, sur le thème du défi d’un
nouveau dialogue culturel à l’ère de la mondialisation (cf. ZF050706).
La rencontre rassemble des
représentants de 25 pays d’Europe, d’Afrique, et d’Asie, avec le
soutien du centre culturel catholique de Bosnie Herzégovine.
Monsieur le Président de la
République,
Monsieur le Cardinal,
Messieurs les ministres,
Excellences,
Chers amis,
1. C’est pour moi une grande joie
d’introduire les travaux de ce nouveau Colloque des Centres culturels
catholiques de la méditerranée, en cette cité-martyre de Sarajevo qui
évoque tant pour chacune et chacun d’entre nous, victime des ravages
dramatiques de la haine lorsque le dialogue a fait place à l’hostilité
entre les hommes et les peuples. Dans notre société mondialisée, en ce
début du troisième millénaire, les hommes et les femmes de notre temps
sont appelés à intensifier les rencontres pour partager leur héritage
et édifier une société plus juste et plus fraternelle. Merci, Monsieur
le Cardinal, pour vos mots de bienvenue et le témoignage que vous
n’avez cessé de donner, dans la fidélité à l’Évangile, pour que
l’amour et le pardon soient toujours les premiers et les derniers mots
du dialogue. C’est pour moi une joie profonde de vous retrouver, chère
Éminence, quelque trois mois après les évènements bouleversants que
nous avons vécus ensemble à Rome, de la mort de notre regretté Pape
Jean-Paul II à l’élection de notre bien-aimé Pape Benoît XVI. Votre
accueil me donne de ressentir à nouveau la vive émotion du Conclave à
jamais gravé dans nos esprits et nos cœurs, elle nous rapproche
durablement dans une commune action de grâces au Seigneur.
Monsieur le Président de la
République,
2. C’est une grande joie pour moi de
vous dire, en notre nom à tous, l’honneur qui est le nôtre de vous
accueillir au commencement de nos travaux. Avec prêtres, religieux et
religieuses, laïcs engagés dans le dialogue foi et cultures, le
Conseil Pontifical de la Culture a choisi Sarajevo pour réunir les
responsables des Centres culturels catholiques du bassin méditerranéen
et, avec eux, réfléchir sur Les défis d’un nouveau dialogue dans le
contexte de la mondialisation. À l’occasion de sa venue mémorable en
cette cité, le 12 avril 1997, le Pape Jean-Paul II déclarait aux
hommes politiques de Bosnie-Herzégovine : « Sarajevo, ville au
carrefour de tensions entre des cultures, des religions et des peuples
différents, peut être considérée comme la ville-symbole de notre
siècle… Dans une perspective historique, Sarajevo, et toute la
Bosnie-Herzégovine, si elles réussissent à établir leurs structures
institutionnelles dans la paix, peuvent devenir à la fin de ce siècle
un exemple de convivialité dans la diversité pour de nombreuses
nations qui font, elles aussi l’expérience de cette difficulté, en
Europe et dans le monde ». Et il ajoutait : « La méthode dont on doit
tenir le plus grand compte pour résoudre les problèmes qui surgissent
tout au long de ce chemin difficile, est celle du dialogue inspiré par
l’écoute de l’autre partie et le respect mutuel. »
Votre présence, Monsieur le
Président, est pour nous hautement significative, et votre intérêt
pour l’action des Centres culturels catholiques nous encourage. Ces
Centres, vous le savez, veulent suivre cette méthode : ils sont des
lieux de dialogue. Ils ont pour but essentiel de mettre en fécond
rapport la foi chrétienne avec les cultures de notre temps, et ils
entendent répondre aux défis des sociétés éclatées en offrant des
espaces de rencontre et de colloque, de réflexion et de partage. Vous
le savez, le Conseil Pontifical de la Culture accorde une grande
importance au dialogue interculturel et interreligieux pour la
rencontre des peuples. L’Église le fait à la suite du Christ venu
enseigner aux hommes qu’ils sont fils d’un même Père et les aider à
vivre en frères. Nous souhaitons tous, pour les sociétés du nouveau
millénaire, un avenir de justice et de paix, et nous sommes convaincus
de pouvoir l’édifier dès lors que les hommes et les femmes de tous les
peuples et de toutes les religions sauront conjuguer les termes de
culture et de dialogue, d’identité et d’ouverture, de connaissance et
de respect, de foi et d’accueil.
