Rencontre d'Alter-Ego

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Extraits :  

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L’anthropologie de la relation homme-femme

 

 

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ALTER EGO

L'amitié selon Aristote

par Marcel Lamy

Conférence prononcée au lycée Chateaubriand de Rennes le mardi 4 décembre 2001.

Mise en ligne le 25 janvier 2002. ....

Marcel Lamy est professeur agrégé de Philosophie. Il a longtemps enseigné au lycée Chateaubriand, dans les classes préparatoires littéraires et scientifiques.

 

 

Source:  http://www.lycee-chateaubriand.fr/cru-atala/publications/lamy.htm

Date : 16.02.08    

 

« Aimer est un acte, être aimé est un accident, car il est possible d’être aimé sans le savoir, mais non d’aimer sans le savoir. L’amitié, c’est aimer plutôt qu’être aimé[1]. »

Qu’est-ce qu’un acte ? Ou mieux, qu’est-ce qu’être en acte (energein) ? C’est exercer ses facultés, actualiser ses pouvoirs. L’architecte en puissance possède son art, même s’il dort, mais il n’est vraiment architecte qu’au moment où il construit. C’est alors qu’il se sait construisant et, si tout se passe bien, qu’il a plaisir à construire.

Mais l’activité de l’architecte est tournée vers le dehors, sa fin est son œuvre, la maison qu’il construit. Or, il existe des activités qui sont à elles-mêmes leur propre fin. Ce sont les plus parfaites : vivre, sentir, penser, jouer de la flûte[2]. Jouer de la flûte n’a d’autre fin que jouer, plus précisément de bien jouer, d’atteindre son excellence propre, sa vertu. Vivre n’a d’autre fin que bien vivre, d’atteindre cette plénitude, cette suffisance à soi qu’est le bonheur. De même, l’amitié est une activité qui n’a d’autre fin qu’aimer[3]. Et c’est pourquoi aimer, c’est se réjouir[4]. On objectera qu’aimer, c’est aussi souffrir. Aristote répond que si la mère aime son enfant plus que ne l’aime le père, c’est à raison même des souffrances qu’il lui a coûtées pour le mettre au monde[5]. L’enfant, c’est son acte et tout acte, en tant qu’acte, ne va pas sans joie. C’est parce que l’amitié est à elle-même sa fin qu’elle est gratuité. On n’aime pas son ami parce qu’il est utile ou plaisant, on l’aime pour lui-même : parce que c’était lui, parce que c’était moi.

Telle est l’amitié par excellence, l’amitié première. Il en est d’autres, fondées sur l’utilité et le plaisir. On aime son médecin non pour lui-même, mais pour la santé, comme d’autres aiment pour le plaisir qu’ils tirent de l’objet aimé. Ce sont aussi des amitiés, mais, comme l’être, l’amitié se dit en plusieurs sens. Il n’y a pas une essence unique de l’amitié, mais un sens primordial et souverain auquel se réfèrent les autres. Les amitiés fondées sur l’utilité et le plaisir sont des amitiés par ressemblance ou analogie et elles sont instables comme le sont nos intérêts et nos passions[6].

De tout ceci découle une conséquence capitale. Le grec a deux mots pour dire l’amour : philia et erôs. Dans le Banquet, Socrate soutient que l’erôs, amitié ou amour, prend sa source dans un manque. Qui aime, aime ce dont il est dépourvu : richesse, beauté, sagesse, immortalité. Si aucun dieu ne philosophe, c’est qu’on n’aime pas la sagesse quand on la possède[7]. Dans le langage d’Aristote, c’est l’être en puissance qui désire l’être en acte et si le monde se meut, c’est comme porté par l’érôs, le désir de Dieu, acte pur et vie immobile qui meut comme objet d’amour, hôs erômenon[8]. Ce qui est divin, c’est d’être aimé, non d’aimer. On ne comprend bien ce qu’est l’amitié humaine selon Aristote, la philia, que si, abandonnant toute référence à Dieu et à l’érôs, on la pense comme un acte plein, qui en un certain sens, se suffit à lui-même et accomplit l’humain dans sa plus haute perfection, l’amitié de deux hommes vertueux.

