ROME, Lundi 19 décembre 2005 (ZENIT.org) – Historien,
spécialiste de l’étude des mentalités religieuses, Joachim Bouflet est
consultant auprès de postulateurs de la Congrégation de la cause des
saints. Il vient de publier aux éditions CLD un livre sur la sainteté
contemporaine intitulé : « Le Printemps de Dieu, les saints de la
génération Jean-Paul II » (Editions CLD, 500 pages, 22 euros). « La
sainteté, c’est être prêt pour Dieu, à tout moment », explique l’auteur
de ce livre de chevet très « tonique » qui fait découvrir 72 aventures
de jeunes.
Q - Vous quittez votre habituel domaine
d’investigation - les phénomènes mystiques et les apparitions - pour
proposer un livre tout à fait original « Le Printemps de Dieu » avec, en
sous-titre, « Les saints de la génération Jean-Paul II » …
JB - C’est la même démarche, puisqu’il s’agit de la
vie de l’Eglise, dont tous les aspects méritent d’être étudiés. Et j’ai
débuté par des biographies, la première étant celle d’Edith Stein, qui
constituent plus de la moitié de ma bibliographie. C’étaient des
monographies, là j’ai multiplié le plaisir.
Q - Cette fois, vous abordez un sujet
particulier, que l’on pourrait intituler jeunesse et sainteté.
JB - Je préférerais qu’on le regarde dans une optique
plus précise : la sainteté débute avec la jeunesse, elle s’épanouit dès
le jeune âge. C’est - du moins cela devrait être - la norme, les
conversions tardives constituant plutôt l’exception.
Q - Pouvez-vous préciser votre propos ?
JB - La sainteté est le développement normal de la
grâce baptismale, son éclosion, son épanouissement. On peut atteindre
déjà la sainteté durant sa jeunesse, et vivre très vieux, et de plus en
plus saint. On peut aussi être fauché en pleine jeunesse, et être déjà
saint. Je me suis attaché à ces derniers cas, parce qu’ils ont quelque
chose d’émouvant, de fragile, et en même temps de très grand.
D’exemplaire. Ces jeunes saints n’ont pas remis leur sanctification à
plus tard, ils ne se sont pas dit : « Je verrai cela demain, j’ai autre
chose à faire pour l’instant », comme c’est le cas bien souvent. Ils ne
cherchaient pas à se préparer, à plus ou moins long terme, ils étaient
prêts en permanence.
Q - Pour vous, la sainteté, c’est être prêt ?
JB - Exactement. La sainteté, c’est être prêt pour
Dieu, à tout moment. C’est la parabole des dix vierges (Mt 25, 1-10) :
l’époux peut venir à n’importe quel moment, par surprise, on a sa lampe
allumée, on est prêt à l’accueillir, même si quelques instants
auparavant on sommeillait ou si on faisait autre chose. On n’est pas
dans une attente fébrile, on est disponible à tout instant, dans toutes
les activités de la vie. Comme Louis de Gonzague - un autre jeune saint
- à qui on demandait, alors qu’il jouait au ballon : « Que feriez-vous
si vous saviez que vous allez mourir dans la minute ? » Il a répondu : «
Je continuerais à jouer. » Il était prêt, il n’avait pas besoin de se
préparer.
Q - Pourquoi ce titre : Le printemps de Dieu ?
JB - Parce que j’ai choisi 72 figures de jeunes
(j’aurais pu en mettre trois fois plus) dont le pape Jean-Paul II disait
qu’ils sont le printemps de l’Eglise, qu’ils sont l’avenir de l’Eglise.
Le printemps est la saison de l’espérance, du renouveau. Ces jeunes qui
nous ont précédés sont pour nous porteurs d’une espérance et
annonciateurs d’un renouveau, ils nous montrent la capacité qu’a
l’Eglise de se renouveler en permanence, sa vitalité, son dynamisme.
Q - Et le sous-titre : Les saints de la
génération Jean-Paul II ?
JB - J’ai choisi uniquement des jeunes saints du XXe
siècle, nés et morts au XXe siècle. Sur 72 noms, il y en a les 2/3 qui
sont contemporains de Jean-Paul II, nés comme lui en 1920, ou après lui.
Et il a béatifié deux femmes plus jeunes que lui. De plus, Jean-Paul II
avait une relation privilégiée avec la jeunesse, il a institué pour eux
les JMJ. Enfin, il a élevé de nombreux jeunes - une trentaine, sans
compter les martyrs - aux honneurs des autels, comme on dit : l’exemple
le plus remarquable est celui de Pier Giorgio Frassati. C’est infiniment
plus que ses prédécesseurs. Bien sûr, cela tient à ce qu’il est le pape
qui a le plus béatifié et canonisé, et cela a sans aucun doute une
signification. Mais il y a aussi un choix de sa part : les saints, plus
que jamais, sont des témoins. Le mérite de Jean-Paul II a été de nous
faire découvrir qu’il y a de jeunes témoins, qu’on peut témoigner à tout
âge…
Q - … et dans toutes les conditions de vie.