Monsieur le Président, Messieurs les
Ministres,
3. Vous savez combien, avec notre
regretté Pape Jean-Paul II, nous avons ressenti douloureusement le
drame qui a divisé les populations de cette région de l’Europe. Nous
avons partagé vos souffrances avec tant de peine pendant toute la
période du récent conflit. Nous voyons votre engagement pour mettre en
place les éléments nécessaires pour édifier une société réconciliée
d’hommes et de femmes respectueux de leurs différences et désireux
d’un authentique partage dans le vivre-ensemble. Vous savez combien,
même aux heures les plus tragiques, les autorités de l’Église ont
cherché à établir des ponts avec les responsables des autres
communautés religieuses. Nous pouvons le redire haut et fort : le
conflit n’était pas religieux ! Mais comme tristement trop souvent
dans l’histoire des hommes, la religion a été honteusement prise en
otage pour justifier des replis identitaires injustifiables et attiser
la haine des autres pour servir les ambitions personnelles d’un petit
nombre. Il nous faut le redire sans cesse : la religion est porteuse
d’une haute idée de l’homme, elle sait que toute vie est sacrée, elle
est un don de Dieu pour rassembler tous les hommes en une seule
famille, dans l’amour et la paix.
Monsieur le Président, les Centres
culturels catholiques se multiplient dans le monde comme d’humbles
unités reliées entre elles pour former un vaste filet où les hommes
sont rassemblés dans l’écoute mutuelle et l’accueil des autres et de
leurs différences. Notre commune humanité exige de nous une
authentique fraternité, et notre identité propre nous appelle au
partage. Vous qui avez connu les heures tragiques de la division et de
la haine, vous savez mieux que quiconque le nécessaire recours aux
valeurs spirituelles : l’avenir d’un pays dévasté ne peut s’établir
sur la seule reconstruction matérielle, il a besoin de prendre appui
sur les fondements spirituels de la manière humaine de vivre ensemble.
C’est notamment dans ce but que travaillent les Centres culturels
catholiques, qui sont des « forums publics, lieux de rencontres et de
réflexion, d’étude et d’informations, d’échange d’idées et
d’approfondissement entre foi et cultures ». Ces centres « offrent aux
catholiques, comme à toute personne intéressée par une rencontre
culturelle, des occasions de contacts et d’échanges enrichissants sur
le monde et l’histoire, la religion et l’art, la culture et la
science. Enfin, ils aident à discerner les valeurs capables d’éclairer
l’existence et de donner un sens à la vie » . Nous ne saurions nous
résoudre à une société mondialisée uniforme et sans saveur. Nous
appelons de nos vœux un monde riche de toute la palette des couleurs
nécessaires à la réalisation d’une mosaïque belle et lumineuse, sans
exclusion aucune, si ce n’est celle des ombres ténébreuses indignes de
l’homme et de son humanité.
Puissent ces Centres se multiplier
en Bosnie-Herzégovine, dans les Balkans et dans tout le Bassin
méditerranéen, et contribuer à l’union des peuples pour rendre notre
société mondialisée plus humaine, plus fraternelle et culturellement
plus riche. Avec vous, Monsieur le Président, Messieurs les Ministres,
nous voulons regarder l’avenir avec confiance et détermination. Pour
sa part, le Saint-Siège et l’Église tout entière, en profonde syntonie
avec les responsables politiques des États engagés dans la
construction d’un avenir meilleur, appellent de leurs vœux la
coopération de tous les hommes et de toutes les femmes de bonne
volonté, dans le dialogue interculturel et le partage de leurs
héritages, pour le bien des peuples. Avec le pape Benoît XVI, il m’est
agréable, Monsieur le Président, de partager avec vous les mêmes
convictions : c’est en termes de culture et de patrimoine qu’il nous
faut envisager l’avenir, tant il est vrai qu’il n’y a de culture que
de l’homme, et d’organisation sociale à l’intérieur des États qui ne
vaille que pour le bien de tous les citoyens. En continuité d’une
tradition bimillénaire, l’Église catholique pour sa part continue
d’œuvrer pour une société plus juste et plus humaine, plus solidaire
et plus unie, dans le plein respect des composantes diverses des
peuples.