 

Qu’est-ce qu’aimer d’amitié, au sens de l’amitié première entre amis vertueux ? À quelles marques la reconnaît-on ordinairement, étant entendu qu’une seule de ces marques est suffisante[9] ?

1. Souhaiter et faire du bien à quelqu’un pour lui-même et non en vue d’autre chose, exercer la bienfaisance à son égard.

2. Souhaiter à quelqu’un d’exister et de vivre. Pour lui-même et non comme des esclaves souhaitent la santé à leur maître de peur que la maladie n’aigrisse son caractère. Pour lui-même, comme une mère accepte de se séparer de son enfant, de le confier à une nourrice s’il y va de la santé du nouveau-né.

3. Vivre avec lui et partager ses goûts. L’amitié, c’est le choix libre de vivre ensemble et c’est ce choix qui fonde la communauté politique, la cité[10].

4. Se réjouir avec lui, souffrir avec lui, comme une mère avec son enfant. L’amour maternel est un paradigme de l’amitié pour Aristote.

On notera que les marques 3 et 4 renvoient au paradigme de la communauté — koinônia — et de l’être avec. Aristote se plaît à former des néologismes avec le préfixe « sun » : vivre avec, faire avec de la philosophie, de la théorie, de la gymnastique, des parties de chasse ou de jeu de dés, des banquets, des fêtes, énumération inépuisable de toutes les variantes de l’agir avec[11].

Ceci va permettre à Aristote d’avancer une double thèse :

1. Ces marques de la véritable amitié se retrouvent par excellence et primordialement dans l’amitié de l’homme vertueux à l’égard de lui-même.

2. C’est à partir de cette relation primordiale à soi-même que les marques de l’amitié vont s’étendre, se transférer à la relation à autrui, d’ego à l’alter ego (hétéros ou allos autos)[12].

 

La première thèse semble paradoxale : si aimer et être aimé s’opposent comme activité et passivité, comment un seul et même être peut-il en même temps agir et pâtir à l’égard de lui-même[13] ? Platon avait trouvé la solution à cette aporie : l’homme est double ou triple[14]. Aristote en retient une dualité interne entre l’intellect et le désir, entre la partie rationnelle et la partie irrationnelle en nous. C’est pourquoi l’homme, et l’homme seul, peut être ami ou ennemi de lui-même. Le cheval ignore cette dualité interne, il ne peut être en désaccord avec lui-même, n’étant que désir irrationnel. Pas davantage l’enfant avant l’âge de raison. Or, l’intellect est par excellence notre être même. Donc, être ami de soi-même, c’est se souhaiter du bien à soi-même, en vue de soi-même et non d’autre chose (marque 1) et donc agir uniquement en vue de son intellect.

L’amitié de l’homme vertueux à l’égard de lui-même présente tous les caractères de l’amitié parfaite. A contrario, la vie du méchant ou de l’homme déréglé, en désaccord avec eux-mêmes, est ballottée perpétuellement entre raison et désirs. À la limite apparaît la haine de soi qui pousse l’homme à se détruire[15]. Haïr, c’est souhaiter que l’autre cesse d’exister.

Il reste à écarter une objection : la thèse ne fait-elle pas de l’homme vertueux un parfait égoïste ? Aristote expose l’aporie, le problème. Que faut-il aimer avant tout, soi-même ou quelqu’un d’autre ? La solution consiste à exposer les arguments de part et d’autre, à déterminer leur part de vérité, puis à conclure[16].

D’un côté, on blâme l’égoïsme — la philautia. Le méchant n’agit que dans son propre intérêt, alors que l’homme de bien agit noblement et fait passer l’intérêt de son ami avant le sien propre.

D’un autre côté, on pense que chacun est à lui-même son meilleur ami et doit s’aimer lui-même par-dessus tout.

