INTRODUCTION
Est-il possible de résumer notre
projet? Je le voudrais afin que le lecteur ne soit pas trop
décontenancé par la lecture des premiers chapitres. Si sa culture
est avant tout littéraire, il risque de fermer ce livre et de
l'abandonner. Soyez gentil, faites l'effort de lire les deux
premiers chapitres, même si certaines notions vous paraissent
obscures. Elles sont fondamentales puisqu'elles tentent de fournir
une vision dynamique de l'organisation des systèmes vivants à partir
des théories récentes de l'information, de la théorie des systèmes
et de la cybernétique. Elles s'éclairciront par la suite dans les
chapitres qui abordent, dès le troisième, le niveau sociologique
pour lequel ce livre a été écrit. Le second chapitre schématise la
structure fonctionnelle du système nerveux. Comment en effet
continuer à ignorer l'essentiel concernant ce merveilleux instrument
que nous utilisons de notre naissance à notre mort et qui autorise
toutes nos relations avec le monde qui nous entoure, ce monde que
peuplent les hommes, les autres hommes, et qui permet aussi la
conscience que nous avons du monde qui vit en nous? Or ce monde-là,
le monde de l'inconscient, est bien différent de la conscience que
nous en avons. Comment se structure-t-il ? Non pas seulement avec
des mots, mais d'abord avec des molécules.
C'est avec ces instruments
conceptuels, qui n'ont jamais encore été utilisés à notre
connaissance dans l'approche expérimentale des faits sociaux que
nous aborderons l'ensemble du thème, social, économique et
politique. Ils n'ont encore jamais été utilisés parce que leur
expression est trop récente et que la synthèse que nous en avons
faite est difficile à réaliser par le spécialiste.
Il m'est reproché fréquemment de
chercher dans le social l'analogie avec le biologique. Le
raisonnement par analogie jouit avec raison d'une mauvaise
réputation et je ne suis pas certain que ce reproche, pour ceux qui
l'expriment, ne soit pas simplement une manière de se débarrasser,
de refouler, des faits gênants, en demeurant au sein d'un territoire
limité, le leur, qui les gratifie et qu'ils défendent. J'utilise
parfois l'analogie, mais l'essentiel de ce que j'apporte n'est pas à
mon sens du domaine analogique. En réalité, l'observation des faits
biologiques nous a fait découvrir, je le crois, des lois
structurales qui paraissent valables pour tout le domaine du vivant.
Nous reprocher ce qu'un examen superficiel et un jugement teinté
d'affectivité considèrent comme analogique, s'apparente au fait de
reprocher à quelqu'un l'application des lois de la gravitation, à un
chien, à un groupe de parachutistes ou à un caillou. Nous sommes
bien d'accord par contre pour dire que ce n'est pas, par exemple,
parce qu'il y a des « artères » qui permettent la circulation dans
une ville, que l'on peut comparer une ville à un organisme et le
coeur de la cité à celui des mammifères, si ce n'est sous la plume
des poètes et de certains urbanistes.
Par contre, préciser les notions
d'énergie, de masse et d'information, permet d'aborder la
sociologie, l'économie et la politique, sur un trépied solide
puisqu'il supporte l'édifice de la science contemporaine. Mais avant
d'atteindre le niveau d'organisation des sciences dites « humaines
», ce trépied doit aussi servir de base à la mise en place de la
biologie générale et de celle des comportements humains en situation
sociale. Nous les retrouverons donc à chaque page des onze chapitres
suivants.
Nous verrons comment le fait de
posséder un lobe orbito-frontal et des systèmes associatifs
corticaux développés, permet à l'homme de traiter l'information et
par quels mécanismes son imagination ajoute de l'information au
monde qui l'entoure. Comment cette propriété spécifique fut à
l'origine de sa domination du monde inanimé et plus tard la base des
hiérarchies de dominance uniquement fondées sur le degré
d'abstraction de l'information technique, professionnelle, qu'un
individu utilise. Nous verrons pourquoi les sociétés animales et les
sociétés humaines sont soumises à cette pression de nécessité des
structures hiérarchiques. Nous analyserons les mécanismes
d'établissement des pouvoirs et des dominances, de la notion de
territoire et de propriété, le mythe de la démocratie, de l'égalité
et de la liberté, mots qui n'expriment qu'une affectivité
pulsionnelle satisfaite, gratifiée ou au contraire aliénée,
dépendante, soumise à la dominance de l'autre.