*
* *
4. Je me dois maintenant de saluer
chacun d’entre vous, chers Pères, religieux et religieuses, laïcs en
provenance des pays du bassin méditerranéen. Vous œuvrez dans des
Centres aux activités multiples et diverses pour transmettre la foi
dans les cultures. Nous nous connaissons bien pour la plupart d’entre
nous, et c’est avec joie que j’accueille ceux qui nous rejoignent pour
la première fois. Nos journées d’étude et de réflexion nous donnent de
mieux nous connaître et de partager nos expériences : elles diffèrent
par les activités et les contextes culturels contrastés où nous sommes
insérés.
Cette rencontre s’inscrit dans un
cycle aujourd’hui bien établi : douze années se sont écoulées depuis
le mois d’octobre 1993, quand le Conseil Pontifical de la Culture
organisait la première rencontre des directeurs et des responsables
des centres culturels catholiques à Chantilly, près de Paris. Depuis,
nous nous sommes régulièrement retrouvés : à Munich en Bavière,
Cadenabbia dans le nord de l’Italie, Barcelone deux fois, Rome et
Bologne en Italie, Fatqa au Liban et Sumuleu-Ciuc en Roumanie, pour ce
qui concerne l’Europe et le Bassin Méditerranéen, mais aussi Puebla de
los Angeles au Mexique, Valparaíso au Chili, João Pessoa ou encore à
São Paolo au Brésil et Salta en Argentine, pour l’Amérique, et
Nagasaki au Japon en attendant Goa en Inde, pour l’Asie, et à Lusaka
en Zambie, pour l’Afrique.
Réfléchir aux défis de la
mondialisation.
5. Le thème de nos travaux, Les
défis d’un nouveau dialogue dans le contexte de la mondialisation, est
une invitation à prendre en compte les transformations de nos sociétés
soumises, souvent indépendamment de leur volonté, aux puissants flux
suscités par le vaste phénomène de la mondialisation, et à leurs
incidences culturelles. Nos réflexions sur le véritable impact de la
mondialisation sur nos sociétés, et les réponses aux défis posés à
l’homme et la culture, sont pour l’Église d’une grande importance.
Sans une action concertée, nous risquerions de nous retrouver sur des
plages dévastées à constater impuissants les dégâts d’un authentique
tsunami culturel laissant derrière lui ruines et déchets sur une terre
hostile, et nous serions condamnés à la nostalgie du passé, incapables
de trouver un abri pour nous retrouver dans ce qui fait notre identité
et notre raison d’être. Nous sommes ici pour mettre en lumière
certains pièges de la mondialisation qui mettent en péril la culture,
mais nous nous devons aussi d’en discerner les possibilités pour
démultiplier notre action, l’enrichir et la fortifier. Dans cette
nouvelle société qui nous paraît souvent étrange, sinon étrangère, il
nous faut rechercher les voies et les moyens d’une authentique
rencontre des hommes, dans le dialogue, l’accueil et le respect.
Chacun de nous le fait selon sa grâce, parfois avec la sensation
d’accomplir une œuvre de faible envergure. Mais c’est aussi un des
buts de nos rencontres : prendre conscience que nous ne sommes pas
seuls, que notre action s’accompagne de celle d’une multitude d’autres
centres où des chrétiens tentent, par la via culturalis, d’insérer la
sève de l’Évangile au cœur des cultures pour que ses fruits se
multiplient en ce commencement du troisième millénaire.
TRANSMETTRE LA FOI.
6. Nos centres culturels sont
catholiques. C’est notre identité, nous ne saurions la mettre en
veilleuse. Nos activités s’inscrivent dans le mouvement de la nouvelle
évangélisation. Il s’agit pour nous de transmettre la foi dans les
cultures, cette foi indivisible qui, de saint Paul à Charles de
Foucauld, est la raison d’être de l’activité missionnaire des
baptisés. Avec l’Église, nous entendons répondre au commandement du
Seigneur : « Allez dans le monde entier, de tous les peuples, faites
des disciples ». La foi chrétienne est source d’un humanisme apte à
transformer les cultures des hommes pour les rendre plus humaines. Et
quand nous ne pouvons explicitement dire notre foi dans des contextes
culturels hostiles, nous pouvons toujours présenter cette vision de
l’homme, de la société, de la science, de la politique, de l’art, de
l’économie qui plonge ses racines dans l’Évangile et que nous
dénommons l’humanisme chrétien. Il est universel, et c’est notre
vocation de le proposer dans une attitude de dialogue et de raison aux
hommes et aux femmes de bonne volonté qui acceptent de venir en nos
centres. Mais ne l’oublions jamais : la proposition de cet humanisme
devrait toujours pouvoir conduire au Christ, parce que lui-même en est
la mesure, il en est la source et la fin. C’est toujours de la
rencontre personnelle avec le Christ que nous partons, pour conduire à
lui, avec sa grâce.
