2005-12-02
Première prédication de l’Avent du père Cantalamessa au Vatican
La foi en Jésus Christ aujourd’hui et au début de l’Eglise
Très Saint-Père, je ressens le
besoin d’accomplir deux choses en cet instant : vous remercier pour la
confiance que vous m’avez accordée en me demandant de conserver ma
charge de Prédicateur de la Maison Pontificale et vous exprimer ma
plus totale obéissance et fidélité, comme successeur de Pierre.
Je crois que la plus belle façon de
saluer le début d’un nouveau pontificat est de rappeler à la mémoire
et de tenter de reproduire l’acte sur lequel le Christ a fondé le
primat de Pierre. Simon devient Képhas, Pierre, au moment où, grâce à
la révélation du Père, il professe sa foi dans l’origine divine de
Jésus. « Sur cette pierre – c’est ainsi que saint Augustin paraphrase
les paroles du Christ – je bâtirai la foi que tu as professée. Je
bâtirai mon Eglise sur le fait que tu as dit : « Tu es le Christ, le
Fils du Dieu vivant » (1).
J’ai pensé choisir « la foi en Jésus
Christ » comme thème de la prédication d’Avent. Dans cette première
méditation je voudrais tenter de définir la situation qui semble être
celle de notre société, dans le domaine de la foi en Jésus Christ et
le remède que la Parole de Dieu nous propose pour y faire face. Lors
des prochaines rencontres nous méditerons sur ce que nous dit
aujourd’hui la foi en Jésus Christ de Jean, de Paul, du Concile de
Nicée, et la foi vécue de Marie, sa mère.
1. Présence – absence du Christ
Quel rôle Jésus a-t-il dans notre
société et dans notre culture ? Je pense que l’on peut parler, à cet
égard, d’une présence-absence du Christ. A un certain niveau – celui
des mass media en général – Jésus Christ est très présent, il est même
une « superstar », si l’on en croit le titre d’une célèbre comédie
musicale sur lui. Dans une série interminable de récits, de films et
de livres, les écrivains manipulent la figure du Christ, utilisant
parfois le prétexte de nouveaux documents historiques fantomatiques
sur lui. Le Da Vinci Code est le dernier épisode, et le plus agressif,
de cette longue série. C’est désormais devenu une mode, un genre
littéraire. On spécule sur le grand retentissement du nom de Jésus et
sur ce qu’il représente pour une large partie de l’humanité pour
s’assurer une vaste publicité à bas prix. Et ceci est du parasitisme
littéraire.
Dans un certain sens on peut donc
dire que Jésus Christ est très présent dans notre culture. Mais si
nous considérons le domaine de la foi, auquel il appartient en premier
lieu, nous notons en revanche une absence inquiétante, voire même un
refus de sa personne.
D’abord au niveau théologique. Un
certain courant théologique soutient que le Christ ne serait pas venu
pour le salut des Juifs (auxquels il suffirait de rester fidèles à
l’Ancienne alliance), mais uniquement pour celui des gentils. Un autre
courant soutient qu’il ne serait pas nécessaire non plus pour le salut
des gentils, car ceux-ci ont, grâce à leur religion, un rapport direct
avec le Logos éternel, et n’ont donc pas besoin de passer par le Verbe
incarné et son mystère pascal. On finit par se demander pour qui le
Christ est encore nécessaire !
Ce que l’on observe dans la société
en général, y compris ceux qui se définissent comme des « croyants
chrétiens », est encore plus préoccupant. En quoi croient-ils en
réalité, ceux qui se définissent « croyants » en Europe et ailleurs ?
Ils croient, le plus souvent, à l’existence d’un Etre suprême, d’un
Créateur ; ils croient qu’il existe un « au-delà ». Mais il s’agit là
d’une foi déiste, et pas encore d’une foi chrétienne. Si l’on tient
compte de la fameuse distinction de Karl Barth, on parle là de
religion et pas encore de foi. Diverses enquêtes sociologiques
relèvent ce fait également dans des pays d’ancienne tradition
chrétienne, comme la région d’où je suis originaire, les Marches.
Jésus Christ est en pratique absent de ce type de religiosité.
Le dialogue entre science et foi, à
nouveau particulièrement d’actualité, conduit aussi, involontairement,
à mettre le Christ entre parenthèses. Il a en effet pour objet, Dieu,
le Créateur. La personne historique de Jésus de Nazareth n’y a aucune
place. Il se produit la même chose dans le dialogue avec la
philosophie qui préfère aborder les concepts métaphysiques que la
réalité historique.
Ce qui se passa dans l’Aréopage
d’Athènes à l’occasion de la prédication de Paul est en fait en train
de se répéter à l’échelle mondiale. Tant que l’Apôtre parlait du Dieu
« qui a fait le monde et tout ce qui s’y trouve » … les savants
athéniens l’écoutaient avec intérêt ; lorsqu’il commença à parler de
Jésus Christ « ressuscité d’entre les morts », ils répondirent par un
poli « nous t’entendrons là¬-dessus une autre fois » (Ac 17, 22-30).
Il suffit d’un simple coup d’oeil au
Nouveau Testament pour comprendre combien nous sommes loin, dans ce
cas, de la signification originelle du mot « foi » dans le Nouveau
Testament. Pour Paul, la foi qui justifie les pécheurs et confère
l’Esprit Saint (Ga 3, 2), en d’autres termes, la foi qui sauve, est la
foi en Jésus Christ, dans son mystère pascal de mort et de
résurrection. Pour Jean aussi, la foi « qui vainc le monde » est la
foi en Jésus Christ. « Quel est le vainqueur du monde sinon celui qui
croit que Jésus est le Fils de Dieu ? » (1 Jn 5, 4-5).
Face à cette nouvelle situation, la
première tâche pour nous est de faire, avant tout, un grand acte de
foi. « Gardez courage. Moi, j’ai bel et bien vaincu le monde » (Jn 16,
33), nous a dit Jésus. Il n’a pas seulement vaincu le monde de
l’époque mais le monde de toujours…. Il n’y a donc pas lieu d’avoir
peur ou de se résigner. Elles me font sourire les éternelles
prophéties sur la fin inévitable de l’Eglise et du christianisme dans
la société technologique de l’avenir. Nous avons, nous, une prophétie
bien plus crédible : « Ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne
passeront point » (Mt 24, 35).
Mais nous ne pouvons pas rester
inertes ; nous devons nous efforcer de répondre de manière appropriée
aux défis auxquels la foi dans le Christ est confrontée à notre
époque. Pour ré-évangéliser le monde post-chrétien, il est
indispensable, je crois, de connaître la voie suivie par les apôtres
pour évangéliser le monde pré-chrétien ! Il s’agit de deux situations
qui ont beaucoup de points communs. Et c’est ce que j’aimerais
maintenant essayer de mettre en lumière : comment se présente la
première évangélisation ? Quel chemin a suivi la foi dans le Christ
pour conquérir le monde ?
2. Kérygme et didaché
Tous les auteurs du Nouveau
Testament présupposent l’existence et la connaissance, de la part des
lecteurs, d’une tradition commune (paradosis) remontant au Jésus
terrestre. Cette tradition présente deux aspects, ou deux composantes
: une composante appelée « prédication », ou annonce (kérygme) qui
proclame ce que Dieu a opéré en Jésus de Nazareth, et une composante
appelée « enseignement » (didaché) qui présente des normes éthiques
pour une juste manière d’agir de la part des croyants (2). Diverses
épîtres de Paul reflètent cette répartition, car elles contiennent une
première partie kérygmatique, de laquelle découle une seconde partie à
caractère parénétique ou pratique.
La prédication, ou le kérygme, est
appelée l’« evangelo » (3) ; l’enseignement, ou didaché, est en
revanche appelé la « loi », ou le commandement, du Christ, qui se
résume dans la charité (4). De ces deux choses, la première – le
kérygme, ou évangile – est ce qui donne origine à l’Eglise ; la
deuxième – la loi, ou la charité – qui jaillit de la première, est ce
qui trace à l’Eglise un idéal de vie morale, qui « forme » la foi de
l’Eglise. En ce sens, l’Apôtre distingue son œuvre de « père » dans la
foi, à l’égard des Corinthiens, de celle des « pédagogues » venus
après lui. Il dit : « C’est moi qui, par l’Evangile, vous ai engendrés
dans le Christ Jésus » (1 Co 4, 15).
Par conséquent, la foi en tant que
telle, ne naît qu’en présence du kérygme, ou de l’annonce. « Et
comment croire – écrit l’Apôtre en parlant de la foi dans le Christ –
sans d’abord l’entendre ? Et comment entendre sans quelqu’un qui
proclame ? » (Rm 10, 14). Littéralement : « Sans quelqu’un qui
proclame le kérygme » (choris keryssontos). Et il conclut : « La foi
naît de ce qu’on entend dire et ce qu’on entend dire vient de la
parole du Christ » (Rm 10, 17), c’est-à-dire de « l’évangile » ou du
kérygme.
Dans le livre Introduction au
christianisme, le Saint-Père Benoît XVI, alors professeur de
théologie, a mis en évidence les profondes implications de cela. Il
écrit : « Dans la formule ‘la foi naît de l’écoute’…la distinction
fondamentale entre foi et philosophie est clairement mise en lumière…
Dans la foi il y a une priorité de la parole sur la pensée… Dans la
philosophie la pensée précède la parole ; celle-ci est donc un produit
de la réflexion, que l’on tente ensuite de traduire en paroles… La foi
en revanche aborde toujours l’homme de l’extérieur… il ne s’agit pas
d’un élément pensé par le sujet, mais qui lui a été dit, qui lui
arrive sous forme de ‘non pensé’ et de ‘non pensable’, en le mettant
directement en cause et en l’engageant » (5).