Le différend provient de ce qu’on désigne du même nom d’égoïsme deux choses opposées. On a raison de blâmer celui qui, obéissant à la partie irrationnelle de lui-même, s’attribue la plus large part des biens et des plaisirs du corps. Mais celui qui se complaît dans l’intellect, dans cette partie qui est véritablement lui-même, est à la fois parfait égoïste et parfait ami. Qui se sacrifie pour son ami a choisi la meilleure part, la conduite la plus noble. Il n’y a pas lieu d’opposer égoïsme et altruisme, il y a seulement un égoïsme vil et un égoïsme noble qui n’ont en commun que le nom, par une homonymie cachée.

Conclusion : c’est un devoir pour l’homme vertueux de s’aimer lui-même.

  

Nous sommes maintenant à même de comprendre la thèse fondamentale. « L’homme vertueux est avec son ami dans une relation semblable à celle qu’il entretient avec lui-même, car son ami est un autre lui-même… C’est en partant de cette relation de soi à soi que tous les sentiments qui constituent l’amitié se sont ensuite étendus aux autres[17]. »

Il y a à la fois ressemblance — sans identité — entre deux relations et extension de l’une à l’autre.

La similitude est celle de l’original à la copie : « à peu de chose près », paraplèsiös[18], ce qui maintient la primauté de la relation de soi à soi.

L’extension se fait « en partant de » qui traduit la préposition apo, parfois remplacée par ek. Pour en préciser le sens, on peut se référer à un passage où Aristote écrit que les parents chérissent leur enfant comme étant quelque chose d’eux-mêmes, en raison de cette étroite communauté entre le principe d’existence (littéralement : le « ce en partant de quoi », to ap’ou) et l’être engendré, car ce qui procède d’un être (to ex autou) appartient en propre à l’être qui en est le principe (tô aph’ou). Ainsi les parents aiment leurs enfants comme eux-mêmes, car les êtres qui procèdent d’eux (ta ex autôn) sont comme d’autres eux-mêmes, autres du fait qu’ils sont séparés (tô kechôristhai)[19]. De manière analogue, l’amour qu’on a pour son ami procède de l’amour de soi par une sorte d’engendrement, de production. L’alter ego est quelque chose de moi-même, autre du fait qu’il est séparé. Cette séparation préserve l’altérité de l’autre et sa pleine liberté dans le choix réciproque.

Si l’on ne maintient pas cette irréductible altérité, on risque de se méprendre sur le sens de la séparation. Dans Le Banquet, le poète Aristophane veut dévoiler par un mythe le secret de l’erôs. A l’origine, l’être humain était un, avant d’être séparé, sectionné en deux moitiés qui, depuis lors , cherchent à se réunir. « C’est depuis ce temps lointain qu’au cœur des hommes est implanté l’amour, l’erôs qui tend de deux à ne faire qu’un seul, rassemblant ainsi notre nature première[20]. » Erôs n’est qu’un autre nom de la nostalgie de l’Un : guérir la blessure de la séparation. Mais, dit Aristote dans la Politique[21], « c’est comme si d’une symphonie on voulait faire un unisson. » L’unité absolue supprime l’amitié qui est communauté, unité plurielle. C’est l’irréductible altérité qui rend possible le « vivre avec » chaleureux de deux libertés, cette intensification réciproque du penser et de l’agir[22].

 

Avoir besoin d’amis, cela va de soi pour les amitiés fondées sur l’intérêt ou le plaisir : le besoin vient de ce qu’on ne se suffit pas à soi. Mais qu’en est-il de l’homme qui se suffit à soi parce qu’il est parfaitement heureux ? La réponse met en jeu la nature même de l’amitié, si elle est un besoin qui n’apparaît dans sa pureté, sa radicalité que lorsque tous les autres besoins sont satisfaits[23].

Aristote commence par un examen dialectique des opinions. Certains soutiennent que l’homme parfaitement heureux se suffit à soi et n’a pas besoin d’amis. La solitude sied au sage.

Ceci va à l’encontre de l’opinion commune. Avoir des amis passe pour le plus grand des biens. Qui voudrait posséder tous les biens du monde pour en jouir seul, sans pouvoir répandre ses bienfaits sur ses amis ? Si l’homme est un animal politique, vivre solitaire, c’est vouloir vivre comme un dieu parmi les hommes.

