le 12/03/2006 00:25:37,
Gogol1er a écrit :
http://liberezmilosevic.free.fr/smilosevic.htm
Textes, discours et
interventions de Slobodan Milosevic
Comme premier texte, nous
publions une longue interview à la ”Stampa“ (Milan) qui constitue le
testament politique de dix années de combat pour l’indépendance de la
Yougoslavie. Entretien publié dans le numéro 11 du trimestriel LA CAUSE
DES PEUPLES.
Comment vous sentez-vous M.
Milosevic, un leader trahi par son peuple ou l'objet d'un complot
international et la victime de la politique américaine ?
Slobodan MILOSEVIC : Je
n'ai pas été trahi par mon peuple. Je considère le peuple serbe à la
fois comme héros et victime. Je ne suis pas non plus certain que les
résultats des élections de septembre soient l'expression de sa volonté.
Cette consultation s'est tenue sous une grande pression extérieure et
intérieure, médiatique, psychologique et militaire. Il ne s'agissait pas
d'un conjuration mais de l'activité bien orchestrée d'une part influente
de la communauté internationale. On pourrait encore considérer
l'hypothèse du sacrifice d'un leader devenu le symbole de l'opposition à
la politique américaine. Si c'était vraiment le cas, je voudrais que ce
fût la dernière fois. Je voudrais qu'il n'existât plus jamais une
politique pour laquelle celui qui pense différemment et guide un petit
peuple, devrait être sanctionné pour "désobéissance".
Vous pensez avoir été puni
seulement parce que vous désobéissiez ?
Slobodan MILOSEVIC : Est-ce
que le monde moderne ne présente pas les idées de liberté, de
démocratie, de droits de l'homme et du citoyen comme une sorte de
manifeste ? Et comment se fait-il que ce manifeste commence à coller à
l'image d'un pays puissant et arrogant qui avec l'uranium, appauvri ou
non, punit les peuples désobéissants et leur leader, comme cette
fois-ci, avec le fouet ? L'administration du plus grand pays du monde,
ayant une attitude hostile envers moi (qui incarnait la politique
d'indépendance et d'autonomie de la Yougoslavie) a eu la possibilité de
projeter cette attitude sur ses alliés européens. Et cette
administration s'est donné pour alliés les grands pays développés
d'Europe pour des raisons beaucoup plus importantes et complexes que
l'attitude à avoir vis-à-vis du chef d'un petit pays balkanique.
Ensuite, ils ont pu tous ensemble organiser une atmosphère de pression
matérielle, financière, politique, psychologique, diplomatique et
médiatique sur l'opinion publique yougoslave. Une pression en faveur des
résultats électoraux que l'on voulait obtenir.
Ce sont les raisons d'une
défaite historique ?
Slobodan MILOSEVIC : Dans
les dernières élections ont joué trois facteurs : les pressions, la peur
et la corruption. La première pression a été médiatique : le peuple et
le gouvernement on été diabolisés, puis la diabolisation a été
concentrée sur le gouvernement, c'est-à-dire sur un groupe de personne
et finalement sur moi. Second type de pression, les pressions
économiques : pendant presque une décennie nous avons été soumis à des
sanctions qui comme on l'affirmait, auraient été levées à condition d'un
changement de pouvoir. Enfin la pression militaire : la Serbie a été
bombardée tous les jours pendant trois mois. Les menaces se sont
renforcées avant les élections. Il semblait que la Serbie aurait été
bombardée de nouveau si elle n'avait pas changé de gouvernement.
Au début vous avez parlé de
corruption, par qui ?
Slobodan MILOSEVIC :
L'argent, les flots d'argent qui ont joué un grand rôle dans les
évènements des dernières années, en particulier en automne dernier. Avec
cet argent, on a non seulement acheté les votes d'une partie des
citoyens mais aussi la conviction que les activités de ce type n'étaient
pas amorales, que l'argent permettrait de soutenir la création d'un
système dans lequel on vivrait mieux. Dans les derniers mois, la peur a
conditionné l'opinion publique. Les incendies des sièges
institutionnels, les gens frappés dans la rue, les violences physiques
de nature, comment dire, non européennes… Voilà, tout ceci a fait peur.
Et beaucoup ont pensé : s'ils ont brûlé le parlement fédéral et la
télévision, pourquoi pas ma propre maison, mon magasin, mon entreprise ?
Ils ont frappé le directeur de la télévision d'Etat et ses journalistes
les plus connus, pourquoi pas ma propre famille ? Puis est arrivée la
marée des destitutions : directeurs de banque, d'hôpitaux, d'écoles,
recteurs de l'université, pressions physiques et psychologiques. La peur
est devenue un facteur politique, pour faire avancer les choses selon
les intérêts de ceux qui la déchaînaient. Et cela continue aujourd'hui.