La foi vient donc de l’écoute de la
prédication. Mais quel est, exactement, l’objet de la « prédication »
? On sait que sur les lèvres de Jésus, la grande nouvelle qui sert de
toile de fond à ses paraboles et de laquelle sont issus tous ses
enseignements est : « Le Royaume de Dieu est venu jusqu’à vous ! »
Mais quel est le contenu de la prédication sur les lèvres des apôtres
? L’œuvre de Dieu en Jésus de Nazareth ! C’est vrai, mais il y a
quelque chose d’encore plus petit, qui est le noyau germinatif de tout
et qui, par rapport au reste, est comme le soc, cette espèce d’épée
placée devant la charrue qui fend la première le sol et permet à la
charrue de tracer le sillon et de retourner la terre.
Ce noyau plus restreint est
l’exclamation : « Jésus est le Seigneur ! »… Le mystère de cette
parole est tel que celle-ci ne peut être prononcée qu’« avec l’Esprit
Saint » ( 1 Co 12, 3). A elle seule elle donne accès au salut à celui
qui croit à sa résurrection : « En effet, si tes lèvres confessent que
Jésus est Seigneur et si ton cœur croit que Dieu l’a ressuscité
d’entre les morts, tu seras sauvé » (Rm 10, 9).
Comme le sillon d’un beau navire –
dirait Charles Péguy – s’élargit pour finir par disparaître et se
perdre, mais commence par une pointe qui est la pointe même du navire,
de même – j’ajouterais – la prédication de l’Eglise va s’élargissant,
jusqu’à constituer un immense édifice doctrinal, mais commence par une
pointe et cette pointe est le kérygme : « Jésus est le Seigneur ! »
L’exclamation : « Le Royaume de Dieu
est là ! », dans la prédication de Jésus, correspond donc, dans la
prédication des apôtres, à l’exclamation : « Jésus est le Seigneur ! »
Il n’y a toutefois aucune opposition, mais une continuité parfaite
entre Jésus qui prêche et le Christ prêché, car dire : « Jésus est le
Seigneur ! » est comme dire qu’en Jésus, crucifié et ressuscité, se
sont finalement réalisés le règne et la souveraineté de Dieu sur le
monde.
Nous devons nous mettre bien
d’accord pour ne pas tomber dans une reconstruction irréelle de la
prédication apostolique. Après la Pentecôte, les apôtres ne vont pas à
travers le monde en répétant toujours et uniquement : « Jésus est le
Seigneur ! ». Ce qu’ils faisaient, lorsqu’ils se retrouvaient dans la
situation de devoir annoncer pour la première fois la foi dans un
certain milieu, c’était plutôt aller droit au cœur de l’Evangile, en
proclamant deux faits : Jésus est mort – Jésus est ressuscité, et le
motif de ces deux faits : il est mort « pour nos péchés » ; il est
ressuscité « pour notre justification » (cf. 1 Co 15, 4 ; Rm 4, 25).
Dramatisant, Pierre dans les Actes des Apôtres ne fait que répéter à
ceux qui l’écoutent : « vous avez fait mourir Jésus de Nazareth, Dieu
l’a ressuscité, et l’a fait Seigneur et Christ » (6).
L’annonce : « Jésus est le Seigneur
! n’est donc que la conclusion, tantôt implicite tantôt explicite, de
cette brève histoire, racontée sous forme toujours vivante et
nouvelle, même si substantiellement identique, et, en même temps, ce
en quoi cette histoire se résume et devient agissante pour celui qui
l’écoute. Jésus Christ « s’est dépouillé… devenant obéissant jusqu’à
la mort à la mort sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a
souverainement élevé… afin que toute langue proclame que le Seigneur
c’est Jésus Christ » (Ph 2, 6-11).
La proclamation : « Jésus est le
Seigneur ! » ne constitue donc pas à elle seule, toute la prédication
mais elle en constitue d’une certaine manière, l’âme, elle est le
soleil qui l’éclaire. Elle établit une sorte de communion avec
l’histoire du Christ à travers « l’hostie » de la parole et fait
penser, par analogie, à la communion qui se réalise avec le corps du
Christ à travers l’hostie faite de pain dans l’Eucharistie.
Découvrir la foi c’est ouvrir les
yeux de manière inattendue et étonnée, à cette lumière. Evoquant à
nouveau le moment de sa conversion, Tertullien le décrit comme la
sortie du grand utérus sombre de l’ignorance, en tressaillant à la
lumière de la Vérité (7). C’était comme l’éclosion d’un monde nouveau
; la première épître de Pierre le définit comme un passage « des
ténèbres à son admirable lumière » (1 P 2, 9 ; Co 1, 12 ss.).
Le kérygme, comme l’a bien expliqué
l’exégète Heinrich Schlier, a un caractère assertif et autoritaire, et
non discursif ou dialectique, c’est-à-dire qu’il n’a pas besoin de se
justifier avec des raisonnements philosophiques ou apologétiques : on
l’accepte ou on ne l’accepte pas. Il ne s’agit pas de quelque chose
dont on peut disposer, car c’est lui qui dispose de tout ; il ne peut
être fondé par quelqu’un, car c’est Dieu lui-même qui le fonde et
c’est lui qui constitue ensuite le fondement de l’existence. (8)
Au IIe siècle le [philosophe] païen
Celse, écrit en effet indigné : « Les chrétiens se comportent comme
ceux qui croient sans raison. Certains d’entre eux ne veulent même pas
donner ou recevoir une raison autour de ce auquel ils croient et
utilisent des formules comme celles-ci : ‘Ne discute pas mais crois ;
la foi te sauvera. La sagesse de ce siècle est un mal et l’insanité
est un bien » (9).
Celse (qui nous apparaît ici
extraordinairement proche des partisans modernes de la pensée faible)
voudrait en somme que les chrétiens présentent leur foi de manière
dialectique, c’est-à-dire en la soumettant en tout et pour tout à la
recherche et à la discussion, afin que celle-ci puisse entrer dans le
cadre général, acceptable y compris sur le plan philosophique, d’un
effort d’auto-compréhension de l’homme et du monde qui restera
toujours provisoire et ouverte.
Naturellement, le refus des
chrétiens de donner des preuves et d’accepter des discussions ne
concernait pas l’ensemble de l’itinéraire de la foi, mais uniquement
son début. Les chrétiens ne fuyaient pas, même à cette époque, la
confrontation et le fait de « donner raison de leur espérance »
également aux Grecs (cf. 1 P 3, 15). (…) Ils pensaient seulement que
la foi elle-même ne pouvait pas naître de cette confrontation, mais
devait la précéder comme œuvre de l’Esprit et non de la raison. La
confrontation pouvait, tout au plus, la préparer et, une fois
accueillie, en montrer la « justesse ».
A l’origine, le kérygme se
distinguait, nous l’avons vu, de l’enseignement (didaché), comme de la
catéchèse. Ces derniers tendent à former la foi, ou a en préserver la
pureté, alors que le kérygme tend à la susciter. Il a pour ainsi dire,
un caractère explosif, ou germinatif ; il ressemble davantage à la
graine qui fait naître l’arbre, qu’au fruit mûr au sommet de l’arbre
qui, dans le christianisme est plutôt constitué par la charité. Le
kérygme n’est absolument pas obtenu en concentrant ou en résumant,
comme s’il était le cœur de la tradition ; il est à part, ou mieux, au
tout début. C’est de là que se développe tout le reste, y compris les
quatre Evangiles.
Sur ce point il y a eu une évolution
due à la situation générale de l’Eglise. Dans la mesure où l’on va
vers un régime chrétien, dans lequel tout ce qui nous entoure est
chrétien, ou se considère chrétien, on ressent moins l’importance du
choix initial par lequel on devient chrétien, d’autant plus que le
baptême est désormais administré normalement aux enfants, qui ne sont
pas en mesure de faire un tel choix. Ce qui est le plus accentué, de
la foi, ce n’est pas tant le moment initial, le miracle de découvrir
la foi, que l’exhaustivité et l’orthodoxie des contenus de la foi
elle-même.
3. Redécouvrir le kérygme
Cette situation a aujourd’hui une
forte influence sur l’évangélisation. Les Eglises possédant une forte
tradition dogmatique et théologique (comme l’Eglise catholique, par
excellence), risquent de se trouver désavantagées, si en dessous de
l’immense patrimoine de doctrine, de lois et d’institutions, elles ne
retrouvent pas ce noyau primordial capable de susciter en lui-même la
foi.
Se présenter à l’homme
d’aujourd’hui, qui souvent ne connaît pas le Christ, avec l’ampleur de
cette doctrine, c’est comme mettre l’une de ces lourdes chapes de
brocart que l’on utilisait jadis, sur les épaules d’un enfant. Nous
sommes davantage préparés, par notre passé, à être des « pasteurs »
qu’à être des « pêcheurs » d’hommes ; c’est-à-dire que nous sommes
mieux préparés à nourrir les personnes qui viennent à l’église, qu’à
porter de nouvelles personnes à l’église, ou repêcher celles qui se
sont éloignées et vivent en marge de l’Eglise.
