Christine Ravenne : “Gagatorium”
Quatre ans dans un mouroir doré
Tous ceux qui, un jour, ont eu à rendre visite à des proches
dans une maison de retraite (aussi confortable fût-elle), en
sont ressortis le cœur au bord des larmes. D’autant que le terme
mouroir attribué à ces endroits déprimants est bien
souvent – hélas ! – justifié.
Christine Ravenne, elle, a pu s’en échapper (et, là encore,
le mot n’est pas trop fort). Comme elle a toute sa tête (1),
elle a choisi de témoigner dans un livre terrible, Gagatorium,
sous-titré : « Quatre ans dans un mouroir doré ».
Un mouroir doré. Doré. Mais n’empêche : mouroir.
Fin 2007, ayant quitté Biarritz où elle vivait, elle emménage à
la résidence Ker-Eden (« La Maison de Paradis », pas moins…) en
Bretagne. Pour se rapprocher de sa fille, de son gendre et de
ses petits-enfants. Et aussi parce que, ayant vécu des
hospitalisations d’urgence (cataracte, diabète, asthme), elle
souhaite une résidence médicalisée.
Ker-Eden n’est pas une maison de retraite pour indigents.
Elle a un jardin arboré. On peut y acheter son appartement (ce
qu’a fait Christine Ravenne). On y organise des animations. Dans
l’esprit de ce qui est promis sur le dépliant publicitaire :
« Autonomie, convivialité, sécurité ».
En 2007, Christine Ravenne a 77 ans et, comme elle le dit,
toutes ses facultés si le corps ne suit pas toujours. Elle
s’aperçoit vite qu’en fait de « paradis », elle est entrée dans
un « enfer ». Où règnent ceux qu’elle appelle Mme Bling-Bling,
Peau-de-Vache, Sitting Bull, etc. La philosophie de la maison ?
« Payez et taisez-vous ! »
Elle raconte par le menu les maltraitances dont sont victimes
au quotidien les « vieux » : maltraitance physique, morale,
financière. Elle en tient pour responsables les services
publics : « Le genre de vie qu’on impose aux vieux, ils
n’en veulent plus. Alors on les met au gagatorium :
tricot, dominos, gâteaux… et taisez-vous ! Taisez-vous, les
vieux, vous n’avez pas la parole ! On ne parle pas de ces
choses-là (la vieillesse et la mort). »
Le 20 avril 2011, Christine Ravenne quitte Ker-Eden. Parce
qu’elle en a les moyens et que ses enfants sont là pour
l’épauler. Mais elle ne se désintéresse pas pour autant de
celles qu’elle appelle les « p’tites mémées » : « Un an après
mon départ, certaines sont mortes, parties ailleurs ou
définitivement tombées dans le trou d’où on ne remonte plus, le
trou abyssal. Alzheimer. »
Mais elle a tenu le serment qu’elle s’était fait en quittant
Ker-Eden : écrire un livre pour tirer la sonnette d’alarme et
avertir ses concitoyens du péril de l’« or gris ». Son livre se
termine par le mot de la… fin : « La maltraitance des anciens
reste d’une actualité brûlante. Pas de mot de la fin. Plutôt des
mots d’espoir, d’appel à des jours meilleurs. »
Un livre terrible, avons-nous dit, et qui prend à la gorge :
« J’accuse les laboratoires pharmaceutiques de créer une race de
vieilles poules droguées, bourrées de somnifères, de
neuroleptiques, pour les précipiter plus vite dans les bras
d’Alzheimer. »
Une « vieille poule »,Christine Ravenne ? Non : un vrai coq
de combat !
(1) C’est une ancienne journaliste, consultante et auteur de
nombreux ouvrages sur le management.
• Editions Fayard.
ALAIN SANDERS