Jusqu'aux accords de
Dayton, l'Occident vous considérait comme le seul facteur de stabilité
dans les Balkans : qu'est-il arrivé ensuite ?
Slobodan MILOSEVIC : Les
pays occidentaux, ou plutôt leur gouvernements, m'ont soutenu tant que
leur profitait la stabilité dans les Balkans. Au moment où ils ont
commencé à trouver intéressant sa déstabilisation, j'ai perdu leur
appui. Ce ne sont ni ma politique, ni le rôle de la Serbie mais les
intérêts des grandes puissance qui ont changé.
Vous l'avez dit vous-même,
la Serbie n'est pas un grand pays…
Slobodan MILOSEVIC : Mais
il est important pour la stabilité de la région. Je me suis employé
pendant dix ans à un politique d'indépendance. Pendant un certain temps,
cela arrangeait l'Occident, puis plus du tout. Ils m'ont considéré comme
un allié tant qu'ils acceptaient une orientation de ce genre. Quand j'ai
commencé à les gêner, ils m'ont transformé en adversaire.
Qu'est-ce qu'ont représenté
les guerres yougoslaves des dix dernières années ?
Slobodan MILOSEVIC :
L'Europe occidentale et particulièrement l'Allemagne, enivrée de sa
victoire dans la guerre froide, de l'unification allemande et de la
destruction de l'Union Soviétique, a commencé à vouloir mettre l'Est
sous un contrôle économique et politique total. Toutes les institutions
productives des pays de l'Est ont été démontées, causant un
appauvrissement vertigineux, et l'acquisition à bas prix par les
occidentaux d'une industrie détruite. Aucun pays de l'Est n'a réussi à
revenir au niveau économique d'il y a dix ans.
Mais la Yougoslavie n'était
pas un pays de l'Est.
Slobodan MILOSEVIC : Elle
ne l'était pas ni n'était membre du pacte de Varsovie. C'était un pays
qui construisait son système propre basé sur l'économie de marché et
l'égalité nationale. Son économie devenait de plus en plus fructueuse.
Elle était le modèle d'un futur fédéralisme européen.
La Yougoslavie constituait
donc une expérience dangereuse ?
Slobodan MILOSEVIC :
C'était un "mauvais exemple" pour les propagandiste des nouveaux
équilibres sur le vieux continent. Et c'est pour cela que son éclatement
a été soutenu de l'extérieur, en jouant sur les tensions entre les
ethnies et les républiques de l'ex-fédération. A ce moment a commencé la
diabolistaion de la Serbie, pendant qu'en Croatie on chantait "Danke
Deutschland" pour les remercier de la constitution de l' "Etat croate".
Vous croyez que tout peut
se réduire à cette perspective historique ?
Slobodan MILOSEVIC : Je ne
suis pas encore arrivé à la fin de l'histoire. La République Fédérale de
Yougoslavie, survivant en 1992 à travers la Serbie et le Monténégro,
devint à un certain moment le nouvel objectif. Toute la décennie est
marquée par la lutte pour la liberté, l'indépendance, la paix et la
dignité nationale. Les protagonistes du nouvel ordre mondial n'ont pu
accepter ce précédent : l'opposition d'un petit pays balkanique au
nouveau colonialisme. Puis ils ont inventé les prétextes du Kosovo pour
commencer en 1999 une guerre illégale et criminelle. Et quand la guerre
n'a pas donné tous les objectifs escomptés, on a eu recours à tous les
moyens. Aujourd'hui nous avons les tendances séparatistes du Monténégro,
la hâte de donner l'indépendance au Kosovo, en créant ainsi une crise au
Vojvodine et dans la région de Raska et Polimlje.
Est-il possible que dans ce
désastre, la nation serbe n'ait aucune responsabilité ?
Slobodan MILOSEVIC : La
responsabilité des Serbes est nettement moindre que celle des Croates,
des Slovènes et de ceux qui ont participé à la partition du Pays. Les
Serbes ont essayé de sauver la République Fédérale, peut-être parce
qu'ils vivaient sur tout le territoire. Il est injuste de dire que les
Serbes qui tenaient le plus à la Yougoslavie, soient accusés par
l'Occident de son éclatement.
Vous ne reconnaissez aucune
faute ?