Et ceci est une des causes pour
lesquelles, dans certaines parties du monde, tant de catholiques
abandonnent l’Eglise catholique pour d’autres réalités chrétiennes ;
ils sont attirés par une annonce simple et efficace qui les met
directement en contact avec le Christ et leur fait expérimenter la
puissance de son Esprit.
Il faut certes se réjouir du fait
que ces personnes aient retrouvé une foi vécue, mais c’est triste
qu’elles aient abandonné l’Eglise pour cela. Avec tout le respect et
l’estime que nous devons avoir pour ces communautés chrétiennes qui ne
sont pas toutes des sectes (avec certaines d’entre elles l’Eglise
catholique entretient depuis des années un dialogue œcuménique, ce
qu’elle ne ferait certes pas avec des sectes !), il faut reconnaître
que celles-ci n’ont pas les moyens que possède l’Eglise catholique
pour conduire les personnes à la perfection de la vie chrétienne.
Pour nombre d’entre eux tout
continue à tourner, du début à la fin, autour de la première
conversion, ce que l’on appelle la nouvelle naissance, alors que pour
nous catholiques cela est seulement le début de la vie chrétienne.
Après, doivent venir la catéchèse et le progrès spirituel qui passe à
travers le renoncement de soi, la nuit de la foi, la croix, jusqu’à la
résurrection. L’Eglise catholique possède une spiritualité extrêmement
riche, un nombre incalculable de saints, le magistère et surtout les
sacrements.
Il faut donc que l’annonce
fondamentale, une fois au moins, nous soit proposée, claire et de
manière essentielle, non seulement aux catéchumènes, mais à tous,
puisque la majorité des croyants d’aujourd’hui n’est pas passée à
travers le catéchuménat. Certains des nouveaux mouvements ecclésiaux
constituent aujourd’hui une grâce pour l’Eglise précisément parce
qu’ils sont le lieu où des adultes ont finalement l’occasion d’écouter
le kérygme, de renouveler leur propre baptême, de choisir en
conscience le Christ comme Seigneur et sauveur personnel et de
s’engager activement dans la vie de leur Eglise.
La proclamation de Jésus comme
Seigneur devrait trouver sa place d’honneur dans tous les moments
forts de la vie chrétienne. Les occasions les plus propices sont
peut-être les funérailles parce que face à la mort l’homme
s’interroge, a le cœur ouvert, est moins distrait qu’en d’autres
occasions. Le kérygme chrétien est le seul à pouvoir donner à l’homme
une parole à la hauteur de la question de la mort.
Le kérygme retentit, il est vrai, au
moment le plus solennel de chaque Messe : « Nous proclamons ta mort,
Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta
venue dans la gloire ». Mais, isolée, celle-ci demeure une simple
forme d’acclamation. Il a été dit que « les évangiles sont des récits
de la passion précédés d’une longue introduction » (M. Köhler). Mais,
étrangement, la partie originelle et la plus importante de l’Evangile
est celle qui est la moins lue et la moins écoutée au cours de
l’année. On ne lit la Passion du Christ à l’église, en aucun jour de
fête avec grande affluence de fidèles, excepté le Dimanche des Rameaux
où, du fait de la longueur de la lecture et de la solennité des rites,
il n’y a plus le temps de prononcer une homélie consistante.
Maintenant qu’il n’existe plus de
missions populaires comme autrefois, il est possible qu’un chrétien
n’entende jamais, au cours de sa vie, une prédication sur la passion.
Et pourtant, c’est précisément cette prédication qui en général ouvre
les cœurs endurcis. Nous en avons eu la démonstration à l’occasion de
la projection du film de Mel Gibson « La passion du Christ ». Il y a
eu des cas de détenus qui avaient toujours nié être coupables, et qui
après avoir vu ce film ont spontanément confessé leur délit.
4. Choisir Jésus comme Seigneur
Nous sommes partis de la question :
« Quelle place occupe le Christ dans la société d’aujourd’hui ? » mais
nous ne pouvons pas conclure sans nous poser la question la plus
importante dans un contexte comme celui-ci : « Quelle place occupe le
Christ dans ma vie ? » Rappelons-nous du dialogue de Jésus avec les
apôtres à Césarée de Philippe : « Au dire des gens, qu’est le Fils de
l’homme ?... Mais pour vous, qui suis-je ? (Mt 16, 13-15). Le plus
important pour Jésus ne semble pas être ce que pense de lui les gens,
mais ce que pensent de lui ses disciples les plus proches.
J’ai évoqué ci-dessus la raison
objective qui explique l’importance de la proclamation du Christ comme
Seigneur dans le Nouveau Testament : celle-ci rend les événements
salvifiques dont elle fait mémoire, présents et agissants. Il existe
cependant aussi une raison subjective, et existentielle. Dire « Jésus
est le Seigneur » signifie prendre une décision de fait. C’est comme
dire : Jésus Christ est « mon » Seigneur ; je lui reconnais tout droit
sur moi, je lui cède les rênes de ma vie ; je ne veux plus vivre «
pour moi-même », mais « pour lui, qui est mort et ressuscité pour moi
» (cf. 2 Co 5, 15).
Proclamer Jésus comme son propre
Seigneur, signifie lui soumettre tout notre être, faire pénétrer
l’évangile dans tout ce que nous faisons. Cela signifie, pour
reprendre une phrase du vénéré Jean-Paul II, « ouvrir, ouvrir toutes
grandes les portes au Christ ».
Il m’est arrivé d’être reçu dans des
familles et j’ai vu ce qui se passe lorsque l’on sonne à la porte et
qu’une visite inattendue est annoncée. La maîtresse de maison
s’empresse de fermer les portes des chambres en désordre, avec le lit
qui n’est pas fait, afin de conduire l’hôte dans la pièce la plus
accueillante. Avec Jésus, il faut faire tout le contraire : ouvrir
précisément « les pièces en désordre » de la vie, surtout la pièce
chargée des intentions… pour qui travaillons-nous et pour quoi le
faisons-nous ? Pour nous-mêmes ou pour le Christ, pour notre gloire ou
pour celle du Christ ? En cette période d’Avent, c’est la meilleure
manière de préparer un berceau accueillant pour le Christ qui vient à
Noël.
NOTES
1. S. Augustin, Sermo 295, 1 (PL
38,1349).
2. Cf. C. H. Dodd, Storia ed
Evangelo, Brescia, Paideia, 1976, pp. 42 ss.
3. Cf., par exemple, Mc 1, 1; Rm 15,
19; Ga 1, 7.
4. Cf. Ga 6, 2; 1 Co 7, 25; Jn 15,
12; 1 Jn 4, 21.
5. J. Ratzinger, Introduzione al
cristianesimo, Brescia, Queriniana, 1969, pp. 56 s.
6. Cf. Ac 2, 22-36; 3, 14-19; 10,
39-42.
7. Tertullien, Apologeticum, 39, 9:
“ad lucem expa¬vescentes véritatis” .
8. H. Schlier, Kerygma e sophia, in
Il tempo della Chiesa, Bologna 1968, pp. 330-372.
9. In Origene, Contra Celsum, I, 9.
[Texte original : italien –
Traduction réalisée par Zenit]
ROME, Vendredi 9 décembre 2005
(ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la deuxième
prédication de l’Avent prononcée ce vendredi au Vatican, en présence du
pape et de ses collaborateurs de la curie romaine, par le prédicateur de
la Maison Pontificale, le père Raniero Cantalamessa, OFMCap.
Deuxième prédication de l’Avent à la
Maison Pontificale
« Est-ce que tu crois ? »
La divinité du Christ dans l’évangile
de Jean
1. « Si vous ne croyez pas que Moi, Je
Suis… »
Un jour, je célébrais la messe dans un
monastère de clôture. C’était le temps pascal. L’évangile était un
passage de Jean dans lequel Jésus répète à plusieurs reprises son « Je
suis » : « Si vous ne croyez pas que Moi, Je Suis, vous mourrez dans vos
péchés… Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous saurez que
moi Je Suis… Avant qu’Abraham existât, Je Suis » (Jn 8, 24.28.58).
Le fait que les mots « Je Suis »
commencent tous deux par une majuscule – contrairement à toute règle
grammaticale – en plus certainement de quelque autre cause plus
mystérieuse, a fait jaillir une étincelle. Ces mots se sont illuminés en
moi. Ce n’était plus seulement le Christ d’il y a 2000 ans qui le
prononçait, mais le Christ ressuscité et vivant qui proclamait de
nouveau, à ce moment, devant nous, son Ego Eimi, « Je Suis ! ». Ces mots
prenaient une résonance cosmique. Ce n’était qu’une simple émotion de
foi, mais de ces émotions qui, une fois passées, laissent dans le cœur
un souvenir ineffaçable.
J’ai commencé par ce souvenir
personnel car le thème de cette méditation est la foi en Jésus Christ
dans l’Evangile de Jean, et le « Je Suis » du Christ est la plus haute
expression de cette foi. Les commentaires modernes sur le quatrième
évangile sont unanimes : ils voient tous dans ces paroles de Jésus une
allusion au nom divin, tel que celui-ci se présente, par exemple dans
Isaïe 43, 10 : « Afin que vous le sachiez, que vous croyiez en moi et
que vous compreniez que c’est moi ».
Saint Augustin mettait cette parole de
Jésus en relation avec la révélation du nom divin dans Exode 3, 14, et
concluait en disant : « Il me semble que le Seigneur Jésus Christ, en
disant : ‘Si vous ne croyez pas que Je Suis’, a tout simplement voulu
dire ceci : ‘Oui, si vous ne croyez pas que je suis Dieu, vous mourrez
dans vos péchés » (1).