Dans son homélie à l’ouverture du
Conclave, le futur pape Benoît XVI, alors Doyen du Collège des
Cardinaux, nous mettait en garde, avec saint Paul dans sa Lettre aux
Éphésiens, contre « les vents de doctrine » contraires à la foi : «
Combien de vents de doctrine avons-nous connus ces dernières
décennies, combien de courants idéologiques, combien de modes de
penser... La petite barque de la pensée de nombreux chrétiens est
souvent agitée par ces vagues jetées d’un extrême à l’autre : du
marxisme au libéralisme, jusqu’au libertinisme ; du collectivisme à
l’individualisme radical ; de l’athéisme à un vague mysticisme
religieux ; de l’agnosticisme au syncrétisme etc. Tous les jours
naissent de nouvelles sectes et prend forme ce qu’avait dit saint Paul
"sur l’imposture des hommes et de leur astuce à fourvoyer dans
l’erreur". Avoir une foi claire, selon le Credo de l’Eglise, vient
souvent étiqueté comme fondamentalisme. Alors que le relativisme,
c’est à dire se laisser "emporter à tout vent de la doctrine",
apparaît la seule attitude à la hauteur du temps présent. Peu à peu se
construit une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme
définitif et qui laisse comme ultime mesure que son propre ego et ses
désirs. » Nous ne pouvons pas ignorer ces récifs de la cultura
adveniente, comme disent nos amis latino-américains : il s’agit dans
nos dialogues et à travers les activités de nos Centres, de déblayer
les chemins souvent ensablés, et parfois obstrués de la foi en suivant
la via veritatis tout autant que la via caritatis.
FORMER LE JUGEMENT, OUVRIR LES
HORIZONS.
7. Vous le savez : l’intérêt et le
soutien apportés par le Conseil Pontifical de la Culture aux Centres
culturels catholiques procèdent d’une conviction : la pénétration de
la foi dans les cultures de notre temps ne peut s’accomplir de manière
approfondie que de façon diversifiée. La société du début du IIIème
millénaire dispose de moyens techniques et intellectuels très
puissants, mais apparaît comme impuissante à susciter des
visionnaires, des hommes et des femmes capables de resituer le flot
des connaissances dans leurs contextes, et de distinguer l’information
du savoir, la curiosité de l’essentiel, l’éphémère de l’inaltérable.
Je recevais à Rome, voici quelques jours, le Commissaire de
l’Éducation et de la Culture de la Commission Européenne de l’Union
Européenne. Et je lui disais ma conviction d’un nécessaire retour à
l’idée fondatrice de ce formidable projet européen, la culture, si
bien comprise par les « pères » fondateurs : Robert Schuman, Alfred de
Gasperi et Konrad Adenauer. Sa réponse laconique était aussi subtile
que tragique : « Je ne vois pas de fils de Schuman en France »…
Jean-Paul II et, aujourd’hui, son digne successeur Benoît XVI sont la
voix singulière de l’Église, la seule à dire l’évidence : sans âme,
sans les valeurs transcendantes partagées dans leurs cultures, les
nations européennes ne sauraient s’unir dans un projet commun et
donner ainsi à l’Europe de répondre à sa vocation dans le monde. Si la
culture est l’âme d’un peuple, quelle sera cette âme de l’Europe ?
Si le continent est constitué par un ensemble de cultures, seul le
dialogue ouvert des cultures lui donnera de retrouver ses racines
communes… Elles ne sont autres que celles de l’Évangile, enracinées
dans la Bible, partagées avec tous les fils d’Abraham, en dialogue
constructif avec les héritiers de la philosophie des lumières, dont
récemment encore le Cardinal Joseph Ratzinger rappelait la
signification et les limites dans son intervention du 1er avril
dernier à Subiaco, à la veille de son entrée en Conclave .