Le sage répondra qu’il imite Dieu. Dieu possède tous les biens, il n’a besoin de rien d’extérieur à lui pour l’aider ou le divertir. Sa seule activité est de se contempler lui-même.

Mais raisonner ainsi, c’est confondre l’autarcie humaine avec l’autarcie divine. Peut-on se contempler et se connaître soi-même quand on reste solitaire ? Nul homme n’échappe au piège des passions et de la complaisance envers soi-même qui faussent le jugement. Pour se voir, il faut se regarder dans un miroir et pour se connaître, il faut se contempler dans un autre soi-même. Donc, on a besoin d’un ami.

 

Ces arguments ne sont pas faux, Aristote les reprendra dans sa Politique[24], mais ils ne vont pas jusqu’à la nature des choses. Il faut remonter à la cause de ce besoin qui fait qu’on ne peut être soi sans un autre soi. Or, la cause, c’est, dans un syllogisme, le moyen terme qui explique pourquoi, dans la conclusion, le prédicat appartient au sujet. Pourquoi un ami vertueux est-il naturellement désirable pour l’homme heureux et vertueux ?

Dans la chaîne de syllogismes que déroule Aristote, il faut trouver la thèse qui sert de moyen central, la cause souveraine.

1. En quoi consiste le bonheur de l’homme vertueux, c’est-à-dire le vrai bonheur, car l’homme vertueux est mesure, référence sûre ? La réponse comporte une progression.

La vie humaine est capacité, puissance de sentir et de penser.

Or, la puissance renvoie à l’acte et l’activité parfaite est, par surcroît, plaisir.

Mais il n’y a pas d’activité sans conscience de cette activité. Sentir, penser, vivre heureux, c’est avoir conscience qu’on sent, qu’on pense, qu’on vit heureux et cette conscience aussi est plaisir.

2. Or, voici le pivot : l’homme vertueux est à l’égard de lui-même comme il est à l’égard de son ami, car un ami est un autre soi-même.

3. Si l’existence de l’homme vertueux est désirable pour lui, celle de son ami l’est tout autant.

Sa propre existence est désirable par la conscience qui l’accompagne et il en est ainsi pour lui de l’existence et de la conscience de son ami.

Il est donc nécessaire à son bonheur d’être en communauté de conscience avec son ami (littéralement : être conscient avec, sunaisthanesthai),ce qui exige qu’il vive avec lui en communauté d’entretiens et de pensée.

4.Conclusion : l’homme heureux et vertueux a besoin d’amis qui lui ressemblent

Le moi est trop étroit pour lui-même, il a besoin de cette activation réciproque, de cet être en acte ensemble ou plutôt à tour de rôle qu’est l’amitié.

 

 

J’ai voulu montrer, un peu brièvement peut-être, que la théorie aristotélicienne de l’amitié forme un système cohérent. On peut la considérer, avec la théorie de la justice, comme le fondement de la Politique, science souveraine du Bien proprement humain[25].

Pour conclure sur une note plus conviviale, je vous invite à écouter ce qu’il en est de ce Souverain Bien pour l’homme[26].

« Le bien parfait semble se suffire à lui-même. Et, par ce qui se suffit à soi-même, nous entendons non pas ce qui suffit à un seul homme menant une vie solitaire, mais aussi à ses parents, ses enfants, sa femme, ses amis et ses concitoyens en général, puisque l’homme est par nature un être politique. Mais à cette énumération il faut apporter quelque limite, car si on l’étend aux grands-parents, aux descendants et aux amis de nos amis, on ira à l’infini. »

 

C’est pourquoi, moi aussi, j’en resterai là.

Marcel Lamy

Pour toute observation, question ou demande de précision,
utilisez le formulaire du site.

 

 

NOTES

[1] E.E. (Éthique à Eudème), VII 4, 1239a 30-34 et E.N. (Éthique à Nicomaque), VIII 9, 1159a 27.

[2] M.M. (Grande Morale), II 12, 1211b 30-33.