On pourrait répondre que ce sont les
paroles de Jean, que ce sont des développements tardifs de la foi, et
pas des paroles prononcées par Jésus. Mais la question est précisément
là. Ce sont bel et bien des paroles de Jésus ; certainement de Jésus
ressuscité qui vit et parle désormais « dans l’Esprit », mais toujours
de Jésus, le Jésus de Nazareth.
On a aujourd’hui l’habitude de
distinguer les paroles « authentiques » de Jésus dans l’évangile, et les
paroles « non authentiques », c’est-à-dire de distinguer les paroles
prononcées vraiment par lui au cours de sa vie et les paroles qui lui
ont été attribuées par les apôtres, après sa mort. Mais cette
distinction est très ambiguë et n’est pas valable dans le cas du Christ,
comme dans le cas d’un auteur humain commun.
Il ne s’agit pas, bien évidemment de
mettre en doute le caractère pleinement humain et historique des écrits
du Nouveau Testament, la diversité des genres littéraires et des «
formes », et encore moins de revenir à l’idée ancienne de l’inspiration
verbale et presque mécanique de l’Ecriture. Il s’agit seulement de
savoir si l’inspiration biblique a encore un sens pour les chrétiens, ou
non ; si, lorsqu’à la fin d’une lecture biblique nous proclamons : «
Parole du Seigneur ! », nous croyons ou non à ce que nous disons ».
2. « L’œuvre de Dieu est croire en
celui qu’il a envoyé »
Le Christ est l’objet spécifique et
premier de la foi selon Jean. « Croire », sans autre spécification,
signifie désormais croire au Christ. Cela peut également signifier
croire en Dieu, au Dieu qui a envoyé son Fils dans le monde. Jésus
s’adresse à des personnes qui croient déjà au vrai Dieu ; toute son
insistance sur la foi concerne désormais cette chose nouvelle qui est sa
venue dans le monde, le fait de parler au nom de Dieu. En un mot, le
fait qu’il soit le Fils unique de Dieu, « une seule chose avec le Père
».
Jean a fait de la divinité du Christ
et de sa filiation divine le but premier de son évangile, le thème qui
unifie tout. Il conclut son évangile en disant : « Ceux-là [signes] ont
été mis par écrit, pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le
Fils de Dieu, et pour qu’en croyant vous ayez la vie en son nom » (Jn
20, 31) ; et conclut sa première épître avec des mots presque identiques
: « Je vous ai écrit ces choses, à vous qui croyez au nom du Fils de
Dieu, pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle » (1Jn 5,
13).
Si l’on survole rapidement le
Quatrième évangile on se rend compte que la foi dans l’origine divine du
Christ en constitue à la fois l’intrigue et la trame. Croire en celui
que le Père a envoyé est vu comme « l’œuvre de Dieu », ce qui plaît le
plus à Dieu (cf. Jn 6, 29). Ne pas le croire est vu, en conséquence,
comme « le péché » par excellence : Le consolateur « établira la
culpabilité du monde en fait de péché » et le péché est de ne pas avoir
cru en lui (Jn 16, 8-9). Jésus demande pour lui le type de foi que l’on
demandait pour Dieu dans l’Ancien Testament : « Croyez en Dieu, croyez
aussi en moi » (Jn 14, 1).
Même après sa disparition, la foi en
lui restera la grande ligne de séparation au sein de l’humanité : il y
aura d’une part ceux qui croiront, même sans avoir vu (cf. Jn 20, 29),
de l’autre, le monde qui refusera de croire. Face à cette distinction,
toutes les autres, connues auparavant, y compris la distinction entre
juifs et gentils, passeront au deuxième plan.
On reste stupéfait devant l’entreprise
que l’Esprit de Jésus a permis à Jean de mener à terme. Il a embrassé
les thèmes, les symboles, les attentes, tout ce qu’il y avait de vivant
sur le plan religieux, aussi bien dans le monde juif que dans le monde
grec, faisant concourir tout cela vers une idée unique, mieux encore une
personne unique : Jésus Christ Fils de Dieu, sauveur du monde.
En lisant les livres de certains
savants, issus de « l’Ecole d’histoire comparée des religions », on
pourrait penser que le mystère chrétien présenté par Jean ne se
différentie que par peu de chose, du mythe religieux gnostique et
mandéen, ou de la philosophie religieuse hellénistique et hermétique.
Les contours s’estompent, les parallélismes se multiplient. La foi
chrétienne devient une variante de cette mythologie changeante et de
cette religiosité diffuse.
Mais que signifie cela ? Cela signifie
seulement qu’elle fait abstraction de la chose essentielle : de la vie
et de la force historique qui se cachent derrière les systèmes et les
représentations. Les personnes vivantes sont différentes les unes des
autres mais les squelettes se ressemblent tous. Une fois réduit à l’état
de squelette, isolé de la vie qu’il a engendrée, c’est-à-dire de
l’Eglise et des saints, le message chrétien risque toujours de se
confondre avec d’autres propositions religieuses, alors qu’il est «
unique ».
Jean ne nous a pas transmis un
ensemble de doctrines religieuses anciennes, mais un puissant kérygme.
Il a appris la langue des hommes de son temps, pour crier dans cette
langue, de toutes ses forces, l’unique vérité qui sauve, la Parole par
excellence, « le Verbe ».
Une telle entreprise ne se réalise pas
derrière un bureau. La synthèse de la foi dans le Christ de Jean s’est
comme « embrasée », sous l’influence de cette « onction » de l’Esprit
Saint qui enseigne toute chose, dont lui-même parle, certainement par
expérience personnelle, dans la première épître (cf. 1 Jn 2, 20.27). Et
justement, à cause de cette origine, ce n’est pas en restant derrière un
bureau avec quatre ou cinq dictionnaires ouverts devant soi, que l’on
comprend, même aujourd’hui, l’évangile de Jean.
Seule une certitude révélée, derrière
laquelle se cache la force même de Dieu, pouvait se déployer dans un
livre avec une telle insistance et une telle cohérence, en arrivant
toujours à la même conclusion, même si elle part de mille points
différents : Jésus de Nazareth est le Fils de Dieu et le sauveur du
monde.
3. Heureux celui qui ne « se
scandalise » pas de moi
La divinité du Christ est le plus haut
sommet, l’Everest, de la foi. C’est beaucoup plus difficile que de
croire simplement en Dieu. Cette difficulté est liée à la possibilité et
même l’inévitabilité du « scandale » : Heureux celui qui ne se
scandalise pas de moi ! [trad. Littérale de l’italien, ndlr], (cf. Mt
11, 6), dit Jésus. Le scandale vient du fait que celui qui se proclame «
Dieu » est un homme de qui on sait tout : « Mais lui, nous savons d’où
il est », disent les pharisiens (Jn 7, 27).
La possibilité du scandale devait être
spécialement forte pour un jeune juif tel que l’auteur du quatrième
évangile, habitué à penser à Dieu comme au trois fois Saint, celui que
l’on ne peut voir tout en restant en vie. Mais l’opposition entre
l’universalité du Logos et la contingence de l’homme Jésus de Nazareth
semblait extrêmement évidente même pour la mentalité philosophique de
l’époque. « Fils de Dieu – s’exclamait Celse – un homme qui a vécu il y
a quelques années ? Un homme d’hier ou d’avant-hier ? », un homme « né
dans un village de Judée, d’une pauvre fileuse ? » (2). Cette réaction
scandalisée est la preuve la plus claire que la foi dans la divinité du
Christ n’est pas le fruit de l’hellénisation du christianisme mais tout
au plus de la christianisation de l’hellénisme.
On lit à ce propos des observations
éclairantes dans l’Introduction au christianisme de l’actuel Souverain
Pontife : « Avec le deuxième article du ‘Credo’ nous sommes devant le
vrai scandale du christianisme. Celui-ci est constitué par la confession
que l’homme-Jésus, un individu exécuté vers l’an 30 en Palestine, soit
le ‘Christ’ (l’oint, l’élu) de Dieu, et qui plus est, le Fils même de
Dieu, et donc le centre focal, le point d’appui déterminant de toute
l’histoire humaine… Pouvons-nous vraiment nous permettre de nous
cramponner à la tige fragile d’un seul événement historique ?
Pouvons-nous courir le risque de confier toute notre existence, et même
toute l’histoire, à ce fil de paille d’un événement quelconque, flottant
dans l’immense océan des vicissitudes cosmiques ? (3).
On sait combien cette idée, déjà en
soi inacceptable pour la pensée antique et la pensée asiatique,
rencontre de résistance dans le contexte actuel du dialogue
interreligieux. « Un événement particulier – fait-on observer – limité
dans le temps et dans l’espace, comme l’est la personne historique du
Christ, ne peut épuiser les infinies potentialités de salut de Dieu et
de son Verbe ». On doit par conséquent admettre des voies de salut
différentes, indépendantes du Christ historique, voire même du Verbe
éternel de Dieu.
La raison peut nous aider à fournir
une première réponse à cette objection. S’il est vrai, en effet,
qu’aucun événement particulier ne peut épuiser, à lui seul, les
potentialités infinies de salut de Dieu et de son Verbe éternel, il est
également vrai que celui-ci peut réaliser, à partir de ces
potentialités, ce qui suffit pour le salut du monde, le monde étant
lui-même fini !
