Rappels historiques
Le mot « épigenèse » remonte à
Aristote qui nomme ainsi le développement d'un œuf informe de façon
graduelle aboutissant à un organisme aux tissus différenciés. Cette
théorie s'opposa au
préformationisme qui postulait que l'être vivant préexistait en
miniature dans le germe. La controverse entre épigénisme et
préformationisme fut une controverse majeure de la biologie au XIXe
siècle.
On attribue la paternité de l'épigénétique dans son sens moderne au
biologiste
Conrad H. Waddington qui la définit en
1942 comme
une branche de la
biologie étudiant les implications entre les systèmes gènes +
environnement et leurs produits donnant naissance au
phénotype d'un individu.
Il apparut d'abord que le « modèle génétique » postulant une
équivalence unique entre
phénotype et
génotype, ne pouvait expliquer tous les phénomènes liés à la
différenciation cellulaire (cf. citation de Morgan en introduction).
Par exemple : le noyau d'une cellule de peau d'amphibien
transféré dans un œuf énucléé donne des animaux entiers (clones) ; un
même génome peut donc avoir plusieurs destinées et sa détermination est
réversible. Il fut alors élaboré une
théorie
dans laquelle chaque cellule indifférenciée passait par un état critique
qui serait responsable de son développement futur non uniquement lié à
ses gènes (et pour cette raison qualifié d'épigénétique). Avec la
découverte de la
double-hélice, cette théorie a été mise à l'écart jusque dans
les années 90, durant lesquelles le séquençage complet de plusieurs
génomes et l'incapacité de les déchiffrer remirent sur le devant de la
scène l'épigénétique. L'épigénétique, ainsi redéfinie, se veut un
prolongement de la génétique classique.
Épigénome
L’épigénome est l'état épigénétique de la cellule. À l'image des
cellules embryonnaires qui peuvent avoir plusieurs fonctions finales, un
unique génome peut être modifié de multiples manières pour donner des
épigénomes différents. Il est actuellement conjecturé par un grand
nombre de chercheurs en épigénétique qu'un code épigénétique existe dans
chaque cellule
eucaryote - par analogie au
code génétique. À l'extrême, ce code épigénétique représente le type
et la position de chaque molécule de la cellule.
Processus de transmission épigénétique
Plusieurs processus de transmission épigénétique peuvent jouer un
rôle dans ce qu'on appelle quelquefois la mémoire de la cellule.
Transcription d'ARN
Ce mécanisme est en quelque sorte une autoactivation du gène. En
effet, après
transcription du gène en ARN, on observe un entretien de
l'activation de ce même gène ou d'autres afférents. Par exemple, chez
l'homme
HNF4 et
MyoD augmentent leur propre transcription. Même si le stimulus à
l'origine de l'activation d'un gène est absent, les cellules filles
peuvent hériter de cette activation chez la cellule mère. Le plus
souvent l'activation d'un gène se produit par
transduction, mais il est possible que l'ARN se transmette aux
autres cellules par simple diffusion.
Système de transmission structurelle
La transmission structurelle est un mécanisme encore très mystérieux.
Il implique la transmission entre cellules (voire entre cellules de
générations différentes) de structures particulières (par exemple de
protéines). Ces structures modifiées semblent jouer le rôle de "patron"
pour l'organisation structurelle de génération suivante. Ce mécanisme de
transmission a été mis en évidence dans les organismes
unicellulaires
ciliés comme la
tetrahymena ou la
paramécie. En effet, pour des cellules semblables au niveau
génétique, on peut observer des différences dans l'organisation des
cils de surface. Cette organisation est transmissible à la
génération suivante. On soupçonne une telle transmission d'être possible
pour les organismes
multicellulaires.