[3]M.M., II 12, 1211b 30-33.

[4] E.E., VII 2, 1237a 37.

[5] E.N., IX 7, 1168a 24-25.

[6] E.E., VII 2, 1236a 15-29 ; E.N. , VIII 5, 1157a 30-33 ; Métaphysique IV 2.

[7] Le Banquet, 200a, 204a.

[8] Métaphysique, XII 7, 1072b 4.

[9] E.N., IX 4

[10] Politique, III 9, 1280b 38-39.

[11] E.E., VII 12, 1245b 3-5 ; E.N. , IX 12, 1172a 1-8.

[12] E.N., IX 8, 1168b 3-7 ; IX 4, 1166a 1-2.

[13] République, IV, 436b et 439d.

[14] E.E., VII 6, 1240a 10-23 et E.N. , IX 4, 1168a 33-35.

[15] E.N., IX 4, 1166b 12 ; Rhétorique, II 4, 1382a.

[16] Organon, Topiques, I 2 et E.N. , VII 1, 1145b 1-7.

[17] E.N., IX 4, 1166a 30 et IX 8, 1168b 5-6.

[18] E.N., IX 9, 1170b 6-9.

[19] E.N., VIII 14, 1161b 16-29.

[20] Le Banquet, 191c d ; on trouve chôrizesthai en 192c 2.

[21] Politique, II 5, 1263b 30-37.

[22] E.N., VIII 1, 1155a 15. « Quand deux vont de compagnie. »

[23] E.E., VII 12 ; E.N. , IX 9 ; M.M. , II 15 (le miroir en 1213a 20-25).

[24] Politique, III 16, 1287a 28-b 3 et b 25-35.

[25] E.N., I 1, 1094a 25-b7.

[26] E.N., I 5, 1097b 7-12.

 

 

L’anthropologie de la relation homme-femme

 

Au cœur des travaux du Congrès international sur la femme au Vatican (7-9 février)
 

ROME, Vendredi 15 février 2008 (ZENIT.org) - Jean-Paul II, avec sa lettre apostolique Mulieris dignitatem, et sa vision de la femme à l'image de Dieu, a créé un ‘avant' et un ‘après' dans l'Eglise.

C'est ce qu'a affirmé la théologienne espagnole Blanca Castilla de Cortázar, lors du congrès sur la femme, organisé à Rome, du 7 au 9 février, par le Conseil pontifical pour les laïcs, sur le thème « Femme et homme, l'humanum dans son intégralité ».

« C'est la première fois que dans le magistère on affirme explicitement que la femme, en tant que femme, est à l'image de Dieu », affirme-t-elle en se référant au texte que le pape Jean-Paul II a écrit il y a vingt ans.

« Le corps sexué est l'image de Dieu », dit-elle, qui « créa l'homme et la femme » (Genèse 1, 27) : « le corps est l'expression de ce que la personne est dans son être le plus intime », a-t-elle ajouté.

Blanca Castilla de Cortázar, professeur de théologie à l'Institut Jean-Paul II de Madrid, a affirmé que « la théologie de l'image manifeste dans les versets bibliques ‘il créa l'homme et la femme', la nature de l'homme comme un être rationnel et libre ».

D'où le thème de son intervention « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, il créa l'homme et la femme ».

« La grande nouveauté de Jean-Paul II, souligne-t-elle, est la dimension rationnelle inscrite dans l'être humain. Une relation qui suppose la parfaite égalité », précise-t-elle.

« La manière de procréer, ajoute-t-elle, présente de manière plastique la maternité comme une relation différente de celle de la paternité : l'homme en se donnant, sort de lui-même et en sortant de lui-même se donne à la femme, et son don reste en elle : la femme le fait sans sortir d'elle-même, mais plutôt en accueillant en son sein ».

Ces deux façons de se donner sont complémentaires : « l'homme sans la femme ne saurait où aller et la femme sans l'homme ne saurait qui accueillir : la différence de ces deux rapports réside dans leur manière d'être l'un vis-à-vis de l'autre. C'est ce qui crée cette possibilité d'unité entre les deux ; si les deux suivaient la même orientation, ils avanceraient parallèlement sans se rencontrer ».

