Pour ce philosophe grec, l'essence
des mathématiques est indépendante de leur figuration matérielle ;
il en va de même des valeurs esthétiques et morales, plus réelles
que le monde sensible qui n'en est que l'ombre (mythe de la caverne
dans La République). Il développe sa conception de l'amour dans
Le Banquet. Alors que le Moyen Âge avait essentiellement étudié
Aristote, Platon est le philosophe de la Renaissance, de
l'humanisme
Aristophane, l'un des convives du
Banquet, développe le mythe de l'Androgyne primordial. Nous
reproduisons ici seulement l'essentiel de cet assez long texte
Les hommes ne se sont jamais rendu
compte de la puissance d'Éros [...] C'est le dieu le plus ami des
hommes, puisqu'il leur porte secours en guérissant les maux dont la
disparition offrirait à l'humanité la plus grande félicité [...]
Jadis notre nature n'était pas ce qu'elle est actuellement. D'abord
il y avait trois espèces d'homes, et non deux comme aujourd'hui : le
mâle, la femelle, et en plus de ces deux-là, une troisième composée
des deux autres ; le nom seul en reste aujourd'hui, l'espèce a
disparu. c'était l'espèce androgyne qui avait la forme et le nom des
deux autres, dont elle était formée. De plus chaque homme était de
forme ronde sur une seule tête, quatre oreilles, deux organes de la
génération, et tout le reste à l'avenant. [...] Ils étaient aussi
d'une force et d'une vigueur extraordinaire, et comme ils étaient
d'un grand courage, ils attaquèrent les dieux et [...] tentèrent
d'escalader le ciel [...] Alors Zeus délibéra avec les autres dieux
sur le parti à prendre. Le cas était embarrassant ; ils ne pouvaient
se décider à tuer les hommes et à détruire la race humaine à coups
de tonnerre, comme ils avaient tué les géants ; car c'était mettre
fin aux hommages et au culte que les hommes leur rendaient ; d'un
autre côté, ils ne pouvaient plus tolérer leur impudence. Enfin,
Zeus ayant trouvé, non sans difficulté, une solution, [...] coupa
les hommes en deux. Or, quand le corps eut été ainsi divisé, chacun,
regrettant sa moitié, allait à elle ; et s'embrassant et s'enlaçant
les uns les autres avec le désir de se fondre ensemble, les hommes
mouraient de faim et d'inaction, parce qu'ils ne voulaient pas se
quitter pour agir. [...] Alors Zeus, pris de pitié, imagina une
autre solution : il transporta les organes de la génération sur le
devant des corps [...] et par là fit que les hommes engendrèrent les
uns dans les autres, c'est-à-dire le mâle dans la femelle. [...]
C'est de ce moment que date l'amour inné des êtres humains les uns
pour les autres : l'amour recompose l'ancienne nature, s'efforce de
fondre deux êtres en un seul, et de guérir la nature humaine. [...]
Notre espèce ne saurait être heureuse qu'à une condition, c'est
de réaliser son désir amoureux, de rencontre chacun l'être qui est
notre moitié, et de revenir ainsi à notre nature première.
Diotime : Celui qu'on aura mené
jusqu'ici sur le chemin de l'amour, après avoir contemplé les belles
choses dans une gradation régulière, arrivant au terme suprême,
verra soudain une beauté d'une nature merveilleuse, celle-là même,
Socrate, qui était le but de ses recherches antérieures, beauté
éternelle, qui ne naît ni ne meurt, qui ne souffre aucune
augmentation ni diminution, beauté qui n'est point belle d'un point
de vue et laide d'un autre, belle en un temps laide en un autre,
belle sous un rapport laide sous un autre, belle quelque part laide
ailleurs, belle pour les uns laide pour les autres ; beauté qui ne
se présentera pas à ses yeux comme un visage, des mains ou une forme
corporelle, mais pas non plus comme une démonstration, une
connaissance, pas comme quelque chose qui existe en autrui, par
exemple dans un animal, la terre, le ciel ou autre chose ; beauté
qui au contraire existe en elle-même et par elle-même, simple et
éternelle, de laquelle participent toutes les autres belles choses,
de telle manière que leur naissance ou leur mort en lui apporte ni
augmentation ni amoindrissement, ni altération de quelque ordre que
ce soit. Quand on s'est élevé, par un amour bien compris des jeunes
gens, des choses sensibles jusqu'à cette beauté et qu'on commence à
l'apercevoir, on est bien prêt de toucher au but ; car la vraie
voie de l'amour, qu'on s'y engage de soi-même ou qu'on s'y laisse
conduire, c'est de partir des beautés sensibles et de monter sans
cesse vers cette beauté surnaturelle en passant graduellement d'un
beau corps à deux, puis de deux à tous, puis des beaux corps aux
belles actions, des belles actions aux belles connaissances, pour
arriver à partir de ces connaissances à cette connaissance qui n'est
autre que la connaissance de la beauté absolue et pour connaître
enfin le beau tel qu'il est en soi.
Le Banquet, 29