Mais en dernière analyse, seule la foi
permet de dépasser le scandale. Les preuves historiques de la divinité
du Christ et du christianisme ne suffisent pas pour éliminer le
scandale. On ne peut croire vraiment – a écrit Kierkegaard – qu’en
situation de contemporanéité, c’est-à-dire en se faisant contemporains
du Christ et des apôtres. Mais l’histoire, le passé, ne nous aident pas
à croire ? Le Christ n’a-t-il pas vécu il y a 2000 ans maintenant ? Son
nom n’est-il pas annoncé, ne croit-on pas en lui, dans le monde entier ?
Sa doctrine n’a-t-elle pas changé la face de la terre, n’a-t-elle pas
pénétré de manière victorieuse dans tous les milieux ? Et l’histoire
n’a-t-elle pas montré de manière plus que suffisante qu’il était Dieu ?
Non, répond ce même philosophe,
l’histoire ne pourrait faire cela dans toute l’éternité ! Il est
impossible de conclure, des résultats d’une vie humaine comme celle de
Jésus, en disant : Donc, cet homme était Dieu ! Des empreintes sur un
chemin sont la conséquence du fait que quelqu’un est passé par là. Je
pourrais me tromper en pensant par exemple qu’il s’agit d’un oiseau. En
examinant plus attentivement je pourrais conclure qu’il ne s’agit pas
d’un oiseau, mais d’un autre animal. Mais je ne peux pas, indépendamment
de la qualité de mon examen, parvenir à la conclusion qu’il ne s’agit ni
d’un oiseau ni d’un autre animal, mais d’un esprit, car un esprit, de
par sa nature, ne peut laisser de traces sur la route.
De même, nous ne pouvons conclure que
le Christ est Dieu, en considérant simplement ce que nous connaissons de
lui et de sa vie, c’est-à-dire à travers l’observation directe. Celui
qui veut croire au Christ est obligé de devenir son contemporain dans
l’abaissement, en écoutant le « témoignage intérieur » que l’Esprit
Saint nous donne sur lui.
En tant que catholiques nous avons
quelques réserves à émettre à cette manière de poser le problème de la
divinité du Christ. Il manque la nécessaire mise en évidence de la
résurrection du Christ, et pas seulement de son abaissement, et l’on ne
tient pas suffisamment compte du témoignage extérieur des apôtres, en
plus du « témoignage intérieur de l’Esprit Saint ». Il y a là un élément
important de vérité dont nous devons tenir compte pour rendre notre foi
toujours plus authentique et personnelle.
Saint Paul dit que « la foi du coeur
obtient la justice, et la confession des lèvres, le salut » (Rm 10, 10).
Le deuxième moment, la profession de foi, est important, mais s’il n’est
pas accompagné de ce premier moment qui se déroule dans les profondeurs
cachées du cœur, celle-ci est vaine et vide. « C’est des racines du cœur
que jaillit la foi », s’exclame saint Augustin (4) en paraphrasant le
corde creditur de saint Paul, c’est avec le cœur que l’on croit.
La dimension sociale et communautaire
est certainement essentielle à la foi chrétienne, mais celle-ci doit
être le résultat de tant d’actes de foi personnels, si l’on ne veut pas
d’une foi purement conventionnelle et fictive.
4. « Je suis le chemin, la vérité et
la vie »
Cette foi « du cœur » est le fruit
d’une onction spéciale de l’Esprit. Lorsque l’on se trouve sous cette
onction la foi devient une sorte de connaissance, de vision,
d’illumination intérieure : « Nous, nous croyons et nous avons reconnu
que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6, 69) ; « Nous avons contemplé le
Verbe de vie » (cf. 1Jn 1, 1). Ecoute Jésus affirmer : « Je suis le
Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père sinon par moi » (Jn
14, 6), et prends conscience, profondément, de tout ton être, que ce que
tu entends est vrai.
J’ai découvert récemment un cas
impressionnant de cette illumination de foi survenue précisément grâce à
cette parole de Jésus transmise par Jean. J’ai rencontré à Milan un
artiste d’origine suisse qui avait établi des relations d’amitié avec
les personnalités de la philosophie et de l’art les plus en vue de son
époque et organisé des expositions personnelles de peinture en
différents endroits du monde. (L’une de ses œuvres fut exposée et
achetée par le Vatican à l’occasion des 80 ans de Paul VI).
Sa recherche passionnée dans le
domaine religieux l’avait conduit à adhérer au bouddhisme et à
l’hindouisme. Après de longs séjours au Tibet, en Inde, au Japon, il
était devenu un maître dans ces disciplines. A Milan, une foule de
professionnels et d’hommes de la culture avaient recours à lui pour une
direction spirituelle et pratiquaient avec lui la méditation
transcendantale et le yoga.
Son retour à la foi en Jésus Christ
m’apparut soudain comme un témoignage extraordinairement actuel et j’ai
longuement insisté pour qu’il l’écrive. Je viens de recevoir son
manuscrit et je voudrais vous en lire un court extrait. Cela aide, entre
autres, à comprendre ce que Saul a dû éprouver sur le chemin de Damas,
face à la lumière qui anéantissait subitement tout son monde intérieur
et le remplaçait par un autre :
J’étais seul, dans un bois touffu,
lorsque se produisit cette révolution intérieure qui changea toute la
structure pensante de mon intelligence. Je connaissais les paroles du
Christ : « Je suis le chemin, la vérité et la vie et nul ne vient au
Père sinon par moi ». Mais, dans le passé, je les avais trouvé quelque
peu présomptueuses. Ces paroles frappaient maintenant au plus profond de
moi. Après trente cinq ans de bouddhisme, hindouisme et taoïsme, j’étais
attiré par « ce Dieu ». Il y avait cependant en moi la présence d’un
profond refus de tout ce qui concernait le christianisme. Peu à peu je
sentis une étrange sensation m’envahir, une sensation complètement
nouvelle, comme je ne l’avais jamais ressenti auparavant. Je perçus la
présence de Quelqu’un de qui émanait une puissance extraordinaire.
Ces paroles du Christ étaient une
obsession. Elles devenaient un cauchemar. Je résistais mais le son
intérieur s’amplifiait et revenait comme un écho dans ma conscience.
J’étais au bord de la crise. Je perdais le contrôle de mon esprit et
après trente ans de méditation du sens profond, ceci était pour moi
inconcevable. « Oui, c’est vrai, tu as raison, criais-je, c’est vrai,
c’est vrai, mais arrête, je t’en prie, je t’en prie ». Je croyais mourir
de l’impossibilité de sortir de cette épouvantable situation. Je ne
voyais plus les arbres, je n’entendais plus les oiseaux, il n’y avait
plus que la voix intérieure de ces paroles qui s’inscrivaient dans mon
être.
Je tombai à terre et perdis
connaissance. Mais juste avant, je me sentis enveloppé d’un amour
infini. Je sentais se liquéfier la structure porteuse de ma pensée,
comme une grande explosion de ma conscience. Je mourais à un passé qui
m’avait profondément conditionné. Toutes mes vérités se désintégraient.
Je ne sais pas combien de temps je restai là, mais lorsque je repris
connaissance, c’était comme si j’avais vécu une nouvelle naissance. Le
ciel de mon esprit était limpide et des larmes sans fin me mouillaient
le visage et le cou. J’avais le sentiment d’être l’être le plus ingrat
existant sur cette terre. Oui, la grande vie existe et n’appartient pas
à ce monde. Pour la première fois je découvrais ce que les chrétiens
entendent par « grâce ».
Depuis plus de vingt-cinq ans cet
homme, connu sous le nom de Master Bee, vit, avec sa femme, une artiste
elle aussi, une vie semi-érémitique dans le monde, et enseigne la prière
du cœur et celle du chapelet aux anciens disciples qui viennent le
consulter.
Il n’a pas ressenti le besoin de
renier ses expériences religieuses passées qui ont préparé la rencontre
avec le Christ et qui lui permettent maintenant d’apprécier toute la
nouveauté de cette rencontre. Il continue même à avoir un profond
respect pour ces expériences, en montrant, par les faits comment il est
possible de conjuguer aujourd’hui la plus totale adhésion au Christ avec
une très grande ouverture aux valeurs d’autres religions.
L’histoire secrète des âmes, loin des
projecteurs des mass media, est remplie de ces rencontres avec le Christ
qui changent la vie et il est dommage que les discussions sur le Christ,
y compris entre théologiens, fassent complètement abstraction de ces
rencontres. Celles-ci montrent que Jésus est vraiment « le même, hier,
aujourd’hui et à jamais », capable de saisir les cœurs des hommes
d’aujourd’hui avant autant de force que lorsqu’il « saisit » Jean et
Paul.
5. Le disciple que Jésus aimait (et
qui aimait Jésus)
Revenons, pour terminer, au disciple
que Jésus aimait. Jean nous invite très fortement à redécouvrir la
personne de Jésus et à renouveler notre acte de foi en lui. Il est un
témoignage extraordinaire du pouvoir que Jésus peut avoir sur le cœur
d’un homme. Il nous montre comment il est possible de construire tout
son univers autour du Christ. Il réussit à faire percevoir la plénitude
unique, la merveille inimaginable qu’est la personne de Jésus (5).
Ce n’est pas tout. Ne pouvant emporter
la foi avec eux au ciel, où celle-ci ne leur sert plus, les saints sont
heureux de la laisser en héritage aux frères qui en ont besoin sur la
terre, comme Elie laissa son manteau à Elisée, en montant au ciel. C’est
à nous de le recueillir. Nous pouvons non seulement contempler la foi
ardente de Jean, mais aussi la faire nôtre. Le dogme de la communion des
saints nous assure que cela est possible et en priant nous en faisons
l’expérience.