Nous tenterons de fournir les
prémices d'une solution et pour cela nous développerons la
distinction entre information professionnelle, introduisant
l'individu dans un processus de production de marchandises, et
l'information généralisée dont ce livre est un vade-mecum. Seule,
celleci peut donner au citoyen la dimension d'un homme. Cette
information ne concerne pas les faits, mais les structures, les lois
générales permettant d'organiser les faits en dehors des jugements
de valeurs, des automatismes, socioculturels, des préjugés, des
morales, des éthiques, qui ne sont jamais que celles des plus forts
capables de les imposer par la police, la guerre, les lois,
l'abrutissement par les mass media, l'aliénation économique,
l'obscurantisme affectif, l'aveuglement de la logique langagière et
surtout la gratification hiérarchique professionnelle. Cette
information, cette mise en forme des systèmes nerveux humains en un
système ouvert, capable d'évolution, ne peut se satisfaire des
slogans éculés, d'une phraséologie faussement révolutionnaire qui
retrouve, après avoir soi-disant détruit les structures
capitalistes, la dominance hiérarchique et la gratification du
pouvoir.
Etre homme consiste avant tout à utiliser les aires cérébrales
qui nous distinguent des autres espèces animales et nous permettent
de créer de nouvelles structures. Etre révolutionnaire, ce n'est pas
appliquer des grilles inventées à une époque où les deux tiers de
nos connaissances scientifiques contemporaines restaient encore à
découvrir, une époque en particulier qui restait confinée dans le
langage conscient, dans les analyses logiques utilisant le principe
de causalité linéaire sans mettre en cause les pulsions, et les
automatismes qui menaient et qui mènent encore nos discours. Etre
révolutionnaire consiste d'abord à imaginer de nouvelles grilles
conceptuelles, de nouvelles structures prenant en charge l'essentiel
de l'apport de l'ensemble des disciplines biologiques, et cela pas
en pièces détachées, en bric-à-brac culturel, mais sous -une forme
intégrée, qui partant de la physique aboutit à l'espèce humaine dans
la biosphère, dans le temps de l'évolution et celui de l'individu,
dans l'espace gratifiant d'un homme et celui de tous les hommes, la
planète.
Etre révolutionnaire n'est plus
alors l'affaire de quelques leaders inspirés, d'une élite éclairant
la masse, mais celle de tous. C'est sans doute la finalité de
l'espèce humaine, car il s'agit d'une révolution permanente et
culturelle, non d'une culture langagière ou d'une praxis sociale
uniquement. Il n'y a pas d'expérience fructueuse sans hypothèse
de travail, mais l'expérience ne peut se limiter à vérifier une
théorie qui n'a pu prendre en compte des lois fondamentales qui ont
été découvertes après qu'elle fut émise. Toute théorie insuffisante
à expliquer certains faits d'expérience doit être incluse dans une
théorie plus vaste dont elle devient un sous-ensemble si par
ailleurs, bien entendu, elle fournit cependant une interprétation
logique et surtout vérifiable de beaucoup d'autres. Sinon, c'est un
mythe et tout esprit lucide se doit de l'abandonner.
Nous verrons combien les mots, les
expressions sont dangereux du fait que très vite on oublie l'objet
ou le concept qu'ils sont censés
représenter et qu'à travers eux, on se contente d'atteindre
l'affectivité insatisfaite et d'exploiter la frustration qui résulte
de l'impossibilité grandissante qu'il y a à réaliser des actes
gratifiants. La pensée politique nous paraît de plus en plus
encombrée par un tel langage.
Conscience, connaissance,
imagination, sont les seules caractéristiques de l'espèce humaine.
Ce sont celles aussi le plus exceptionnellement employées. Par
contre, l'homme entretient de lui une fausse idée qui sous la pelure
avantageuse de beaux sentiments et de grandes idées, maintient
férocement les dominances. La seule façon d'arracher ces défroques
mensongères est d'en démonter les mécanismes et d'en généraliser la
connaissance.
La Vérité est une femme nue qui
sort d'un puits. Le puits, c'est l'obscure faconde de notre
inconscient.
Je dédie ce livre sans pitié à
ceux qui souffrent, aux pauvres, aux aliénés, aux prisonniers, aux
drogués, aux contestataires, à tous ceux qui ne se sentent pas
tellement bien dans leur peau. Mais je le dédie aussi aux nantis,
aux honnêtes gens, aux flics, aux candidats à la présidence, aux
notables, à tous ceux qui sont sûrs de détenir la vérité, quelle
qu'elle soit, de droite ou de gauche, en espérant qu'ils y
découvriront au moins les germes de l'incertitude, soeur de
l'angoisse, et mère de la créativité.
à suivre .....