JB - En effet. Parmi les jeunes saints de Jean-Paul II,
tous les états de vie sont représentés : prêtres, religieux et
religieuses, laïcs consacrés, hommes et femmes mariés, étudiants,
ouvriers, paysans, jeunes en recherche de leur vocation etc. Tous ont en
commun - outre leur jeunesse - leur extraordinaire générosité pour Dieu
et pour les autres.
Q - Peut-on parler d’une « nouvelle sainteté » ?
JB - Sans aucun doute. C’est une sainteté selon des
critères nouveaux, voire originaux, et plus accessible : je dirais qu’il
s’agit là moins d’une sainteté de dévotion que d’une sainteté de
témoignage. On a là des saints dynamiques, inscrits dans la vie, dans le
réel : pas de rêveurs. Des saints qui ont une expérience humaine, qui
font des choix parfois douloureux : Rosario Livatino, Maria Felicia
Guggiari, Alphonse Lambe… Des saints qui sont des battants, voire des
lutteurs, et ce jusqu’au martyre, bien souvent.
Q - Le martyre est en quelque sorte omniprésent
?
JB - C’est inévitable. D’abord parce que le martyre
est la forme la plus haute de la sainteté : « Il n’y a pas de plus grand
amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Parce que le XXe
siècle est un siècle de martyrs, à cause des idéologies de mort
auxquelles les saints ont opposé leur témoignage, le témoignage de la
vie, de l’espérance, de l’amour plus fort que la mort. Parce qu’on a
défini d’autres formes de martyre, on en a élargi l’acception : martyrs
de la charité - le premier, défini comme tel, est saint Maximilien Kolbe
-, martyrs pour la justice, pour la dignité humaine etc.
Q - Quelles sont les caractéristiques de cette «
nouvelle sainteté » au XX° siècle ?
JB - On peut, me semble-t-il, noter en premier lieu
l’extraordinaire influence qu’exerce sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus
sur un grand nombre de ces jeunes saints : elle a bouleversé la notion
de sainteté, grâce à sa voie d’enfance spirituelle accessible à tous. Il
y a aussi - en Italie notamment - l’influence de l’Action catholique,
qui a été véritablement plasmatrice de saints. Celles des communautés
nouvelles tels les Focolari, le mouvement charismatique, la spiritualité
de Schönstatt, etc. Je crois que l’on peut souligner également un
renouveau de la piété mariale, une piété solide, débarrassée de tout
sentimentalisme réducteur. Et la dimension mystique de cette sainteté :
non pas les phénomènes, mais une soif d’absolu, une exigence de relation
personnelle, intime, avec Dieu, qui parfois débouche sur un contact avec
l’ineffable. Un contact vécu, fécond, se traduisant en apostolat, en
souci de l’autre, jusqu’au don de la vie : il y a une dimension mystique
du martyre très originale, que l’on a retrouvée. Des pages du
martyrologe du XXe siècle n’ont rien a envier aux Actes de martyrs des
premiers siècles.
Q - Quel est le « message » que vous voudriez
faire passer à travers ce livre ?
JB - Que la sainteté est l’affaire de tous. Que Dieu
respecte infiniment chacun de nous : il sait que les chemins de
conversion sont différents de l’un à l’autre, il respecte notre liberté,
nos conflits, nos choix. Il est patient, il est à l’écoute des
aspirations les plus profondes de chacun, il connaît bien nos limites,
nos frustrations, mais aussi notre générosité, notre bonne volonté, nos
enthousiasmes, et il les canalise, les panse, les élève. Il nous
responsabilise, nous apprend à dire Je, à nous personnaliser, à nous
autonomiser : chacun est aimé comme il est, pour ce qu’il est : « Le
cœur est regardé .» C’est ce qu’ont compris et vécu ces jeunes saints.
Q - Dernière question : quels sont, parmi les 72
que vous présentez, ceux qui vous touchent le plus, ceux que vous
préférez ?
JB - Mes préférés ? Claire de Castelbajac, parce que
je la connais bien, ayant travaillé à sa cause de béatification. Mais
j’avoue aussi être touché par Satoko. Peter ToRot. Livatino, Baladi,
Palatucci, Flores, Kapaun. Je suis très sensible au fait que cette
sainteté est vraiment mondiale, universelle. Je crois que c’est aussi un
point fort du livre, on quitte la sphère européenne, et même
occidentale, pour voir Dieu à l’œuvre partout, dans le respect des
singularités, des cultures. Mais tous, en fait, me sont chers, chacun a
sa grâce, ses faiblesses et ses richesses : Marie-Rose Ferron était
peut-être une fausse mystique (bien que je n’aime pas l’expression),
mais elle a accompli un authentique chemin de sainteté. Certains ne sont
pas très sympathiques a priori, ou vus de l’extérieurs, ils deviennent
très attachants dans leurs luttes, leurs fragilités, leur générosité.
Leur sainteté les rend non seulement imitables, mais véritablement
aimables.
ZF05121908