On a dit que le plus grand défi pour
l’évangélisation, au début du troisième millénaire, sera l’émergence
d’un nouveau type d’homme et de culture, l’homme cosmopolite qui, de
Hong Kong à New York et de Rome à Stockholm, se meut désormais dans un
système d’échanges et d’informations mondiales, qui efface les distances
et fait passer au second plan les traditionnelles distinctions de
culture et de religion.
Jean a vécu dans un contexte culturel
qui ressemblait à celui-là. Le monde faisait alors, pour la première
fois, l’expérience d’un certain cosmopolitisme. C’est précisément à
cette époque qu’est né et que s’est affirmé le terme même de
kosmopolitès, cosmopolite. Dans les grandes villes hellénistiques, comme
Alexandrie d’Egypte, on respirait un air d’universalité et de tolérance
religieuse.
Comment se comporte, dans une telle
situation, l’auteur du quatrième évangile ? A-t-il cherché à adapter
Jésus à ce climat dans lequel toutes les religions et les cultes étaient
accueillis, à condition d’accepter de faire partie d’un ensemble plus
grand ? Absolument pas. Il n’a fait de polémique contre personne, si ce
n’est contre les mauvais chrétiens et les hérétiques au sein de l’Eglise
; il ne lança aucune polémique contre d’autres religions et cultes de
l’époque (si ce n’est, dans l’Apocalypse, contre l’indu de l’empereur) ;
il annonça simplement le Christ comme don suprême du Père au monde,
laissant chacun libre de l’accueillir ou non. Il a, il est vrai,
polémiqué avec le judaïsme, mais cela n’était pas pour lui une « autre
religion », c’était sa religion !
Comment Jean est-il parvenu à une
admiration aussi totale et une idée aussi absolue de la personne de
Jésus ? Comment expliquer qu’au fil des années, son amour pour lui, au
lieu de s’affaiblir, n’a fait qu’augmenter ? Je crois que cela est dû,
au-delà de l’Esprit Saint, au fait qu’à ses côtés se tenait la Mère de
Jésus, qu’il vivait avec elle, priait avec elle, parlait avec elle de
Jésus. C’est impressionnant de penser que lorsqu’il conçut la phrase : «
Et le Verbe s’est fait chair », l’évangéliste avait près de lui, sous le
même toit, celle dans le sein duquel ce mystère s’était accompli.
Origène a écrit : « La fleur des
quatre évangiles est l’évangile de Jean, dont seul celui qui a posé la
tête sur la poitrine de Jésus et qui a reçu de lui Marie comme sa propre
mère, peut saisir le sens profond » (6).
Jésus est né de la Vierge Marie, conçu
du Saint Esprit. L’Esprit Saint et Marie, sont, à titres différents, les
deux meilleurs alliés de notre effort pour nous approcher de Jésus, pour
le faire naître, par la foi, dans notre vie, en ce Noël.
____________________________________________
(1) Saint Augustin, In Ioh. 38,10 (PL
35, 1680).
(2) Origène, Contro Celso, I, 26.28
(SCh 147, pp. 202 ss.).
(3) J. Ratzinger, Introduzione al
cristianesimo, cit., p.149.
(4) Saint Augustin, In Ioh. 26,2 (PL
35, 1607).
(5) J. Guillet, Jesus, in
“Dictionnaire de spiritualité”, 8, col. 1098.
(6) Origène, Commento a Giovanni, I,
6, 23 (SCh 120, pp. 70 s).
[Texte original : italien – Traduction
réalisée par Zenit]
ZF05120908

Troisième prédication de l’Avent du p.
Cantalamessa : La justification gratuite par la foi
Texte intégral
ROME, Vendredi 16 décembre 2005 (ZENIT.org)
– Nous publions ci-dessous le texte intégral de la troisième prédication
de l’Avent prononcée ce vendredi au Vatican, en présence du pape et de
ses collaborateurs de la curie romaine, par le prédicateur de la Maison
Pontificale, le père Raniero Cantalamessa, OFMCap.
Troisième prédication de l’Avent à la
Maison Pontificale
La justice qui dérive de la foi en
Jésus Christ
La foi en Jésus Christ de saint Paul
1. Justifiés par la foi dans le Christ
La fois précédente nous avons tenté de
réchauffer notre foi dans le Christ au contact de celle de l'évangéliste
Jean; cette fois, nous allons tenter de faire la même chose au contact
de la foi de l'apôtre Paul.
Lorsque saint Paul, dans les années
57-58, écrivit, de Corinthe, l'Epître aux Romains, le souvenir du refus
essuyé quelques années plus tôt à Athènes lors de son discours à
l'Aréopage, devait encore être vivant et brûlant en lui. Et pourtant, au
début de l'Epître il affirme être sûr d'avoir reçu la grâce de
l'apostolat pour obtenir « l’obéissance de la foi parmi toutes les
nations » (Rm 1, 5).
L’obéissance et, qui plus est, de
toutes les nations! L’échec n’avait en rien entamé sa certitude que
l’Evangile est « force de Dieu pour le salut de tout croyant » (Rm 1,
17). A ce moment-là, l’immense tâche de porter l’Evangile jusqu’aux
extrémités du monde était encore entièrement devant lui. Cette tâche ne
devait-elle pas sembler impossible et absurde ? Mais Paul disait : « Je
sais en qui j’ai mis ma foi » (2 Tm 1, 12) et deux mille ans ont donné
raison à l’audace de sa foi. Je réfléchissais à cela la première fois
que je suis allé à Athènes et à Corinthe et je me disais : « Si nous
avions aujourd’hui un tout petit grain de cette foi de Paul, nous ne
nous laisserions pas intimider par le fait que le monde est encore en
grande partie à évangéliser et que celui-ci refuse même parfois, avec
dédain, comme les membres de l’Aréopage, de se laisser évangéliser ».
La foi dans le Christ est tout, pour
Paul. « Ma vie présente dans la chair – écrit-il en guise de testament,
dans l’Epître aux Galates – je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui
m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2, 20) (1).
Lorsque l’on parle de la foi dans
saint Paul, on pense immédiatement au grand thème de la justification
par la foi en Jésus Christ. Et c’est sur ce sujet que nous voulons
concentrer notre attention, non pas pour y consacrer un énième débat,
mais pour accueillir le message réconfortant qu’il contient. Je disais
dans ma première méditation (cf. Zenit, 2 décembre), qu’aujourd’hui nous
avons besoin d’une prédication kérygmatique, capable de susciter la foi
là où elle n’existe pas encore, ou là où elle est morte. La
justification gratuite par la foi dans le Christ est le cœur de cette
prédication et il est dommage qu’elle soit en réalité pratiquement
absente de la prédication ordinaire de l’Eglise.
Une chose étrange s’est produite à ce
sujet. Le Concile de Trente avait donné une réponse catholique aux
objections soulevées par les réformateurs, accordant une place à la foi
et une autre aux bonnes œuvres, en respectant le domaine de chacune. On
ne se sauve pas par les bonnes œuvres, mais on ne se sauve pas sans les
bonnes œuvres. Mais en réalité, étant donné que les protestants
insistaient de manière unilatérale sur la foi, la prédication et la
spiritualité catholiques ont fini par accepter presque uniquement la
tâche ingrate de rappeler la nécessité des bonnes œuvres et de l’apport
personnel au salut. Le résultat a été qu’une très grande majorité de
catholiques arrivaient à la fin de leur vie sans avoir jamais entendu
une annonce directe de la justification gratuite par la foi, sans trop
de « mais » et de « toutefois ».
Après l’accord d’octobre 1999 entre
l’Eglise catholique et la Fédération mondiale des Eglises luthériennes,
sur cette question, la situation a changé au niveau des principes, mais
a encore du mal à passer au domaine pratique. Dans le texte de cet
accord est exprimé le souhait que la doctrine commune sur la
justification passe à présent à la pratique, en devenant une expérience
vécue par tous les croyants et plus seulement un objet de savantes
disputes entre théologiens. C’est ce que nous nous proposons d’obtenir,
au moins en petite partie, par cette présente méditation. Lisons tout
d’abord le texte :
« Tous ont péché et sont privés de la
gloire de Dieu – et ils sont justifiés par la faveur de sa grâce en
vertu de la rédemption accomplie dans le Christ Jésus : Dieu l’a exposé,
instrument de propitiation par son propre sang moyennant la foi ; il
voulait montrer sa justice, du fait qu’il avait passé condamnation sur
les péchés commis jadis au temps de la patience de Dieu ; il voulait
montrer sa justice au temps présent, afin d’être juste et de justifier
celui qui se réclame de la foi en Jésus » (Rm 3, 23-26).
On ne comprend rien à ce texte et
celui-ci finirait même par susciter la frayeur au lieu du réconfort
(comme ce fut d’ailleurs le cas pendant des siècles), si l’on
n’interprétait pas correctement l’expression « justice de Dieu ». C’est
Luther qui découvrit que la « justice de Dieu » n’indique pas ici son
châtiment, ou pire, sa vengeance, vis-à-vis de l’homme, mais au
contraire l’acte par lequel Dieu « rend » l’homme « juste ». (Il disait
en réalité « déclare », non pas « rend », juste, car il pensait à une
justification extrinsèque et légale, à une inculpation de justice, plus
qu’à un réel être rendus justes).