Modifications de la chromatine
Puisque le
phénotype d'une cellule ou d'un individu est affecté par
l'expression de ses gènes, les états issus de ces transcriptions peuvent
donner lieux à des traces épigénétiques. Une des manières dont
l'expression d'un gène peut être régulée est l'état de la
chromatine. Celle-ci est soit décondensée ou "ouverte" (euchromatine)
permettant ainsi l'accès à la machinerie transcriptionnelle et
l'expression génique soit condensée ou "fermée" (hétérochromatine),
empêchant l'expression d'un gène. L'état de la chromatine est dicté par
les modifications post-traductionnelles des protéines
histones
liées à l'ADN. La
méthylation de ces protéines au niveau de résidus
lysines
entraîne une fermeture de la chromatine. Au contraire, l'acétylation
également de lysines entraîne une ouverture de la chromatine permettant
ainsi la transcription. Certaines régions du génome sont
constitutivement dans un état chromatinien fermé. C'est le cas des
centromères et des
télomères. Puisque l'ADN n'est pas entièrement entouré de
nucléosomes au cours de la réplication, les histones modifiées (méthylées
ou acétylées) restantes sont supposées guider les modifications des
nouvelles histones après la formation des nucléosomes. On peut noter
cependant que les modifications d'histones ne sont pas toutes transmises
d'une génération à l'autre.
Modification chimique de l'ADN
L'expression d'un gène peut également être guidée par une
modification chimique de l'ADN : la méthylation de
cytosine en 5-methylcytosine5
dans les
dimères
C-G
de l'ADN. Le nombre et la façon dont sont méthylées ces bases
influencent souvent l'expression des gènes composés de ces bases : une
faible méthylation se traduit le plus souvent par une forte expression
du gène alors qu'un haut niveau de méthylation inactive le gène.
Cependant il existe des exemples où une forte méthylation n'a pas de
répercussions sur le niveau d'expression. La méthylation de l'ADN est
l'acteur majeur de la mise en place de l'empreinte parentale, mécanisme
par lequel l'expression d'un gène va dépendre de l'origine parentale.
Par exemple, dans le cas d'un gène à expression maternelle, l'allèle
paternel est méthylé et entièrement éteint alors que l'allèle maternel
est non-méthylé et entièrement exprimé. L'empreinte parentale dépend
également des modifications de la chromatine. La méthylation de l'ADN
est souvent observée dans les gènes répétés et pourrait être un
mécanisme naturel pour l'inactivation des gènes inutiles. Les
méthylations de l'ADN peuvent soit être héritées soit créées ou
modifiées en réponse à un facteur environnemental. Dans ce dernier cas,
la modification créée par l'environnement sera transmise aux descendants
au même titre qu'une marque héritée.
Chez l’Homme, la méthylation de l’ADN s’effectue au niveau des
résidus
cytosines des îlots CpG6
qui se trouvent essentiellement dans les régions proximales des
promoteurs de 60 % des gènes. Dans les cellules normales, ces îlots
sont non méthylés, une petite portion devient méthylée pendant le
développement rendant ainsi quelques gènes silencieux de manière stable.
Il existe une interdépendance entre la méthylation de l’ADN et celle
des histones : on a montré une interaction entre certaines protéines à
activité de méthylation de l’ADN et un système de méthylation des
histones. Nous sommes donc en présence d’un lien direct entre les
activités
enzymatiques responsables de deux mécanismes épigénétiques
distincts. L’épigénétique est donc un système régulateur fondamental
au-delà de l’information contenue dans la séquence d'ADN. Le gène défini
par
Mendel doit maintenant être considéré avec la chromatine qui
l’entoure puisqu’elle joue un rôle primordial dans la régulation
transcriptionnelle et que, de plus, elle est héréditaire tout comme les
gènes Mendéliens.
Prions
Les
maladies infectieuses ne sont pas habituellement décrites comme des
régulateurs épigénétiques, mais l'infection et la transmission verticale
de virus
fonctionnent de manière identique. De plus, certains
prions ont montré des effets7
bénéfiques et, comme ils décrivent la nature adaptative des protéines,
ils ont été décrits comme des mécanismes de transmission épigénétique.
Codage épigénétique et évolution
L'épigénétique peut être interprétée comme une
réminiscence de la
transmission des caractères acquis admise depuis
Aristote jusqu'à
Weismann en passant par
Darwin, qui, contrairement à
Lamarck et à l'opposé de ce que l'on croit généralement, en fit la
théorie avec son "hypothèse de la pangénèse"8
ou à celles de
Mitchourine). Mais contrairement à ces anciennes théories, l'épigénétique
admet la prééminence de la
sélection naturelle et de l'altération aléatoire du génome[réf. nécessaire].