Les Centres culturels catholiques
ont pour ambition de servir l’homme d’aujourd’hui dans sa vie
quotidienne, et de lui donner d’ouvrir son intelligence à la splendeur
de la vérité, une vérité exigeante, certes, parce qu’elle échappe aux
frontières de l’immédiat. Nous voulons, dans un dialogue fraternel,
offrir les critères du discernement, et nous savons pouvoir le faire
parce que le Christ nous communique une sagesse : il est lui-même
notre sagesse. Nous avons accès au trésor de l’Église, il s’est
enrichi au cours des siècles par les écrits d’une multitude d’hommes
et de femmes qui ont médité la Parole de Dieu et ont cherché à
l’insérer dans la culture de leur temps comme on insère le levain dans
la pâte. Les Centres culturels catholiques ne sont pas des générations
spontanées sans héritage ni partage : ils s’insèrent dans le vaste
mystère du corps mystique de l’Église, corps vivant dont les membres
sont unis et se nourrissent à la même table eucharistique. Deux
millénaires d’histoire de l’évangélisation sont notre commun héritage.
Si, comme j’aime à le répéter, la mémoire est l’espérance du futur,
sachons ancrer nos centres dans cet héritage qui fait notre fierté
et a depuis deux millénaires largement œuvré pour rendre le monde plus
fraternel et solidaire, en un mot plus humain pour tous ses habitants
dans la conviction que chacune et chacun a une valeur incommensurable,
parce que « à l’image et à la ressemblance de Dieu ».
LES CHANGEMENTS CULTURELS DE LA
MEDITERRANEE.
8. L’historien Gonzague de Reymond
parle de l’Homo Mediterraneus pour caractériser une manière d’être
homme, partagée par des peuples qui se côtoient tout au long de cette
mer. Beaucoup d’entre vous vivent dans des contextes culturels qui
sont encore relativement préservés de l’éclatement d’une société
mondialisée. Si les identités culturelles demeurent suffisamment
évidentes pour être lisibles, il n’en reste pas moins important d’être
attentifs et de porter un regard critique sur le vaste mouvement de
mondialisation auquel nous assistons avec, parfois, un tragique
sentiment d’impuissance. Je le disais à l’instant avec l’exemple de la
crise traversée par ce que certains appellent la nouvelle Europe :
si l’avenir des peuples ne se pose pas en termes de culture, d’avenir
il n’y en aura point, et nous répéterons les erreurs de l’ancienne
Union Soviétique. Nous serions alors condamnés à pleurer sur les
ruines de pays aux populations sans avenir.
Nous ne méconnaissons pas pour
autant la dimension positive de l’immense progrès des sciences et des
techniques : les changements rapides que nous vivons à un rythme
accéléré laissent entrevoir de nouveaux espoirs. Des dynamiques
inédites poussent vers un rapprochement des différents mondes, et en
ce qui nous concerne, des deux rives de la méditerranée et des
différentes nations européennes. Nous souhaitons que traverse la
mer et les frontières une « onde d’humanité » où le mal est rendu plus
difficile parce qu’immédiatement connu et le bien plus solide parce
que renforcé par la contribution d’un plus grand nombre de bonnes
volontés. En effet, l’immigration du sud vers le nord et de
l’est vers l’ouest provoque un changement rapide du visage de
l’Europe. Il s’agit d’un phénomène aux proportions gigantesques, qui
offre de grandes possibilités en matière de dialogue interculturel. Et
s’il apparaît parfois comme détenteur d’un dangereux potentiel de
déstabilisation, il nous appartient d’œuvrer pour que les intérêts
partisans soient étouffés dans l’œuf, et que la religion ne soit pas
détournée de ses fins comme instrument de revendications qui n’ont
rien à voir avec l’humble relation d’amour du croyant et de son Dieu,
du croyant et de son frère. Voici sans nul doute l’un des défis
majeurs pour nous tous au commencement du troisième millénaire. Et
nous devons aider nos frères des autres religions à en prendre
conscience. C’est sans nul doute l’un des défis les plus importants du
dialogue interculturel et interreligieux.
Ces conflits géopolitiques, je le
disais au début de mon propos, sont perçus et présentés, parfois et
bien à tort, comme un conflit de civilisations et, plus grave encore,
de religions, si bien que nombre de nos contemporains attribuent la
faute de ces tensions au dogmatisme des religions monothéistes. Les
Centres culturels catholiques peuvent faire beaucoup par leurs
propositions et leurs débats largement ouverts pour tordre le cou à
ces interprétations erronées et dangereuses. Le Cardinal Ratzinger le
disait clairement dans sa dernière intervention publique, sur L’Europe
dans la crise des cultures, la veille de la mort de Jean-Paul II, que
j’ai publiée dans le dernier numéro de la Revue du Conseil Pontifical
de la Culture : « La véritable opposition qui caractérise le monde
d’aujourd’hui n’est pas entre diverses cultures religieuses, mais
entre la radicale émancipation de l’homme, de Dieu, des racines de la
vie, d’une part, et les grandes cultures religieuses de l’autre »
. Nous savons tous les prises de position sans équivoque du pape
Jean-Paul II contre la guerre et contre le terrorisme, et ses
déclarations d’une netteté sans pareille stigmatisant le recours à la
religion pour les justifier, comme un blasphème contre Dieu et une
insulte à l’homme. C’est notre conviction : la haine, le fanatisme
religieux et le terrorisme profanent le nom de Dieu et défigurent
l’image authentique de l’homme.