J’ai dit « redécouvert » car bien
avant lui, saint Augustin avait écrit : « La ‘justice de Dieu’ est la
justice grâce à laquelle, par sa grâce, il fait de nous des justes (iustitia
Dei, qua iusti eius munere efficimur), exactement comme le ‘salut du
Seigneur’ (Ps 3, 9) est le salut par lequel Dieu fait de nous des sauvés
» (2).
Le concept de « justice de Dieu » est
expliqué ainsi dans l’Epître à Tite : « Mais le jour où apparurent la
bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes, il ne s’est
pas occupé des œuvres de justice que nous avions pu accomplir, mais,
poussé par sa seule miséricorde, il nous a sauvés » (Tt 3, 4-5). Dire «
la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes apparurent
», équivaut par conséquent à dire : la bonté de Dieu, son amour, sa
miséricorde, sont apparues. Ce ne sont pas les hommes qui, à
l’improviste ont changé de vie et de coutumes et se sont mis à faire le
bien ; la nouveauté est que Dieu a agi, il a tendu le premier la main à
l’homme pécheur et son action a accompli les temps.
C’est ici que réside la nouveauté qui
distingue la religion chrétienne de toutes les autres. Toutes les autres
religions tracent à l’homme un chemin de salut, moyennant des
observances pratiques ou des spéculations intellectuelles, en lui
promettant comme récompense finale, le salut ou l’illumination, mais en
le laissant, au fond seul pour réaliser cette tâche. Le christianisme ne
commence pas par ce que l’homme doit faire pour se sauver mais par ce
que Dieu a fait pour le sauver. L’ordre est inversé.
Il est vrai qu’aimer Dieu de tout son
coeur est « le premier et le plus grand des commandements »; mais
l’ordre des commandements n’est pas le premier ordre, c’est le deuxième.
Avant l’ordre des commandements vient celui du don, de la grâce. Le
christianisme est la religion de la grâce ! Si l’on ne tient pas compte
de cela, le dialogue interreligieux ne pourra qu’engendrer confusion et
doutes dans le cœur de nombreux chrétiens.
2. Justification et conversion
Je voudrais maintenant montrer que la
doctrine de la justification gratuite par la foi n’est pas une invention
de Paul, mais l’enseignement pur de Jésus. Au début de son ministère
Jésus proclamait : « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est
tout proche : repentez-vous et croyez à l’Evangile » (Mc 1, 15). Ce que
le Christ renferme dans l’expression « royaume de Dieu » - c’est-à-dire
l’initiative salvifique de Dieu, son offre de salut à l’humanité – est
appelé par saint Paul « justice de Dieu », mais il s’agit de la même
réalité fondamentale. Jésus lui-même rapproche « royaume de Dieu » de «
justice de Dieu » lorsqu’il dit : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu
et sa justice » (cf. Mt 6, 33). « Jésus, écrivait déjà saint Cyrille
d’Alexandrie, appelle ‘royaume de Dieu’ la justification par la foi, la
purification baptismale et la communion de l’Esprit » (3).
Lorsque Jésus disait : «
Convertissez-vous et croyez à l’Evangile », il enseignait donc déjà la
justification par la foi. Avant lui, se convertir signifiait toujours «
revenir en arrière » (comme l’indique le terme utilisé, en hébreu shub,
pour cette action) ; cela signifiait revenir à l’alliance violée, à
travers une observance renouvelée de la loi.
La conversion a, par conséquent, un
sens essentiellement ascétique, moral et pénitentiel et se réalise en
changeant de manière de vivre. La conversion est vue comme condition
pour le salut ; le sens est : convertissez-vous et vous serez sauvés ;
convertissez-vous et le salut viendra jusqu'à vous. Dans la bouche de
Jésus, cette signification morale passe au deuxième plan (au moins au
début de sa prédication), par rapport à une signification nouvelle,
jusqu’alors inconnue.
Se convertir ne signifie plus revenir
en arrière, à l’ancienne alliance et à l’observance de la loi ; cela
signifie plutôt faire un saut en avant, entrer dans la nouvelle
alliance, saisir ce Royaume qui est apparu, y entrer. Et y entrer par la
foi. L’expression « convertissez-vous et croyez » ne signifie pas deux
choses différentes et successives, mais la même action :
convertissez-vous, c’est-à-dire, croyez ; convertissez-vous en croyant !
« Prima conversio ad Deum fit per fidem », écrit saint Thomas d’Aquin :
« La première conversion à Dieu consiste dans le fait de croire » (4).
« Convertissez-vous et croyez »
signifie donc : passez de l’ancienne alliance basée sur la loi, à la
nouvelle alliance basée sur la foi. L’Apôtre dit la même chose avec la
doctrine de la justification par la foi. La seule différence est due à
ce qui s’est produit, entre temps, entre la prédication de Jésus et
celle de Paul : le Christ a été rejeté et mis à mort pour les péchés des
hommes. La foi « dans l’Evangile » (« croyez à l’Evangile »), se
présente maintenant comme foi « en Jésus Christ », « dans son sang » (Rm
3, 25).
3. La foi-appropriation
Tout dépend donc de la foi. Mais nous
savons qu’il existe différents types de foi : il y a la foi-assentiment
de l’intelligence, la foi-confiance, la foi-stabilité, comme l’appelle
Isaïe (7, 9). De quelle foi s’agit-il, lorsque l’on parle de la
justification « par la foi » ? Il s’agit d’une foi très spéciale : la
foi-appropriation. Je ne me lasse pas de citer à ce propos un texte de
saint Bernard :
« Moi, ce que je ne peux pas obtenir
de moi-même, je me l’approprie (je l’usurpe !) avec confiance en puisant
au côté transpercé du Seigneur, car il est plein de miséricorde. Mon
mérite, par conséquent, est la miséricorde de Dieu. Je ne serai certes
pas pauvre en mérites tant que lui sera riche en miséricorde. Si les
miséricordes du Seigneur sont sans mesure (cf. Ps 119, 156), j’abonderai
aussi en mérites. Et qu’en est-il de ma justice ? Ô Seigneur, je ne me
souviendrai que de ta justice. Celle-ci est en effet également la
mienne, car tu es pour moi justice de la part de Dieu » (5).
Il est écrit en effet : « … le Christ
Jésus qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice,
sanctification et rédemption » (1 Co, 1, 30). « Pour nous », non pour
lui-même ! Car nous appartenons au Christ plus qu’à nous-mêmes,
puisqu’il nous a rachetés au prix fort (1 Co 6, 20), et inversement ce
qui appartient au Christ nous appartient davantage que si c’était à
nous. J’appelle cela le coup d’audace, ou le coup d’aile, dans la vie
chrétienne.
Saint Cyrille de Jérusalem exprimait
la même conviction, de cette manière : « Ô bonté extraordinaire de Dieu
envers les hommes ! Les justes de l’Ancien Testament plurent à Dieu dans
les fatigues de longues années ; mais ce qu’ils réussirent à obtenir, à
travers un long et héroïque service agréable à Dieu, Jésus te le donne
dans le bref espace d’une heure. En effet, si tu crois que Jésus Christ
est le Seigneur et que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras
sauvé et tu seras introduit dans le paradis par celui-là même qui y
introduisit le bon larron » (6).
4. Justification et confession
Je disais au début que la
justification gratuite par la foi doit devenir une expérience vécue par
le croyant. Nous, catholiques, avons dans ce domaine un avantage énorme
: les sacrements et, en particulier, le sacrement de la réconciliation.
Celui-ci nous offre un moyen excellent et infaillible pour faire chaque
fois à nouveau l’expérience de la justification par la foi. Ce qui s’est
produit dans le baptême à travers lequel – dit saint Paul – le chrétien
a été « lavé, sanctifié et justifié » (cf. 1 Co 6, 11), se renouvelle.
Le « merveilleux échange », l’admirabile
commercium se produit chaque fois dans la confession. Le Christ prend
sur lui mes péchés et moi je prends sur moi sa justice ! A Rome, comme
dans toutes les grandes villes, il existe malheureusement de nombreux
clochards, de pauvres frères en haillons qui dorment dehors et traînent
derrière eux le peu de choses qu’ils possèdent. Imaginons ce qui se
produirait si un jour on lançait la rumeur que Via Condotti [rue située
dans le centre historique de Rome, ndlr] se trouve un magazin de luxe où
ils peuvent tous se rendre, déposer leurs haillons, prendre une bonne
douche, choisir les vêtements qui leur plaisent le plus et les emporter,
gratuitement, « sans argent et sans rien payer », car pour une raison
inconnue le propriétaire est en veine de générosité.
C’est ce qui se produit dans toute
confession bien faite. Jésus nous l’a enseigné avec la parabole du fils
prodigue : « Vite, apportez la plus belle robe » (Lc 15, 22). En nous
relevant, après chaque confession nous pouvons nous exclamez, avec les
paroles d’Isaïe : « Il m’a revêtu de vêtements de salut, il m’a drapé
dans un manteau de justice » (Is 61, 10). L’histoire du publicain se
répète chaque fois : « Mon Dieu, ait pitié du pécheur que je suis ! ». «
Je vous le dis : ce dernier descendit chez lui justifié, l’autre non » (Lc
18, 13 ss.).