Effets épigénétiques possibles sur l'être humain
Sans avoir identifié les porteurs de ces modifications
transmissibles, des études sur les humains (étude du poids des
nouveau-nés lors de la famine aux Pays-Bas en 19479,
ainsi que chez leurs descendants), les
drosophiles (larves soumises à des températures élevées)10
ont montré l'influence de l'environnement sur la diversité du vivant.
Une étude faite sur une population dont étaient référencés tous les
individus ainsi que leur alimentation en fonction des récoltes a montré
qu'une grand-mère ayant vécu une famine transmet cette information à sa
descendance et par conséquent modifie l'ADN de son petit-fils, qui peut
développer des maladies alors qu'il n'a jamais connu de famine11.
De même, les femmes enceintes durant les
événements du 11 septembre 2001 ont montré que l'enfant possédait un
taux de
cortisol plus élevé12.
Ce phénomène impliquerait que certaines maladies ne sont pas dues à
une variation de la séquence d’ADN mais peut-être à des épimutations.
Les mécanismes épigénétiques constitueraient de nouvelles cibles
pour la mise au point de médicaments spécifiques. En attendant cette
confirmation, nous pouvons déjà reconsidérer notre
hérédité et défendre l’idée que nous ne sommes pas que le pur
produit de nos
gènes.
Épigénétique et cancer
Le
cancer est clairement une maladie des gènes. Chez l’Homme,
l’incidence des cancers augmente exponentiellement dans les dernières
décennies de la vie, avec un développement prédominant de
carcinomes. Les cellules humaines en culture présentent un taux de
mutations spontanées de
mutation/gène/division cellulaire. Étant donné la faible incidence
spontanée de ces mutations, d’autres mécanismes doivent être mis en
place pour entraîner l’apparition des cancers.
Plusieurs types de cancers sont associés à une réduction globale du taux
de méthyl-cytosines dans le génome par rapport au
tissu normal, alors que plusieurs gènes suppresseurs de tumeurs sont
rendus silencieux par méthylation de novo de leur promoteur.
Des tumeurs peuvent maintenir stablement une mutation sur un allèle de
gène alors que l'autre est hyperméthylé, et ainsi inactivé.
De plus, les gènes suppresseurs de tumeurs résident souvent au sein de
régions caractérisées par des
délétions fréquentes, aboutissant à une
perte d’hétérozygotie (LOH).
Enfin, dans certaines de ces régions sont observés des événements
épigénétiques au lieu d’une altération génétique.
Ces altérations épigénétiques, telles que méthylation de l’ADN et
modifications des histones, semblent initier des processus qui résultent
en une perte ou une activation de la transcription des gènes. Même une
mutation peut être initialement due à un mécanisme épigénétique puisque,
par exemple, une 5-méthyl-cytosine peut se désaminer (perte de la
fonction
amine) spontanément en
thymine
(autre base de l’ADN). Dans ce cas la cause primaire est un phénomène
épigénétique. On espère donc un jour pouvoir traiter certains cancers
par des médicaments ciblant les modifications épigénétiques (moins fixes
que les modifications génétiques, et parfois réversibles).
Le terme d'épigénétique en psychologie
Le psychologue
Erik Erikson développa une « théorie épigénétique du
développement humain » traitant des crises psycho-sociales vécues
par l'individu, servant ainsi à décrire différentes étapes
développementales entrecoupées par ces crises. Selon lui, même si ces
crises ont le plus souvent une origine génétique, la manière dont elles
se vivent ne peut être expliquée par la génétique et donc, en écho à la
théorie en biologie, sont qualifiées d'épigénétiques.
Thérapeutique
Thérapies épigénétiques
Il existe aujourd’hui peu de thérapeutiques agissant directement sur
l'épigénome. Plusieurs sont en cours d’études dans des
essais cliniques ou ont été approuvées pour des types spécifiques de
cancer.
Les analogues
nucléosides comme la
5-azacytidine sont incorporés dans l’ADN en
réplication. Ils inhibent ainsi la
méthylation de l'ADN et réactivent des gènes silencieux. La 5-azacitidine
a montré une efficacité dans des essais cliniques de phase 1 dans le
traitement de
syndromes myélodysplasiques et de
leucémies, sièges d’une
hyperméthylation génique.
Thérapies indirectement épigénétiques
Une intervention indirecte sur l'épigénome consiste à moduler la
disponibilité des groupements
méthyles.
Pour ce faire, il est possible :