LE SECULARISME, LA NON-CROYANCE
ET L’INDIFFERENCE RELIGIEUSE.
9. Ajoutons aussi que d’une autre
manière, le phénomène croissant du sécularisme sur la rive nord de la
méditerranée, contribue à alimenter de fortes tensions et à provoquer
de profonds changements sociaux. La marginalisation des religions dans
la vie publique, l’implosion du modèle traditionnel de la famille,
fondement millénaire du modèle de vie du Bassin méditerranéen, la
société de consommation et l’omniprésence de la technologie dans la
vie privée sont en train de provoquer, à une vitesse sidérante, ce que
certains pensent être un nouveau modèle de société et de culture, qui
pourrait même faire disparaître les modèles millénaires des cultures
méditerranéennes. Le phénomène de la non-croyance n’est pas étranger à
vos pays : nombre d’émigrés perdent la pratique de leur religion quand
ils séjournent en France, en Belgique ou ailleurs, et deviennent comme
indifférents à la sphère du spirituel. Il me semble de la plus haute
importance de réfléchir sur ce vaste phénomène de la non-croyance et
de l’indifférence religieuse, comme le Conseil Pontifical de la
Culture l’a fait avec ses membres et ses consulteurs à l’occasion de
sa dernière Assemblée plénière, en mars 2004.
Ce sont là, chers amis, de très
graves questions : les nouvelles migrations en cours et le
sécularisme galopant, contribueront-ils à un rapprochement des deux
rives de la méditerranée, ou ne deviendront-ils pas un facteur
aggravant de tensions et de divisions ?
LES TRAVAUX.
10. Je vais dans un instant donner
la parole à Monseigneur Coda qui nous entretiendra sur Les fondements
théologiques du dialogue. Le Pape Benoît XVI, dans son premier
message, au lendemain de son élection, a fortement affirmé son
engagement à poursuivre le dialogue de l’Église avec le monde de notre
temps : « Je n’épargnerai pas mes efforts ni mon dévouement pour
poursuivre le dialogue prometteur entamé par mes vénérés Prédécesseurs
avec les différentes civilisations, afin que de la compréhension
réciproque naissent les conditions d’un avenir meilleur pour tous ».
Cet engagement, c’est bien sûr le nôtre, à sa suite.
Ce dialogue, pour vous, – nous le
verrons cet après-midi – est dialogue culturel et dialogue
interreligieux. Il se situe dans des contextes de forte immigration
ou, à l’inverse, d’exode dramatique – je pense aux chrétiens du
Moyen-Orient. Il est souvent confronté à la tentation de la
non-croyance et au vaste phénomène de la sécularisation. Il rencontre
parfois les séquelles du communisme léniniste athée, ou d’autres
idéologies totalitaires.
Nous le verrons demain, nos Centres
veulent être une réponse efficace par la multiplicité de leurs
manières d’être présents et d’agir. Nous écouterons la présentation du
Vademecum des Centres culturels catholiques, conçu pour aider à leur
compréhension et faciliter leur multiplication. Enfin, nous nous
réunirons en Table ronde pour échanger sur nos actions, notre aptitude
à transmettre la foi, le service rendu à l’Église et aux populations.
Il me reste à nous souhaiter une
rencontre fructueuse, fraternelle et enrichissante. En renouvelant à
chacun et à chacune ma gratitude pour avoir répondu à l’invitation du
Conseil Pontifical de la Culture, je veux conclure en remerciant très
vivement le Directeur du Centre HKD Napredak et le Recteur du Grand
Séminaire pour votre précieuse collaboration, votre accueil généreux,
et votre disponibilité de tout instant pour le plein succès de cette
Rencontre.
Bon travail. Que le Seigneur nous
bénisse !
ZF05070808
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