5. « Afin que je puisse le connaître »
Où saint Paul a-t-il puisé le
merveilleux message de la justification gratuite par la foi, tellement
en harmonie, nous l’avons vu, avec celui de Jésus ? Il ne l’a pas puisé
dans les livres des Evangiles qui n’avaient pas encore été écrits, mais
plutôt dans les traditions orales sur la prédication de Jésus et surtout
dans sa propre expérience personnelle, c’est-à-dire dans la manière dont
Dieu a agi dans sa vie. Il l’affirme lui-même, disant que l’Evangile
qu’il prêche (cet Evangile de la justification par la foi !) il na l’a
pas appris des hommes, mais par la révélation de Jésus Christ, et il met
en relation cette révélation avec l’avènement de sa propre conversion
(cf. Ga 1, 11 ss).
A la lecture de la description que
saint Paul fait de sa conversion, dans Philippiens 3, il me vient en
mémoire l’image d’un homme qui avance de nuit, à travers un bois, à la
lumière d’une bougie. Il fait bien attention à ce que celle-ci ne
s’éteigne pas, parce que c’est tout ce qu’il possède pour suivre sa
route. Mais voilà que, poursuivant sa marche, l’aube se lève ; le soleil
pointe à l'horizon, la faible lumière de sa bougie s’estompe rapidement,
jusqu’à ce qu’il ne se rende même plus compte qu'il la tient dans la
main, et il la jette.
Cette petite lumière était pour Paul
sa justice, une misérable mèche fumante, même s’il possédait des titres
de renom : circoncis dès le huitième jour, de la race d’Israël, juif,
pharisien, irréprochable quant à la justice que peut donner la loi… (cf.
Ph 3, 5-6). Un beau jour, également à l’horizon de sa vie apparaît le
soleil : le « soleil de justice », qu’il appelle, dans ce texte, avec
une profonde dévotion, « le Christ Jésus, mon Seigneur », et alors sa
justice lui apparaît comme une « perte », un « déchet », et il ne veut
plus qu’on le connaisse avec sa justice, mais avec celle qui découle de
la foi. Dieu lui fait d’abord expérimenter, de manière dramatique, ce
qu’il l'appelait à révéler à l’Eglise.
Dans ce texte autobiographique il
apparaît clairement que le noyau central de tout, n’est pas pour Paul
une doctrine, quand bien même serait-ce celle de la justification par la
foi, mais une personne, le Christ. Ce qu’il souhaite par-dessus tout
c’est « être trouvé en lui », « le connaître », là où ce simple pronom
personnel dit des choses infinies. Il montre que pour l’Apôtre, le
Christ était une personne réelle, vivante, non pas une chose abstraite,
un ensemble de titres et de doctrines.
L’Union mystique avec le Christ, à
travers la participation à son Esprit (vivre « en Christ », ou « dans
l’Esprit »), est pour lui le point d’arrivée de la vie chrétienne ; la
justification par la foi est seulement le début et un moyen pour
l’atteindre. Cela nous invite à dépasser les interprétations polémiques
contingentes du message paulinien, centrées sur le thème foi-œuvre, pour
retrouver sous celles-ci, la pensée authentique de l’Apôtre. Ce qu’il a
avant tout à cœur, c’est d’affirmer que nous ne sommes pas justifiés par
la foi, mais que nous sommes justifiés par la foi en Christ ; ce n’est
pas tant que nous sommes justifiés par la grâce, mais plutôt que nous
sommes justifiés par la grâce du Christ.
Le Christ est le cœur de notre
message, bien avant la grâce et la foi. Après avoir, dans les deux
précédents chapitres et demi de l’Epître aux Romains, présenté
l’humanité tout entière dans son état universel de péché et de perdition
(« tous ont péchés et sont privés de la gloire de Dieu), l’Apôtre a le
courage incroyable de proclamer que cette situation est maintenant
radicalement changée pour tous, juifs et grecs, « en vertu de la
rédemption accomplie dans le Christ Jésus » « par l’obéissance d’un seul
» (Rm 3, 24 ; 5, 19).
L’affirmation selon laquelle le salut
se reçoit par la foi, et non par les œuvres, est présente dans le texte
et était peut-être la chose la plus urgente à mettre en lumière au temps
de Luther. Mais cela passe en second plan, et non en premier plan,
notamment dans l’Epître aux Romains où la polémique contre les
judaïsants est beaucoup moins présente que dans la Lettre aux Galates.
On a commis l’erreur de réduire à un problème d’école, au sein du
christianisme, ce qui était, pour l’Apôtre, une affirmation d’une portée
bien plus grande et universelle.
Dans les descriptions des batailles
médiévales il y a toujours un moment où, dépassant les archers, la
cavalerie et tout le reste, la mêlée se concentre autour du roi. C’est
là que se décidait l’issue finale de la bataille. Pour nous aussi
aujourd’hui, la bataille se décide autour du roi. Comme au temps de
Paul, la personne de Jésus Christ est l’enjeu véritable et non telle ou
telle doctrine qui s’y rapporte, aussi importante soit elle. Le
christianisme « est ou tombe » avec Jésus Christ et avec rien d’autre.
6. Oubliant le chemin parcouru
Dans la suite du texte
autobiographique dans Philippiens 3, Paul nous propose un moyen pratique
pour conclure notre réflexion : « Non que je sois déjà au but, ni déjà
devenu parfait… je dis seulement ceci : oubliant le chemin parcouru, je
vais droit de l’avant, tendu de tout mon être, et je cours vers le but
en vue du prix que Dieu nous appelle à recevoir là-haut, dans le christ
Jésus » (Ph 3, 12-14)
« Oubliant le chemin parcouru ». Quel
« chemin parcouru » ? Celui du pharisien, dont il a parlé plus haut ?
Non, le chemin parcouru en tant qu’apôtre, dans l’Eglise ! A présent le
« gain » à considérer comme une « perte » est autre : c’est précisément
d’avoir déjà une fois tout considéré comme une perte pour le Christ. Il
était naturel de penser : « quel courage, ce Paul : abandonner une
carrière de rabbin déjà si bien engagée pour une mystérieuse secte de
Galiléens ! Et quelles lettres a-t-il écrit ! Combien de voyages a-t-il
entrepris, combien d’églises a-t-il fondé ! »
L’Apôtre a senti de manière confuse le
danger mortel de remettre entre le Christ et lui une « justice propre »
dérivant des œuvres – cette fois les œuvres accomplies par le Christ –
et il a réagi vigoureusement. « Non que je sois déjà au but, ni déjà
devenu parfait, dit-il ». Saint François d’Assise dans une situation
semblable, coupait court à toute tentation d’autosatisfaction, en disant
: « Commençons, mes frères, à servir le Seigneur, car jusqu’à présent
nous n’avons presque rien fait » (8).
Il s’agit là de la conversion la plus
nécessaire à ceux qui ont déjà suivi le Christ et qui ont vécu à son
service dans l’Eglise. Une conversion toute spéciale, qui ne consiste
pas à abandonner le mal mais dans un certain sens, à abandonner le bien
! C’est-à-dire à se détacher de tout ce qui a été fait, en se répétant,
selon la suggestion du Christ : « Nous sommes de simples serviteurs ;
nous avons fait ce que nous devions faire » (Lc 17, 10). Et peut-être
pas aussi bien que nous l’aurions dû !
Il existe un beau conte de Noël qui
nous donne le désir d’arriver à Noël ainsi, avec le cœur pauvre et vide
de tout. Parmi les bergers qui accoururent la nuit de Noël pour adorer
l’Enfant, il y en avait un, tellement pauvre qu’il n’avait vraiment rien
à offrir, et il en avait terriblement honte. Arrivés à la crèche, ils se
pressaient tous pour offrir leurs cadeaux. Marie ne savait comment faire
pour les prendre tous, étant donné qu’elle tenait l’Enfant dans ses
bras. Voyant le berger les mains libres, elle lui confia Jésus. Sa
chance a été d’être arrivé les mains vides. A un autre niveau, ce sera
aussi la nôtre.
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(1) Il y a aujourd’hui qui voudrait
voir dans l’expression « foi du Fils de Dieu », ou « foi du Christ »,
fréquente dans les écrits de Paul (Rm 3, 22.26 ; Ga 2, 16; 2,20; 3, 22;
Ph 3, 9), un génitif subjectif, comme s’il s’agissait de la foi propre
du Christ ou de la fidélité dont il fait preuve en se sacrifiant pour
nous. Je préfère m’en tenir à l’interprétation traditionnelle, suivie
également par des exégètes contemporains influents (Cf. Dunn, op. cit.,
pp. 380-386), qui voit dans le Christ l’objet et non le sujet de la foi
; non pas par conséquent la foi du Christ (en supposant que l’on puisse
parler de foi en lui), mais la foi dans le Christ. C’est sur cette foi
que l’Apôtre fonde sa vie et qu’il nous invite à fonder la nôtre.
(2) S. Agostino, Lo Spirito e la
lettera, 32, 56 (PL 44, 237).
(3) S. Cirillo Al., Commento al
vangelo di Luca, 22,26 (PG 72905).
(4) S. Tommaso, d’Aquino, S.Th, I-IIae,
q.113, a. 4.
(5) Bernardo di Chiaravalle, Sermoni
sul Cantico, 61, 4-5 (PL 183, 1072).
(6) Cyrille de Jérusalem, Catechesi V,
10 ( PG 33, 517).
(7) Cf. J. D.G. Dunn, La teologia
dell’apostolo Paolo, Brescia, Paideia, 1999, p.421.
(8) Celano, Vita prima, 103 (Fonti
Francescane, n. 500).
[Texte original : italien – Traduction
réalisée par Zenit]
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