Le Pr Bernard Debré, ancien
ministre, député de Paris, est, à l'hôpital Cochin, chef du service
d'urologie. Il publie «la Revanche du serpent ou la fin de l'homo
sapiens» *.
Bernard Debré pose sur la science un
regard d'humaniste.
(Photo R. Vialeron/Le Figaro.)
TEXTE ÉTABLI PAR PATRICE DE MÉRITENS
[29 octobre 2005]
Pourquoi, «la Revanche du
serpent» ? A cause de la «petite pomme», explique Bernard Debré, car
c'est le nom sous lequel les premiers anatomistes désignèrent
l'hypophyse dont l'ingestion détermine la maladie de Creutzfeldt-Jacob
! D'où cette originale réflexion sur la Bible : et si, dans cette
histoire de transgression, les choses étaient différentes de ce que
rapporte la tradition ? Et si, au lieu de prétendre éloigner l'homme
de la connaissance, la parabole du serpent entendait seulement le
dissuader d'exercer un pouvoir absolu sur lui-même, pouvoir qui, dans
toute société primitive, s'exprime d'abord par l'anthropophagie ? Loin
d'être un frein à la connaissance, la logique biblique introduit au
contraire une éthique de la responsabilité : elle pose que
certaines transgressions peuvent entraîner la disparition de l'homme
et d'autres, son salut. Traçant de troublants parallèles entre les
mythes et la science, l'auteur affirme que le progrès médical majeur
sera la généralisation du clonage thérapeutique - acquis aussi
essentiel que la conquête spatiale !
Trois mille ans après le
Décalogue, nous voici au seuil de la grande transgression, puisque,
techniquement, rien ne s'oppose plus, dans l'absolu, à ce que le
clonage remplace, demain ou après-demain, la reproduction naturelle...
Mais rien ne sert de s'opposer à l'irréversible : on n'empêche
valablement ce qu'on redoute qu'en proposant mieux ! Et de ce point de
vue, la science nous offre des ressources inespérées, via
l'autoréparation de nos organes défectueux par des cellules souches
prélevées sur notre propre organisme.
Les Britanniques ne s'y sont pas
trompés qui, dès juillet 2004, ont autorisé leurs chercheurs à cloner
des embryons humains de moins de quatorze jours en vue de produire des
cellules et bientôt des organes de rechange, à titre expérimental.
Aussitôt, les mythes de Faust (la jeunesse éternelle) et de
Frankenstein (l'homme recréé de toutes pièces) ont resurgi dans
l'imaginaire collectif, de même que l'éternel soupçon
d'irresponsabilité qui vient frapper les scientifiques lorsqu'ils
obtiennent qu'une loi prenne simplement acte de leur savoir-faire. Les
premiers résultats de ce clonage thérapeutique ont été annoncés en mai
2005.
Au moment précis où l'Autorité de
régulation de la bioéthique humaine britannique reconnaissait la
recherche sur l'embryon comme «indispensable à la science dans l'étude
et le traitement des maladies incurables», la France l'interdisait
solennellement... sous peine de sept ans de prison et de 100 000 euros
d'amende. Seule possibilité laissée aux chercheurs français : le droit
d'utiliser, «à titre dérogatoire» et jusqu'en 2009 seulement, les 100
000 embryons congelés surnuméraires, issus de fécondations in vitro...
Plus que jamais la recherche a
besoin, pour progresser, de travailler sur des embryons spécialement
créés pour elle, et ce, afin de percer l'ultime mystère de
l'embryogenèse : nous sommes encore hors d'état d'expliquer comment
une cellule passe de son état primordial, indifférencié, à son état
ultérieur de cellule spécialisée ; comment, par conséquent, se forment
le foie, le pancréas, les os, le sang à partir de cette cellule
souche...
Afin de déclencher le signal
nécessaire à la production d'un organe, il est donc plus que jamais
vital de travailler en amont sur l'embryon. Pour mieux se passer,
ensuite, de son utilisation. Une fois cette difficulté résolue,
toute la palette de l'immunologie pourrait ainsi être réunie dans
une banque d'organes. La banque de ses propres organes ! Une
solution miraculeuse quand on connaît le manque actuel de dons.
Rappelons qu'en 2004, plus de 6 000 personnes en France avaient besoin
d'une greffe et que 250 sont mortes dans l'attente d'une
transplantation. Plus besoin, dès lors, de files d'attente, encore
moins de traitements antirejets : le futur greffé des reins disposera
de son rein de rechange, celui du foie d'un foie dupliqué, etc. Mais
là ne s'arrête pas le miracle annoncé du clonage thérapeutique.
Au-delà des services rendus par les cellules embryonnaires, nous
sommes désormais certains que la plupart des organes adultes sont eux
aussi des réservoirs potentiels de cellules souches ! De là à prélever
une cellule indifférenciée - de peau, par exemple - directement sur le
malade, pour la faire repartir vers la fonction souhaitée, il n'y a
donc qu'un pas. Encore faut-il les identifier, puis apprendre à les
stimuler, pour qu'elles retrouvent la voie de la multiplication et
fabriquent tout ou partie de nous-mêmes.»
* La Revanche du serpent ou la fin
de l'homo sapiens, Editions du Cherche Midi. 175 p. 10 €. Sortie le 3
novembre