C'est pourquoi « la manière d'aimer et de se donner aux autres fonctionne de manière sponsale, l'ouverture relationnelle est structurée de manière sponsale », affirme-t-elle.

Blanca Castilla rappelle dans son intervention que la lettre Mulieris Dignitatem est un document qui parle de la femme mais en se référant à une anthropologie et à la théologie.

« L'image de Dieu est présente dans chaque individu mais elle l'est aussi dans la manière de vivre de chacun ; la relation ouvre à l'amour et rend possible la communion entre les personnes. Ceci fait partie de l'image de Dieu, mais constitue aussi la plénitude de cette image ».

« Quand on dit que l'homme ne peut vivre seul mais dans l'unité des deux, c'est quelque chose que l'on voit de façon très claire dans le mariage, et qui s'est ensuite réalisé, au fil de l'histoire et de la construction du monde, dans l'Eglise même, sous différentes formes, de sorte que la dualité est toujours présente comme source de fécondité », a souligné Blanca Castilla en marge de la conférence.

« Jean-Paul II dit que l'image de Dieu est une image trinitaire. Cela veut dire que pour découvrir à fond l'originalité de la différence entre l'homme et la femme il faut se concentrer sur le fait que Dieu a une différence au sein même de la Trinité qui ne brise pas cette égalité, une affirmation qui peut apporter des éléments en plus à tous les traités de théologie dogmatique ».

L'analogie sponsale, semble-t-il, a toujours été « hiérarchisée » (l'époux était toujours Dieu ou le Christ et l'humanité l'épouse) ; alors vraiment, si l'époux ou l'épouse sont les archétypes du masculin et du féminin, ils mériteraient d'être réinterprétés à partir de l'Imago Trinitatis. Ceci permettrait d'apporter un éclairage en matière d'ecclésiologie, sur pratiquement tous les traités de la Trinité », a expliqué la théologienne espagnole.

Évoquant ensuite d'autres points soulevés durant les travaux du congrès, Blanca Castilla a mis l'accent sur le fait que « la philosophie occidentale est fondée sur la priorité du un monolithique différencié sans laisser de côté le deux ; raison pour laquelle lorsque les hommes parlent des femmes ils le font en les sublimant ou en les subordonnant, mais la différence n'est jamais au même niveau et les femmes, pour affermir leur identité, n'ont pour alternative que celle d'imiter ou de supplanter, d'ôter l'autre pour pouvoir entrer ou annuler la différence. Et ceci constitue, au fond, un déficit philosophique ».

Pour corriger cette « cosmovision centrée sur le un il faudrait développer une philosophie où la dyade serait possible ».

En ce sens, la théologie souhaiterait « une dyade avec une coexistence pacifique à l'image de la triade divine ».

Blanca Castilla dénonce par ailleurs l'apparition aujourd'hui d'une « idéologie tendant à faire croire que la différence est une différence insignifiante ou que l'on peut en disposer comme on veut, sans tenir compte du fait que l'être humain a quelque chose de reçu dans la mesure où personne ne s'est fait seul ».

« La chose la plus terrible qui puisse arriver à l'homme est d'avoir la liberté sans avoir un projet, sans avoir un endroit où aller, sans avoir quelque chose à réaliser. La dignité humaine qui se manifeste aussi dans le corps et dans la sexualité (dans l' « être homme » et dans l' « être femme ») n'est pas une limite que je peux manipuler avec ma liberté, mais une partie d'une chose que j'ai reçue et qui, en la réalisant de manière digne, me permet d'atteindre le bonheur ».

Le bonheur, conclut la théologienne espagnole « est au fond ce que tout le monde veut » et que « l'on peut atteindre en ne pensant pas à soi, mais en pensant de manière désintéressée »: « l'homme et la femme ont une manière de se donner aux autres différente et complémentaire, devenant ainsi source d'attraction mais surtout source de fécondité ».

Miriam Díez i Bosch

 

 

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