Slobodan MILOSEVIC : Les
accusations injustes ont été envoyées à la mauvaise adresse, soit en ce
qui concernait le peuple, soit en ce qui me concernait. Devant certaines
manipulations de la vérité, on reste impuissant. Les moyens
d'information transformés en armes sont, comme toutes les armes, dans
les mains des riches et des puissants. Grâce à leur richesse et à leur
pouvoir, seul ce qu'ils auront décidé sera honnête, courageux,
intelligent et bon. Et malhonnête, lâche, stupide et méchant ce qu'ils
auront décidé.
Vous, personnellement,
avez-vous fait tout votre possible ?
Slobodan MILOSEVIC : J'ai
fait tout ce que je pouvais en tant qu'homme et guide d'une des
républiques, partie du Pays. Mon rôle dans les évènements liés à la
partition de la Yougoslavie, est un thème dont s'occupe continuellement
la soit-disant communauté internationale. On devrait s'étonner que les
mêmes questions n'aient pas été adressés aux chefs des autres
républiques de l'ex-Yougoslavie. Le président de la Croatie, par
exemple, met en relief ses propres mérites dans l'éclatement du pays.
Pourquoi donc la soi-disant communauté internationale le sous-estime
tant et me dédie toute son attention ? C'est offensant pour mes
collègues…
Vous ne pensez pas vous
être trompés, surtout dans la question du Kosovo ?
Slobodan MILOSEVIC : Je
n'étais pas en retard. Dans un sens politique, moral et national, j'ai
remué la question en 1986, quand je n'étais pas président de la Serbie.
Je considérais la situation au Kosovo comme un des problèmes principaux
de la Yougoslavie, et en particulier de la Serbie. Quant aux
bombardements à l'uranium, je n'ai pas été surpris. Je dirais avec
amertume : comme vous, j'espère. Comme chaque homme normal sur cette
planète, j'espère.
Dans ce cas, la vielle
amitié avec Richard Holbrooke, l'ambassadeur américain n'a pas servi non
plus.
Slobodan MILOSEVIC : Avec
Holbrooke, nous avons travaillé ensemble avec succès jusqu'aux accords
de Dayton. Il a contribué de façon décisive à la trêve, lorsque les
troupes serbes se sont retrouvées en situation critique. Je lui ai dit
catégoriquement que nous aurions mis fin aux pourparlers, et lui, a
arrêté l'armée croate devant Prijedor qui devait tomber comme Banja Luka.
Après Dayton et la promesse de mettre fin aux sanctions, cependant, ils
n'ont pas tenu parole. Ils n'ont pas introduit le prétendu "mur externe"
et ils ont continué les pressions. En 1998, quand s'est posée de façon
infondée la question du Kosovo, j'ai dit à Holbrooke : "Vous, les
Albanais ne vous intéressent pas, vous avez un tout autre but" "Lequel
?" m'a-t-il demandé. "S'assurer de votre rôle de leader en Europe"
"C'est vrai, nous sommes une superpuissance et nous avons intérêt à
cela" a conclu Holbrooke. J'aimerais que la nouvelle administration
américaine demandât à la précédente : "De quelle façon avez-vous servi
les intérêts nationaux américains en faisant alliance avec la
narco-mafia albanaise, avec des trafiquants d'êtres humains, des
assassins et des terroristes ?"
Mais entre autres problèmes
dans votre pays, vous ne pensez pas au fait de ne pas avoir géré une
démocratie ?
Slobodan MILOSEVIC :
Pendant mon gouvernement "antidémocratique", j'ai proposé en 1993 la
constitution d'un gouvernement d'unité populaire qui a duré jusqu'à la
fin d'octobre 2000. Aujourd'hui en Serbie, c'est le gouvernement d'un
seul parti. Durant mon gouvernement "antidémocratique", 95% de la presse
était entre les mains de l'opposition, comme presque toutes les télés
locales, environ 500. Dans ces media financés par l'étranger, ma famille
et moi avons été insultés avec les mots les plus vulgaires, nous
accusant de tous les crimes du monde. Jamais il n'y a eu de réponses à
ces accusations infondées. Il n'y a eu aucuns livres, spectacles ou
films interdits. Les portes du Pays étaient ouvertes à des milliers de
journalistes étrangers, même à ceux qui venaient avec des articles déjà
écrits, à tous les diplomates, même à ceux qui agissaient de façon non
démocratique. J'ai même rencontré l'opposition, mais eux ont évité les
communiqués de presse.
Et la censure imposée aux
journaux ?
Slobodan MILOSEVIC : Une
invention dégoûtante. Dans le seul Kosovo, il y avait plus de 40
journaux en langue albanaise, complètement voués à me salir, moi et ma
famille. Et cela pendant 10 ans. Peut-être que j'ai un reproche à me
faire : j'ai laissé les media abaisser le sens éthique national.
Vous avez rencontré le
président Kostunica dans la nuit du 6 octobre. Que pouvez-vous en dire ?
Slobodan MILOSEVIC :
Kostunica m'a informé que la Court Constitutionnelle confirmait sa
victoire. J'ai accepté cette information. Mais je ne m'attendais pas à
ce que les violences et l'anarchie continuassent. Il y avait un scénario
pour provoquer l'effusion de sang qu'heureusement nous avons évité. On
sait bien qui en aurait été accusé. Dans ma ville natale, Pozarevac, ils
ont saccagé et incendié ce qui appartenait à mon fils. C'est évident que
tout cela était programmé.
Nous sommes arrivés à un
point délicat, le poids de votre famille sur les affaires du pays.
Slobodan MILOSEVIC : Tout
ce qu'on a écrit sur nous n'est que mensonge. A présent le nouveau
gouvernement menace de faire des procès pour des crimes qu'ils ont
inventé dans leur bureaux. Cette pratique de montages de procès
appartient aux expériences des années les plus noires du nazisme et du
maccartisme.
Kostunica refuse
l'hypothèse de vous remettre au tribunal de La Haye même si des
personnes comme Biljana Plavsic se sont livrées spontanément.
Slobodan MILOSEVIC : Je
n'ai pas encore d'opinion sur le nouveau président. Il faut un peu de
temps pour pouvoir juger. En revanche, j'ai toujours considéré le
tribunal de La Haye comme une institution amorale et illégale, inventée
en représailles contre des représentants désobéissants de peuples
désobéissants, comme à une époque où il existait des camps de
concentration pour les peuples superflus et les gens superflus. Ce
tribunal est là avant tout pour les Serbes. C'est la même forme
d'intimidation que les nazis ont utilisé d'abord contre les Juifs puis
contre tous les peuples slaves.
Quant à Plavsic ?
Slobodan MILOSEVIC : Avec
sa décision d'aller volontairement à La Haye, Biljana Plavsic a voulu
montrer sa confiance dans le tribunal et l'administration qui vient
d'abandonner la scène politique américaine. De nationaliste féroce,
Biljana Plavsic s'est transformée en collaboratrice de
l'ex-administration américaine. Vous ne pouvez pas espérer être
amnistiée comme cela de leur fureur.
Et si deviez comparaître à
Belgrade ?
Slobodan MILOSEVIC : Cela
voudrait dire à La Haye. Les accusations sont inventées. Mais à
Belgrade, à moins de ne pas s'en rendre compte, on est en train de
monter une filiale du tribunal…
On vous accuse d'avoir fait
passer des capitaux à l'étranger.
Slobodan MILOSEVIC : Ils
les cherchent depuis des années. Une fois j'ai dit à Holbrooke qui
menaçait de les bloquer : "Ne vous donnez pas tant de peine. Prenez
simplement ce que vous réussissez à trouver". Je n'ai aucun compte à
l'étranger, je n'en ai jamais eu. Toute ma vie, je n'ai eu que mon
salaire. Et aujourd'hui je ne l'ai même plus.
Vous vous sentez en danger
?
Slobodan MILOSEVIC : Les
règles veulent que les conditions de vie d'un chef d'Etat sortant, soit
une question d'honneur et de morale pour le nouveau chef d'Etat.
Peut-être, mais il y aura toujours une part d'honneur et de morale de la
part des autres, de tout un peuple. Quant à ma sécurité et à celle de ma
famille, non, je ne sens pas en sécurité. Nous sommes dans les Balkans ;
ce n'est pas étonnant que l'Europe nous regarde comme une partie du
continent qui devrait ne pas exister.
Et la politique italienne ?
Slobodan MILOSEVIC : C'est
pareil pour les Italiens. Vous essayez d'agir avec des principes, de
respecter les autres, de réfréner vos propres intérêts, de ne pas entrer
en conflit avec l'Europe, mais de compter. Le ministre Dini a eu en
maintes occasions de bonnes intentions, justes et cordiales, envers
notre Pays, dans les années difficiles et particulièrement durant la
guerre contre l'Otan. Malheureusement, l'Italie n'a pas eu la force de
s'opposer à ce crime insensé contre notre peuple, en 1999.
Que voudriez-vous dire pour
conclure au public italien ?
Slobodan MILOSEVIC : Rien
ne peut grandir un homme petit, ni rendre honnête un malhonnête ou lâche
un courageux, ou mauvais un bon. Même si on y met toute son énergie
financière, technologique, médiatique, diplomatique et psychologique.
Entretien réalisé par
Giuseppe Zaccaria, La “Stampa” du samedi 3 février 2001.
Copyright traduction
française : Service de Presse du PCN-NCP - mars 2001